Rien à voir ! Pas de photographies tragiques de migrants, pas de pathos photojournalistique ici. Si l’exposition In Limbo de Nikolaj Bendix Skyum Larsen à la Galerie Presença de Porto (jusqu’au 2 juin) parle de migrants, l’artiste se garde bien de nous les montrer. Ils sont là, mais invisibles, évoqués sans être exposés. Pour entrer dans la galerie, il faut, comme cela nous arrive parfois dans la rue, contourner ce qui semble être un corps au sol, une forme humaine sous une couverture de survie, ces objets dorés qui signent la détresse et la misére. Nul doute sur ce qu’abrite ce quasi linceul, nulle ambiguïté non plus sur notre regard gêné qui se détourne et l’effort que nous faisons pour passer au large, presque effrayés que soudain une main puisse jaillir de sous cet obstacle et nous saisir, nous agripper, nous supplier.
Si l’expérience de l’entrée est métaphorique, les photographies aux murs de la galerie sont, elles, des représentaions visuelles immédiates. Pour cette série The Floating Series, l’artiste a arpenté les rues près de Stalingrad et a saisi des duvets, des couvertures, qui abritent précairement les migrants endormis, leurs rares moments de sommeil, de repos, de flottement hors du réel, de paix toute relative avant la prochaine expulsion par la police. Là encore, ce que nous ne voulons pas voir dans la rue, nous confronte, une fois accroché aux cimaises. La plupart de ces duvets sont colorés, ornés de motifs enfantins ou banaux, et ils ressortent ici en pleine lumière sur un fond noir artificiel. Et jamais ou presque on ne voit le corps abrité (une oreille ici, deux chaussures là, c’est tout) : tout comme la photographie serait une empreinte du réel, ces duvets sont des empreintes, non seulement des migrants, mais aussi de la honte qui s’empare de nous devant ces tragédies, nos impuisances et la lâcheté de nos gouvernants.
Rien de tel que de renverser les rôles : le film Quicksand, dans la dernière salle, se passe en 2033. L’Europe est en proie au chaos, en pleine décomposition, et les Européens tentent de fuir vers des pays plus hospitaliers, qui les rejettent. Jason, laissant femme et enfants, ayant franchi les Pyrénées, tente de partir vers d’autres rivages sur une barque qui va chavirer. Le film ne montre rien, sinon des images d’air et d’eau, quasi abstraites, les images qu’un naufragé emmagasine juste avant de mourir; on y entend des bribes de conversation entre migrants, et les messages téléphoniques de Jason et de sa femme. Cette première oeuvre de fiction de l’artiste a été montrée récemment au MAAT. Depuis 2008 au moins, Nikolaj Larsen parle de frontières et de migrants, mais parle surtout de la condition humaine et de nos efforts dérisoires pour maintenir un peu d’espoir et survivre. Et il le fait avec une sûreté, une simplicité, une ellipse qui rendent son discours bien plus fort qu’un simple témoignage.
Photos courtesy de la galerie