NIMBY (Robert Adams)

en espagnol

NIMBY Not In My BackYard : c’est l’acronyme qui traduit le fait que des villes ou quartiers plutôt riches protestent contre des projets polluants ou dangereux afin qu’ils soient transférés dans des villes ou quartiers populaires (il y a aussi BIYBYTIM : Better in your backyard than in mine). Les habitants de Rocky Flats, une banlieue classe moyenne de Denver au Colorado, ont protesté contre la présence dans leur commune d’une usine fabriquant des coeurs d’ogives nucléaires. Oh, rassurez-vous, ils ne se sont pas mobilisés contre l’existence d’armes nucléaires en soi, ni contre la stratégie impérialiste de leur pays (c’était avant que Trump ne dénonce le traité avec l’Iran, on devrait faire un sondage aujourd’hui à Rocky Flats), non, ils ont simplement demandé que ces armes au plutonium soient produites ailleurs (de préférence dans des endroits pauvres et déshérités). Et ils ont obtenu  gain de cause. Un des facteurs de leur succès a été la participation à leur campagne de Robert Adams, dont le travail sur ce projet est actuellement présenté à la Fondation Cartier Bresson (jusqu’au 29 juillet).

Adams, qui est davantage connu pour ses magnifiques photos de paysage, a simplement photographié les gens de Rocky Flats, rien de plus. Il laisse les images des habitants, de leur vie quotidienne, de leur shopping au supermarché, de leurs loisirs et de leur travail, parler d’elles-mêmes : à les regarder, comment ne se mobiliserait-on pas contre le péril que cette usine fait peser sur ces gens si charmants, et si semblables à nous. Mais, quand je regarde un peu plus attentivement ces images, je suis comme foudroyé : tout le monde est blanc ! Nous voyons là la classe moyenne américaine, frileuse et obtuse, religieuse et conformiste, consumériste et conservatrice, dans toute sa splendeur (blanche). Il y a juste, peut-être, à l’arrière plan de cette photo de deux charmantes fillettes, si paisibles (et si menacées, c’est le message implicite), une ou deux bonniches noires qui passent discrètement, mais ce sont les seules de toute la série (on se croirait en Afrique du Sud au bon vieux temps). On ne va quand même pas parler de racisme et de classes quand il est question « d’écologie ».

Et cet ouvrier casqué, si incongru au milieu de tous ces petits bourgeois cravatés, est peut-être chicano. Mais c’est tout. Le reste est d’une blancheur immaculée. On pense à ces expos où il n’y a que des hommes, on pense à une vision du monde tellement biaisée qu’on ne s’en rend même plus compte, et on rentre chez soi pour feuilleter un livre des paysages de Robert Adams et se changer les idées.

Toutes les images : Robert Adams, Sans titre, Our Lives and Our Children, 1979-1982 © Robert Adams / Collection Centre national des arts plastiques / Photo : Yves Bresson. MAM Saint-Étienne Métropole, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco and Matthew Marks Gallery, New York
Images 1 & 2 courtesy de la Fondation HCB, image 3 de l’auteur (faute de mieux).

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4 réflexions sur “NIMBY (Robert Adams)

  1. Bonjour,

    Votre critique de ce travail me laisse dubitatif. N’étant pas un ardent admirateur de ce travail, je trouve néanmoins votre critique biaisée et de mauvaise foi. Que ce travail soit de qualité médiocre, libre à vous d’exercer votre avis critique mais encore faut-il que cela soit étayé.

    Or, deux exemples me viennent à l’esprit: les militants anti nucléaires de Flatty Rocks luttaient pour la fermeture de l’usine de têtes nucléaires et non pas son déplacement chez les pauvres.

    Que des noirs n’apparaissent pas dans cette série d’images est plutôt le symptôme fidèle à la réalité de la prééminence des blancs dans le développement de la société de consommation. Auriez-vous des chiffres sur la proportion de la population noire à Flatty Rocks qui justifieraient les insinuations racistes envers Robert Adams?

    Au plaisir d’en savoir plus de votre part
    Cordialement

    [1. Ces habitants demandaient la fermeture de l’usine près de chez eux, ils ne demandaient pas la dénucléarisation des USA (seuls quelques activistes venus d’ailleurs, et rejetés par les locaux, étaient anti-nucléaires. De 1940 à 2004, contrairement au reste du Colorado, cette région a régulièrement voté Republican (sauf en 1964). Les habitants étaient donc bien conscients que ces ogives, éléments clés de la politique nucléaire américaine, allaient être fabriquées ailleurs. C’est exactement ça, le syndrome NIMBY.
    2. Je ne connais pas Rocky Flats (ni votre « Flatty Rocks ») mais je connais assez bien Denver, à proximité, et j’ai étudié pas très loin de là en 1969, donc dix ans avant ces photographies. Votre hypothèse sur la « blancheur » de la société de consommation est, disons, audacieuse, et ne tient guère compte des réalités sociales. Croyez-moi, à Denver, à Boulder, à Colorado Springs, à Fort Collins, il y avait des non-blancs dans les rues, et dans les supermarchés; pas une majorité, bien sûr, mais une présence que seul un aveugle ne pouvait voir.
    3. J’avais cherché en vain avant d’écrire les chiffres de recensement pour cette ville; mais à Denver, 47,3% des habitants sont non-blancs (dernier recensement; je n’ai pas le chiffre des années 70), et à Aurora, tout près, 75%. Pour l’état du Colorado, le chiffre de non-blancs est de 30% (du fait des zones rurales, majoritairement blanches, contrairement aux villes). On peut faire l’hypothèse que le chiffre de Rocky Flats est entre les deux, entre 30 et 47%, peut-être un peu moins il y a 35 ans. En tout cas, n’avoir pas vu les non-blancs dans l’espace public me semble témoigner d’une démarche délibérée, que toutefois, contrairement à vous, je ne qualifierais pas de racisme, juste d’indifférence.]

    Aimé par 1 personne

    • Merci de fournir les chiffres de recensement que je n’ai pas eu le temps de trouver. Merci également pour votre réponse circonstanciée sur mes remarques à propos de votre article. Je vous rejoins dès lors sur l’absence de noirs dans ces images. Peut on qualifier cette absence d’indifférence ? Pour le coup vous soulevez un lièvre et il est difficile d’y voir seulement cela, non? J’ignore néanmoins si Adams a déjà été interrogé sur ce point. Reste quelques point sur lesquels je ne vous rejoins pas, par exemple quand vous procédez par polarisation entre républicains et démocrates sur une opposition ou pas qui reste supposée à l’égard du nucléaire. Être démocrate n’est pas nécessairement l’a garantie absolue d’un sentiment anti nucléaire. A l’inverse voter républicain non plus. De plus quid des habitants du coin qui travaillaient pour le secteur nucléaire ? J’imagine qu’ils n’entraient pas tous ce schéma préétabli des préférences en fonction de leurs votes. Enfin, vouloir déplacer cette usine nucléaire ne veut pas forcément dire la déplacer près d’autres villes. C’est possible mais pas obligatoire. Enfin je pense. Enfin, pour résumer merci de m’avoir éclairé sur ce problème de représentation des noirs dans cette série d’images même si je ne vous suis pas sur tout.

      [Vous avez raison, j’ai simplifié les positions des Démocrates et des Républicains]

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