Foires : l’overdose ?

Je n’ai pas encore écrit sur Frieze, vu à Londres la semaine dernière, et cette semaine-ci est frénétique, et épuisante. Alors, moins consciencieux que les années précédentes, je vais seulement partager quelques découvertes (et je mettrai en ligne vendredi soir un billet sur les quatre postulants au Prix Duchamp). Tout d’abord, ça semble être plutôt une bonne FIAC, les gens ont l’air plutôt contents et il y a plein d’oeuvres de qualité; mais vous pouvez lire cela ailleurs. Voici donc, arbitrairement, des pièces qui m’ont plu, attiré, étonné, fait rêver ou réfléchir.

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D’abord l’installation ‘Boustrophédon’ de Cléa Coudsi et Éric Herbin, que j’avais découverts à Béthune et revus à la Galerie Schirman & de Beaucé (galerie dont c’est la première présence à la FIAC, Cour carrée). Il s’agit du Nord, des maisons du Nord qu’on détruit ou qu’on ‘réhabilite’, et de la blessure que ces programmes immobiliers laissent dans l’imaginaire des habitants. Une des habitantes déclare, à propos du carrelage ancien de sa maison, en danger de réfection : « C’est vrai qu’il aurait des choses à raconter ce carrelage, s’il pouvait raconter quelque chose. C’est vrai que les murs, s’ils pouvaient, ils auraient des choses à raconter » (Gicelaine, quartier de la Londerie à Hem). Chez Coudsi et Herbin, ce sont les briques, typique matériau nordiste, qui racontent, ou en tout cas qui recueillent la parole des habitants. Une installation complexe et technologique (ce dont ils sont coutumiers) présente une trentaine de briques, coudsi4.1287698701.jpgallant du rouge vif au bordeaux, tournant sur elles-mêmes; un bras tourne autour d’elles, supportant un haut parleur et un stylet de gravure. De temps à autre, le bras se positionne, le stylet se pose sur une brique et y grave en code le texte d’une des quinze interviews (diffusées en même temps par le haut-parleur) que les artistes ont faites d’habitants, de maçons ou de l’architecte en charge de la réhabilitation (aisément reconnaissable, le seul à ne pas avoir l’accent chti’). C’est ainsi que la mémoire s’inscrit dans les pierres, c’est ainsi que les briques deviennent la chair, le coeur et le cerveau des habitants. Comme ils l’ont montré précédemment, ce couple d’artistes sait mettre des technologies liées au frottement, au mouvement et à la transmission, au service d’un travail de mémoire. Mais on ne sait pas lire ce qui est inscrit sur les briques : la trace y est trop grossière, et la machine à lire n’a pas encore été créée. Cette parole, recueillie avec émotion, est perdue, ensevelie, morte. C’est une installation qui ne peut pas laisser indifférent. Il y a aussi des photos (pas très chères, 800 euros) avec ces mêmes textes gravés sur leur surface, comme une surimpression d’un disque 45 tours en points et en creux plutôt qu’en sillons. 

thidet1.1287697728.jpgEnsuite, pour rester à la Cour carrée, la belle bibliothèque en merisier de Stéphane Thidet (chez Aline Vidal), titrée ‘Je vois qu’il y avait une maison et il me semble y avoir vécu’ : elle pèse une tonne, les ‘livres’ y sont des pierres de calcaire blanc, soigneusement rangées sur les étagères. Serait-ce que, là aussi, les pierres sont notre mémoire ? Ou bien, au contraire, notre culture se pétrifierait-elle sous l’emprise des conservatismes en tout genre ? L’artiste laisse bien entendu l’interprétation ouverte; un peu pessimiste après les débats de ces derniers jours, je penche pour la deuxième hypothèse. En tout cas, Stéphane Thidet (qui, lui aussi, est passé par Béthune) a, une nouvelle fois, réalisé une pièce très forte.

bertrand-lamarchereplique-2008-galerie-poggi-bertoux-72-dpi.1287697798.jpgEncore Cour carrée, dans une alcôve de la galerie Poggi et Bertoux, derrière les monochromes de Kees Visser, ce qu’on croit de prime abord être une vidéo de Bertrand Lamarche (Répliques) : on voit des volutes de fumée, mais trop géométriques, ou bien on discerne des représentations mathématiques tridimensionnelles, de la CAO peut-être, mais avec trop d’aléas, de différences, de discontinuités. Il faut alors, dans la semi-obscurité, regarder le mécanisme de production de l’image : non point un projecteur vidéo, mais une simple feuille de métal tendue sur un cadre, sur laquelle la lumière d’un projecteur se reflète, et qu’un bras mobile parcourt d’un mouvement circulaire; le déplacement de la tête du bras gondole la feuille de métal, la creuse, la tend, parfois de manière constante et parfois avec des tensions soudaines, des ruptures de continuité, et ce sont les mouvements à la surface de la feuille qui sont ainsi projetés sur l’écran (‘Baphomètre’). C’est un travail d’une simplicité extrême, où mouvement et écoulement du temps se transmutent en courbes et en lumière, changeant sans cesse. Là aussi, peut-être une forme d’écriture précaire. On reverra Bertrand Lamarche dans un module du Palais de Tokyo début 2011 et à la galerie au printemps 2011.

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Au Grand Palais, trois pièces d’artistes très connus, qui, parmi bien d’autres, ont attiré mon regard:
– la (bien connue) ‘Sculpture vivante’ de Piero Manzoni, en attente de quiconque voudra 15 minutes, ou plus, de gloire (Galerie Werner);
– une installation de branches et de verre de Mario Merz, aux deux tables de verre (bien pratiques) comme des tentacules (Galerie Kewenig);
kapoor1.1287698659.jpg– un Anish Kapour, ‘Slug’, chez Kamel Mennour* où la surface n’est plus lisse et brillante (seule la ‘bouche’ rouge, orifice inquiétant ou attirant, est restée d’une facture unie et brillante) mais couverte de traits, de dessins, de hiéroglyphes, de lettres et chiffres, comme des instructions mystérieuses, un plan, un code que nul ne saura déchiffrer.

slick1.1287697704.jpgÀ Slick, tout en admirant la mise en scène des lieux (ici, à côté de cette naïade allongée voluptueusement, les féériques photographies des sculptures de couleur d’Éric Michel aux Grands Moulins de Pantin, galerie Véronique Smagghe), j’ai acheté (60 euros) une kippa aux motifs de keffieh d’Émeric Lhuiset (galeries ArtabanZeitgeist) fabriquée à Musrara (Morasha) dans le no man’s land entre Jérusalem Est (Palestine) et Jérusalem Ouest kippa2.1287697490.jpg(Israël) (cet espace correspondant à l’épaisseur du crayon par lequel la ligne verte fut tracée en 1948) et je la mettrai sûrement à mon prochain voyage là-bas; cet artiste sait fort bien jouer de l’incongru et de la dérision face à la tragédie guerrière. Dans l’escalier (mais je n’ai pas de photos, hélas), je suis repassé plusieurs fois au sein d’une performance de Lisa Sartorio, Putain je t’aime : vingt hommes et femmes, alignés sur les marches, vêtus de noir et abrités sous des parapluies noirs (qui formaient un espace d’intimité, mais m’ont irrésistiblement fait penser à Spencer Tunick à Aurillac cet été) chuchotent aux passants se glissant entre eux, qui des mots d’amour et qui des mots de haine, équitablement répartis. Certains se hâtent pour échapper au supplice, d’autres jouissent lentement du plaisir d’entendre à gauche ‘mon bel amour’ et à droite ‘fils de pute’, l’imagination des diseurs étant d’ailleurs sans limites.

À Show Off, dans la seconde tente, dédiée aux grandes pièces, une belle installation féérique de Marie Hendriks (galerie Analix Forever; mais là aussi, pas de photos) et à Art Élysées, parcouru au pas de course, beaucoup de pièces modernes de qualité, mais peu de surprises. Restent à visiter, avant épuisement, la Bourse du Commerce, les Blancs Manteaux le quai d’Austerlitz, et peut-être le Point Éphémère : une overdose…

Photos de l’auteur, excepté Bertrand Lamarche (courtoisie de la galerie Poggi Bertoux). Piero Manzoni et Mario Merz étant représentés par l’ADAGP, les photos de leurs œuvres ont été retirées du blog au bout d’un mois.

* Le site de sa galerie est en cours de réfection, du coup je trouve cette interview de lui où il dit quelque chose que j’ai toujours ressenti : « Pour moi, une œuvre d’art quand tu as envie de l’avoir, c’est que tu as envie de la voler… tu te dis, je la prends et je pars avec. Parce qu’il y a quelque chose qui se passe. C’est cela, la collection. Un vrai collectionneur, c’est un cambrioleur. »

21 réflexions sur “Foires : l’overdose ?

  1. Les Tuileries dimanche après-midi s’il fait beau, promenade idéale, surtout si quelqu’un veut bien me prêter un landau avec un bébé dedans.
    Prix Duchamp : mon choix est fait, mais j’ai la chance d’écouter les quatre présentations au jury cet après-midi, ce qui me permettra de finaliser mon billet.

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  2. Je ne serai à Paris qu’un week-end pour la FIAC, et je crains effectivement l’overdose. Comparé à la situation déprimante de la Frieze, l’abondance de foires ne me semble pas nécessairement un problème (au contraire : elle témoigne d’un renouveau de l’art contemporain, à Paris & ailleurs)… Peut-être faudrait-il simplement que ces foires s’espacent ? La vitalité d’Art Paris justifierait peut-être qu’une ou deux des foires Off prennent place en mars / avril ? Sinon, l’an prochain, je passerai une semaine entière à Paris.

    Pour le Prix Marcel Duchamp : cette année je n’assisterai pas aux présentations du jury, par contre je serai là pour la remise du prix à 11 heures, demain : que le meilleur gagne.

    http://davidikus.blogspot.com

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  3. yan dit :

    FIAC 2010
    Je ne suis pas d’accord avec la pièce de Stéphane Thidet, la preuve il est obliger de plagier, mais cette foi ci ce n’est même pas du plagiat c’est un vol tout court sans vergogne. La pièce présentée sur le stand de la galerie Aline Vidal une bibliothèque garnie de pierres, est une contrefaçon d’une œuvre emblématique de l’Arte Povera :
    Ohne Titel (porta murata con pietre un armadio) 1969 de Jannis Kounellis .
    Collection : Migrosmuseum, Zürich

    voir ci-dessous la piece de Jannis Kounellis

    http://www.migrosmuseum.ch/de/ausstellungen/werke-in-ausstellungen/?tx_museumplus%5Bartist%5D=5506&cHash=d39a944d3d9f156aac2d3553888b1880

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  4. Par rapport à la pièce de Kounellis, je vois pas mal de différences. Kounellis montre la porte d’une armoire qui a été murée (et la nomme ainsi : porta murata con pietre un armadio), sa pièce évoque, pour moi, l’interdiction, l’impossibilité d’entrer, ce que je ne ressens pas du tout devant la pièce de Thidet, qui, à mes yeux, est clairement une bibliothèque, et évoque donc des références culturelles tout à fait différentes. Ce n’est sûrement pas un plagiat, et peut-être même pas une source.

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  5. lm dit :

    Bonjour,

    Je ne sais pas non plus s’il s’agit de plagiat ou d’un pur hasard, mais les kippas d’Emeric Lhuisset présentées à Slick sont exactement les mêmes que celle que j’ai réalisé il y a 10 ans http://l.mareschal.free.fr/pages/kippa.html

    Le plus étonnant c’est que je fais partie du même réseau d’artistes qu’Emeric et que nous avons exposé à deux reprises ensemble l’an dernier… Et si je lui demandais des royalties ?!!

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  6. Vintage Plissken dit :

    Je me méfie toujours des accusations de plagiat. Qui n’accuse-t-on pas de plagiat de nos jours ? Et encore plus quand ledit plagieur a du succès. Et comme si dans l’art il n’y avait pas tout un jeu de vases communicants, d’influences, de correspondances et de congruences. Il faut savoir comment une oeuvre est faite. Elle ne naît pas de rien. Découlant d’une culture, d’un terreau, d’un habitus. Il est normal qu’il y ait des points d’achoppement entre les oeuvres. Et ce depuis la nuit des temps.

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  7. LEVY dit :

    FIACARNAC
    Bien qu’ayant acheté un billet de 28€, je n’ai pas réussi à entrer au Grand palais ce dimanche, compte tenu de la longueur de la queue qui dépassait celle des acheteurs!
    Il s’agit donc bien d’une arnaque de la part d’une organisation qui vend plus de billets que de possibilité d’accéder à la manifestation.
    A quand une FIAC ouvrant le matin dès 10 h.?

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  8. Vintage Plissken dit :

     » Bien qu’ayant acheté un billet de 28€, je n’ai pas réussi à entrer au Grand palais ce dimanche, compte tenu de la longueur de la queue qui dépassait celle des acheteurs!  » (LEVY)

    Vous devez écrire aux instances dirigeantes de la FIAC (commissariat général) pour vous plaindre de cela. Ce n’est pas normal. 28 Euros, on est en pleine crise, en augmentation de tout (âge de la retraite, électricité, et j’en passe), c’est une somme, et en plus vous n’accédez pas au Grand Palais qui, quoiqu’on en dise, reste le plus intéressant de ce qu’il y a à voir à la FIAC. Cette année, des Mitchell, Penone, Warhol, Basquiat, Clark, Barré, Pincemin, Plensa… se donnaient à voir. Ca valait le détour. Mais 28 Euros, c’est trop cher. Bien évidemment. Et d’autant plus quand on rate le clou de la foire.
    Vous parlez de dimanche et, effectivement, vers 18h, j’ai vu une grande queue le long du Grand Palais. Les arts plastiques suscitent l’attention, peut-être parce que la sortie  » officielle  » (resto + film de 2 heures au ciné) lasse les gens qui ont envie d’inattendu, de nouveauté, de changements de rythme de loisirs, etc. On ne va pas s’en plaindre – je veux dire qu’il y ait du monde – mais c’est aux exposants et aux commissaires d’expos de mieux gérer les flux de visiteurs. Ca fait partie de leur métier, qui ne consiste pas à simplement accrocher des oeuvres et faire venir le maximum de gens pour alimenter a maxima le tiroir-caisse.
    Bref, LEVY, je vous rejoins entièrement.

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  9. d'T ela dit :

    Je suis étonné de ne voir quasiment aucune prise de position ou autre coups de cœurs de la part des « posteurs ». Alors, parmi les œuvres proposées à la Fiac cette année , Anish Kapour et l’installation/sculpture en spaghetti, Mounir Fatmi dans le jardin parce que question sculpture c’est pas la joie. Côté peinture/dessin, ce qui m’a interressé : Fabrice Hyber évidement, Gianfranco Baruchello et Peter Voigt et c’est à peu près tout de marquant. D’une manière générale,hormis quelques classiques faut pas trop bouger les neurones, de moins en moins de couleurs au profit du trop terne. Extraordinaire tirage de la fameuse gazinière d’Andréas Gursky qui là me scotche, c’est à peu près tout pour dire si c’est maigre. Un Basquiat fond de tiroir vraiment pas terrible et on est étonné ? Le corbu est un peintre valeureux, je ne le pense pas.
    Le pognon déployé par les galeries international-trucks devient indécent, leurs histoires v.i.p.-machins ridicules, un intervenant en direct à l’émission de France-Culture/ je sais pas qui c’est ce gogo mais y’a du soucis à ce faire.
    D’une manière générale, les jeunes, je ne vois vraiment pas où ils veulent en venir, c’est à peine si j’ai remarqué que j’avais transité par les 4 du passage Marcel Duchamp, tout ça pour pour dire si c’est la fête.
    prend du lof

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  10. laurent dit :

    Bonsoir,

    Je voulais juste revenir sur ‘mon accusation de plagiat’ qui comportait des points d’interrogation d’ailleurs… Il s’agissait des kippas créées par Emeric Lhuisset, montrées à Slick. J’ai parlé avec Emeric depuis et je suis absolument convaincu qu’il n’a en aucun cas copié la kippa que j’ai réalisé auparavant. Il s’agit effectivement d’une coïncidence comme il s’en produit parfois. Cette pièce s’inscrit parfaitement dans son parcours et je suis désolé si mon billet précédent a pu lui porter ombrage.

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