Michael Biberstein, né en Suisse, formé aux Etats-Unis et ayant longtemps vécu au Portugal, où il est mort il ya cinq ans, a droit à une belle rétrospective à Culturgest (jusqu’au 9 septembre). Ses débuts sont secs et conceptuels, inspirés par la sémiotique et la philosophie analytique : une forme au sol et son dessin au mur, un trait sur une toile et un trait parallèle sur le mur voisin. Une décomposition méthodique, intellectuelle et, à mes yeux, sans grâce, de tous les éléments de la peinture, mur, cadre, toile, couleur, trait. On pense, mais on ne sent rien.
Heureusement, son panthéon culturel ne se limite pas à Wittgenstein, mais comprend aussi Monet, Turner, Caspar David Friedrich, Rothko. Visitant le musée d’art classique de Lisbonne, il tombe un jour en arrêt devant ce Naufrage de Vernet; celui-ci en a peint un grand nombre, qui sont à Washington, Bruges, St Petersbourg, Avignon, Troyes, Munich, Philadelphie,… mais celui de Lisbonne est peut-être le plus étrange. C’est certes, comme les autres, un tableau romantique, la scène d’une catastrophe, où le sublime et l’informe se mêlent, où le sujet dramatique et l’émotion du spectateur sont censés être en harmonie. Mais il est unique car la masse noire centrale semble d’abord échapper à l’analyse visuelle immédiate : un rocher ? une tornade ? une vague gigantesque ? Rocher en équilibre, aux contours quasi anthropomorphes, comprend-on rapidement. Mais cet instant d’incertitude nous a laissé un instant perplexes, décontenancés, avec un sentiment d' »inquiétante étrangeté ».
A la suite de sa découverte de ce tableau, Biberstein fait une composition en deux toiles, un dessin et une pièce sonore, qui est entièrement reconstituée ici. Ses toiles sont brumeuses, évanescentes; nulle forme ne s’y distingue, nul indice de la réalité. Nous sommes devant sa recherche d’un paysage, ou plutôt de la possibilité d’un paysage, d’un concept de paysage. La sécheresse conceptuelle initiale a laissé la place à un riche combat plastique avec l’informe.
Et c’est désormais sur cette ligne qu’il va travailler. Ses toiles sont souvent immenses, jusqu’à 12 mètres de long, on y plonge, elles vous entourent complétement; mais, alors que, par exemple, les Nymphéas généreraient plutôt des sentiments de paix, de douceur, voire de joie, au-delà de leur dimension esthétique formelle, les toiles de Biberstein inciteraient plutôt à une contemplation mélancolique, légèrement inquiéte, parfois même mystique, comme devant le « tunnel » quasi symbolique de la toile tout en haut. Si on aperçoit (par exemple dans ce même tableau) ce qui pourrait être un rocher, le sommet d’une montagne, on est essentiellement devant une abstraction, devant l’évocation mentale d’un paysage (alors que les paysages chinois, auxquels on pense évidemment, font le mouvement inverse, une réduction de la réalité à des motifs abstractisés).
Pour structurer cet éther, cette vibration, Biberstein l’accompagne parfois de ce qu’il nomme (improprement, par un détournement de sens) une prédelle, bande de coton noir, verticale ou horizontale, bordant la toile comme un contrepoint visuel. Il joue parfaitement de ce contraste entre forme et informe, entre non-couleur et couleur, entre vide et plein, et on retrouve alors certaines de ses préoccupations de jeunesse sur l’essence de la peinture, désormais traduites de manière plus sensible et plus audacieuse. A noter une oeuvre posthume (à viister avant ou après l’exposition) : l’artiste avait prévu de peindre un ciel sur la voûte d’une église de Lisbonne, ce qui ne fut réalisé qu’après sa mort. Une médiation vers le Paradis ?
Merci pour cette belle découverte et votre propos éclairant et naturel !
Amicalement, Barbara.
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Une sensible critique ,et la découverte d’un peintre poète,Merci
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