L’essentiel de l’exposition de Christo* au Centre Pompidou (jusqu’au 19 octobre) est une exposition documentaire sur l’emballage du Pont-Neuf. Vous y verrez des centaines de dessins et croquis plus ou moins techniques, de lettres, de photographies (avec Chirac, Debré, …), et même quelques morceaux de bâches ou de sangles. C’est fort intéressant, et bien documenté, mais ce ne sont que des miettes d’un projet qui n’a existé que parce qu’on pouvait l’expérimenter. J’habitais alors tout près et y passais plusieurs fois par jour, et ce ne sont pas ces interminables documents qui vont me faire rêver. Christo, finançant ses projets en vendant les dessins d’avant-projet, en réalisait des centaines, des milliers ; nous avons ici les invendus.
Ceci explique peut-être pourquoi il n’y a presque rien dans l’exposition sur le prochain emballage de l’Arc de Triomphe, prévu pour septembre 2021. Un petit photomontage de 1962 et une vidéo de Chisto travaillant sur le projet peu avant sa mort : le reste doit rester inédit pour pouvoir être vendu ? Il faut lire le numéro spécial de Connaissance des Arts pour en savoir un peu plus. La feuille de salle du Centre Pompidou se contente de nous rassurer : « La Flamme de la Nation devant la tombe du Soldat Inconnu continuera à brûler ». Ouf !
On y apprend aussi que Christo voulait n’avoir à Pompidou qu’une exposition documentaire sur le Pont Neuf et que le Centre a insisté pour montrer aussi des oeuvres de sa période parisienne de 1958 à 1964, qui sont rarement exposées, restant dans l’ombre des grands projets d’emballage. On ne connaît guère que la performance de barrer pendant quelques heures la rue Visconti avec des barils (avec la complicité de Jeanne-Claude, bien sûr, qui négocia avec les policiers venus démonter la barricade à 1h du matin), vague évocation du Mur de Berlin alors en construction, mais vraie intervention de Land Art urbain agressif.
Principalement deux tendances dans ces oeuvres. D’abord, empaqueter des objets divers et variés, qui restent plus ou moins reconnaissables : petites boîtes, bouteilles, chaises, poussettes, barils, tableaux, …, avec du tissu, du papier, du plastique, de la laque, du sable, de la poussière, des ficelles. C’est un jeu de texture, de brillance, de couleurs, un travail qui se relie à toute l’histoire du drapé : on aurait aimé davantage de références dans l’exposition, par exemple à Sansevero, à Clérambault ou à Giacometti (chez qui le jeune Christo vit les sculptures de glaise enveloppées dans des linges humides pour ne pas sécher), ou, même, audacieusement, à Judith Scott, lointain parentage obsessionnel. Mais rien de cela n’est évoqué ici, et l’accrochage est bien sage, bien linéaire.
Dans la même veine, des vitrines camouflées, comme un empêchement, un déplacement : alors que les objets étaient reconnaissables, ici, de l’intérieur, nous ne saurons rien, comme pour l’objet d’À bruit secret.
L’autre série, qui n’a pratiquement jamais été montrée, comprend des toiles matiéristes, trouées, déformées, boursouflées, triturées, quasi tri-dimensionnelles. Christo fut inspiré par Dubuffet, dit-il, mais on peut aussi voir des parentés avec Fontana en moins lisse (Fontana fut la seconde personne à lui acheter une oeuvre en 1958), avec Burri en moins audacieux ou avec Millares en plus calme. C’est ce qui m’a le plus intéressé dans cette exposition un peu trop convenue.
- oui, je sais, il faut être politiquement correct et dire « Christo et Jeanne-Claude », la responsable marketing, RP et finances ayant désormais le même poids que le créateur. Un peu comme les vêtements Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé, ou les romans de Virginia et Leonard Woolf, ou de George Sand et Alexandre Manceau …