Sommaire de juillet 2012

22 billets ce mois-ci
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2 juillet   : KBK, la couleur-matière (Klein, Byars, Kapoor)
3 juillet   : Voir Versailles grâce à Vasconcelos (English)
4 juillet   : Atget : Paris et quoi d’autre ?
5 juillet   : Danse et distorsion à la MEP (Thorel & Nassif)
10 juillet : Théâtre aux Églises (Soraya Rhofir)
11 juillet : Ces migrants que nous ne voyons pas (Nikolaj B.S. Larsen)
12 juillet : Observation et surveillance (Laurent Grasso)
13 juillet : Le mystère Gasiorowski, destructeur de peinture (English)
16 juillet : Performances azuréennes
17 juillet : Collages en tous genres
18 juillet : Les artifices de Stéphane Couturier
19 juillet : Bourdieu photographe documentariste en Algérie * (English)
20 juillet : Le prix Marcel Duchamp, avant-première (English)
23 juillet : Les chevaux de frise de Claude Lévêque
24 juillet : Le Maghreb entre histoire et modernité, double révolution
25 juillet : L’art contemporain emménage au Château
26 juillet : Nils Udo, une marque dans le paysage
27 juillet : Arles, une École, pas d’école (1)
28 juillet : Arles, une École, pas d’école (2)
29 juillet : Questionner la photographie (Arles 3)
30 juillet : Alors, des découvertes à Arles ? (4)
31 juillet : Collections et photographie oulipienne (Arles 5)

  • billet le plus lu (29 009 fois), le plus commenté (53 fois) et mis en avant sur le site du monde.fr

Collections et photographie oulipienne (Arles 5)

Histoire de la forêt qui se venge, vue d'expo Alinari

Ce n’est pas très facile de montrer des collections, de créer un parcours intéressant au milieu d’archives, aussi riches soient-elles, et la plupart des expositions montrées à Arles n’y parviennent pas très bien. Passons sur l’incompréhensible ‘Documents pour une réalité contemporaine‘ au discours confus et sur la représentation du mannequin au Musée Galliera, banale en diable. L’hommage à Contrejour et à Claude Nori célèbre un magazine et un mouvement, d’intérêt historique certes, mais l’exposition elle-même est plate et ennuyeuse. La collection Jan Mulder est un bric-à-brac de photographies latino-américaines, parfois très bien individuellement, mais assemblées sans logique ni contextualisation sous des titres pompeux  (Cinéma de rêve, Icônes résiduelles,…) où rien ne retient vraiment l’oeil. Beaucoup plus intéressante (et souvent drôle) est l’exposition des collections de la Société Française de Photographie*, montrant les ‘premières fois’ : si les premières fois techniques, aussi impressionnantes soient-elles, ne sont pas toutes aisément compréhensibles par un néophyte en techniques photographiques du XIXème (certaines auraient sans doute mérité un peu plus de vulgarisation), les ‘premières fois’ d’usage sont passionnantes : premières photographies documentant une interview (d’Eugène Chevreul à 100 ans, théoricien des couleurs, qui inspira le pointillisme), première photographie aérienne (de Nadar), première transmission, premier instantané, première microphotographie d’un pou, pigeon-gramme (pendant le siège de Paris en 1870)… Et, ci-dessous, cette première tentative de rendre la réalité en trois dimensions : à partir d’un stéréogramme, un anaglyphe de Léon Gimpel, innovateur tous azimuts mais toujours en marge. (Euh ? anaglyphe ? stéréogramme? Ah, merci !)

Léon Gimpel, Intérieur de char d'assaut type Saint-Chamond, d'après le stéréogramme du Lt. H. Allard, Anaglyphe

Vue d'exposition Alinari

Alors, c’est un peu en trainant les pieds qu’on va voir la collection Alinari : bon, je vais souvent visiter leur musée florentin, je connais plus ou moins bien les thèmes de la collection (tourisme et histoire italienne), je vais m’ennuyer au bout d’un quart d’heure. Et j’y reste deux heures, et je cours ensuite à la librairie d’Actes Sud, et je me dis que je dois retourner à Arles avant le 23 septembre, pour revoir cette exposition et elle seule ! Que s’est-il passé ? Simplement le travail intelligent, reconstructif, décalé, cultivé et ironique d’un commissaire, Christophe Berthoud, qui, plutôt que nous infliger une série morne d’images au mur, s’est évertué à en proposer une lecture différente, aux antipodes des approches habituelles des curateurs ‘classiques’ (on se prend à rêver à une démarche similaire, disons, au Louvre…; d’ailleurs Calvino a dit : « le tour de passe-passe qui consiste à aligner des tarots pour en tirer des histoires, je pourrais aussi le réussir avec des peintures de musées »). Son parti-pris (car c’est un parti-pris, un regard imposé du commissaire) a été de partir du livre d’Italo Calvino (Le Château des destins croisés, hélas épuisé en français; je le lis lentement en version originale), et en particulier de sa deuxième partie, La Taverne : des voyageurs égarés, ayant échappé à une catastrophe, se retrouvent dans une auberge, mais ils ont perdu la parole. Heureusement, sur la table de la taverne, est étalé un jeu de tarots marseillais; chacun s’empare des cartes pour raconter son histoire, que les autres déchiffrent tant bien que mal.

Histoire de l'indécis, vue d'expo Alinari

Et c’est ce que Christophe Berthoud a fait avec les photographies de la collection, raconter (non, même pas raconter, évoquer, faire deviner) les histoires contées dans La Taverne, les illustrer avec des images de la collection, comme un roman-photo sans texte. Rares seront les spectateurs capables de tout déchiffrer : il faut avoir lu Calvino et connaître le sens des cartes du tarot, ‘images en quête de lecteurs comme les personnages en quête d’auteurs’ (Dominique Demartini). Mais c’est justement cette difficulté à tout comprendre, cette quasi impossibilité à rendre compte, cet effort constant mais léger de déchiffrement, voire de divination, qui font le charme de cette exposition, et qui amènent ensuite à s’interroger sur la représentation, l’interprétation et leurs limites. Serait-ce la première exposition de photographie oulipienne ? L’histoire ‘de l’indécis’ (début ci-dessus) conte les déboires d’un jeune homme, incapable de choisir entre deux femmes, partant à l’aventure et toujours incapable de se décider.

Histoire du guerrier survivant, vue d'expo Alinari

Dans l’histoire ‘du guerrier survivant’ se succèdent la cascade des murmures, l’assez laide Gallinetti, alanguie sur un Récamier, livre à la main et téton à l’air, et Garibaldi toujours digne : quelle histoire imaginer avant de lire le récit ? quel rébus est-ce là ?

Moi aussi, je veux raconter la mienne, vue d'expo Alinari

On voit aussi l’Institut de physiothérapie Ettore Gabbrielli de Florence et sa collection de prothèses en tout genre, illustrant l’histoire ‘du règne des vampires’, dominée par l’Arcane 13, et un thermoscope à air, du Musée de la Science de Florence, en support de ‘deux histoires où on se cherche pour s’y perdre’. Et je ne sais par quelle magie narrative ‘moi aussi je veux raconter la mienne’ permet de juxtaposer ces soeurs thérésiennes et une comédienne au sein nu brandissant une hâche.

Torre del Filosofo, 1895, coll. Alinari

Enfin, ‘trois histoires de folie et de destruction’ offre une vue de la Montagne du philosophe dans l’Etna, cendre noire et champs de neige, avec ce randonneur solitaire, de dos, tragique. Au mur, cette citation de Macbeth par Calvino à la fin du recueil : « Je commence à être las du Soleil et souhaite que se casse la syntaxe du Monde : que se mêlent les cartes, les feuilles de l’in-folio, les fragments de ce miroir du désastre ».

Cassons la syntaxe du monde ! Cette méta-narration offrant des pistes multiples, cette revisite guidée des collections selon un schéma contraignant, cet hommage indirect à Calvino, m’ont enchanté. Une des rares expositions qui sauvent ces Rencontres…

  • Notice de conflit d’intérêt : l’auteur du blog est également trésorier de la SFP
    Sixième et dernier billet sur Arles demain matin.

Photos de l’auteur (médiocres, mais interdites dans cette exposition, et donc prises à la va-vite…), excepté Gimpel (courtoisie des Rencontres) et la dernière, à la provenance clairement indiquée…

Alors, des découvertes à Arles ? (4)

Osama James Nakagawa, Gama 9, 2010

Eh, bien, ayant loupé la première semaine et toutes les manifestations « off », souvent beaucoup plus intéressantes, pas tant de découvertes que cela. Commençons par le Prix Découverte : il a été attribué à Jonathan Torgovnik pour son reportage sur les Rwandaises violées et leurs enfants. Sujet difficile et émouvant, beaux textes de témoignage à côté des photos, mais les photographies elles-mêmes sont de plats et banaux portraits de reportage, sans recherche, sans grande profondeur : visiblement, les électeurs ont fait un choix très humaniste, très politiquement correct, mais pas très photographique. Parmi la sélection, à part le parochialisme qui fait que le commissaire finlandais a proposé trois photographes finlandais, et l’Américain trois Américains (dont Sam Falls, évoqué hier) [Les Rencontres ne devraient-elles pas instituer une règle pour empêcher ces petits arrangements entre amis et encourager plus de découvertes ?], mes propres choix

Nadège Mériau, Au centre de la terre 1, 2011

ont assez vite été faits : ni l’histoire futile du météorite de Régine Petersen,  ni le porno désincarné derrière les rideaux d’Eva Stenram (mais c’est drôle !), ni les portraits de Nelli Palomäki, ni les photos de ses propres dessins que fait Jaana Maijila, ni les petites compositions d’Anni Leppälä, ni les nouveaux Robinsons de Lucas Foglia, ni le travail sur l’identité musulmane des frères Essop, ni le militantisme LGBT de Zanele Muholi, ni le sujet bateau de la vie quotidienne au pied d’un réacteur par Chu Ha Chung, ne m’ont très longtemps fasciné : trop simplistes, trop convenus, manquant de recherche ou de densité. Je me suis davantage intéressé au travail de Sammy Baloji sur le Congo, les mines de Kolwezi, où la juxtaposition de deux registres d’images fait bien ressortir une tension ‘néo-coloniale’, et aux recherches sur la matière, lave, pourriture, moisissure, de Hannah Whitaker.

Nadège Mériau, Grotto, 2011

J’ai longtemps hésité devant le travail de la Carthaginoise londonienne Nadège Mériau, photographe de nourriture. Il ne s’agit pas de la pathologie des dîneurs photographes compulsifs, ni de ce festival, ou, pire, des images bien léchées et mièvres de ‘photographes plasticiens‘ mondains photographiant joliment la ‘sublime, forcément sublime’ cuisine d’un grand chef. Non, Nadège Mériau photographie vraiment la bouffe, de tout près, ses filaments, ses gruaux, ses adhérences, sa pesanteur, sa matérialité : c’est intime, viscéral, muqueux, intra-utérin comme elle dit, ça ne met guère en appétit, certes, mais c’est superbe, mystérieux, dans une double pulsion de dégoût et de fascination, de contemplation et de curiosité (est-ce un potiron, là ? devrais-je en parler à mon psy ?). À suivre.

Osamu James Nakagawa, Benta, vue d'expo

Osamu James Nakagawa, Gama 21, 2011

Mais, au final, j’aurais voté pour Osamu James Nakagawa, un Américain d’origine japonaise, biculturel, qui présente des photographies de grottes et de falaises de l’île d’Okinawa : en fait, certaines de ses images ne sont pas très différentes de celles de Nadège Mériau, des intérieurs humides, sombres, aux éclats de lumière incertains, des formes dont on ne sait si

O. J. Nakagawa, Okinawa 7, Banta, 2008

 

elles sont minérales ou végétales, avec des reflets incompréhensibles, des endoscopies tourmentées. Nul besoin de remonter à Platon, ni à Courbet, de rapprocher grotte et vagin, ces grottes ‘gama‘ sont des sanctuaires des esprits. Quels esprits ? Ceux des temps mythologiques, ou ceux qui, pendant les combats de la 2ème guerre mondiale, furent tués ici ou se suicidèrent ? Sa deuxième série, ‘banta‘, évoque plus directement ces suicides d’hommes et de femmes qui, pour échapper à la mort, au camp ou au déshonneur, se jetèrent en grand nombre du haut des falaises d’Okinawa : ces images-ci sont verticales et leur hauteur évoque le plongeon, la chute, la peur. Leur texture, ici zébrée de rouge (sang des désespérés ou rouille des obus), en fait aussi des matières étranges, entre-deux, et leur beauté est aussi terrifiante. Ce travail m’a semblé être celui qui combinait le mieux, parmi ces quinze nominés, une dimension historique poignante et une recherche esthétique formelle.

Pierre Clauss, Sans identité, 2010

Un autre endroit de découvertes est l’exposition d’une quarantaine de photographes passés par les Réflexions Masterclass organisées depuis 2002 par Giorgia Fioro (dont je ne connaissais que le travail sur les pèlerinages), où la recherche et la réflexion semblent plus élaborées, la cohérence chaque année autour d’un thème assez général (Shadow, par exemple) mieux établie. J’y ai noté, entre autres, l’intelligent travail sur le voile de Laura El Tantawy et l’inscription du corps dans le paysage urbain de Anna di Prospero. J’ai surtout remarqué un mur de Pierre Clauss sur 312 sans-papiers reconduits à la frontière et expulsés, 312 ‘portraits’ de rideaux de photomaton tamponnés ‘expulsé’ : au-delà du discours moral et politique, une interrogation sur l’image et son identité, et, ici, leur négation. Et de Modi (Anne-Lise Cornet), cette composition si classique, christique et en

Modi, Les possibles, 2010

même temps sacrilège, de son corps nu, visage caché, comme offert sur un autel dans l’abside lépreuse d’une église en ruine, fenêtres murées, trappe trop parfaitement carrée au sol, et la touche d’inquiétude qui vient de la peinture bleue sur ses pieds et ses mains : image mystérieuse et révélatrice à la fois.

Enfin, troisième endroit où découvrir de jeunes talents inconnus, l’exposition SFR Jeunes Talents, avec quatre photographes:
Julie de Varoquier, la plus connue, propose des images oniriques, nuageuses, somme toute assez convenues;
John Thackwray répète à l’infini un procédé éculé, la prise de vue d’une chambre en plongée;
Bertrand Noël montre des jeunes femmes qui posent, figées comme des mannequins en plastique,  détournant le regard;

Julien Dumas, None Ethnie, 1 à 5 (Lucile, X, Candice, Lala & Diem Le)

  • j’ai surtout aimé Julien Dumas pour un travail sériel très rigoureux (je préfère toujours le

Julien Dumas, None Ethnie, 2

discours de la méthode…) : dix jeunes femmes dans une pose identique, assez hiératique, debout, de face, torse et visage découverts, vêtues d’un voile sur la tête et d’un drap ceint autour des reins dans le même tissu sommairement coupé en coton beige clair, chacune tenant une branche de cotonnier avec cinq fleurs blanches (le seul blanc de la photo, dit Christian Caujolle; pas de noir non plus…) disposées de manière assez similaire, nous fixent de leurs yeux minuscules ou immenses, bridés ou ronds, bleus ou sombres. Dix séductrices ou dix nonnes, dix vierges voilées dénudant leur sein. Une gradation de dix peaux, du lait à l’ébène; la seconde, ci-contre, a des marques de décoloration, la septième, ci-dessous, Arabe

Julien Dumas, None Ethnie, 7

peut-être, a un tatouage sous le sein gauche. Une rangée de dix visages, ronds, ovales ou triangulaires, de dix paires de lèvres, fines et serrées, ou grosses et épatées. Dix paires de seins, portés haut ou tombant, menus ou lourds, aux aréoles discrètes ou étendues. Tout un blason du corps féminin, une encyclopédie des peaux, des types, une variation sur la teinte, une universalité féminine. Dix beautés, dix puretés, dix désirs. Ce pourrait être un travail amusant et superficiel; il faudra voir comment Julien Dumas, qui me semble avoir été jusqu’ici plutôt portraitiste ‘mode’, évoluera, au delà du simple procédé. Ce pourrait être simplement un discours ‘antiraciste’ sur la beauté universelle, et ce serait déjà pas mal (mais un peu ‘toscanien‘). Mais c’est aussi peut-être l’amorce d’une réflexion sérielle, voire conceptuelle qui n’aurait pas oublié d’être sensuelle, qui semble d’excellent augure. C’est tout le charme des découvertes que de faire ces paris sur l’avenir…

Julien Dumas, None Ethnie, 6 à 10 (TKS, X, Haby, X & Tatianna)

Photos 4, 7 & 10 de l’auteur; photos 2, 3 & 6 courtoisie des Rencontres; autres photos provenant du site des artistes.

Questionner la photographie (Arles 3)

Isabelle Le Minh, Lointain si proche, Made in China, 2012, vue d'expo

Bruce Chen, Lin Chin Jang, Ye Jian avec leurs peintures, Shenzhen, 2012 (Isabelle Le Minh)

Quelques rares artistes (sont-ils encore photographes ?) détonnent au milieu de ces Rencontres un peu insipides, car leur travail questionne l’idée même de photographie. Au premier rang, Isabelle Le Minh, une ancienne élève de l’ENSP, qui déconstruit en une dizaine de séquences tout le dispositif photographique, appareil, pellicule, développement, et tous les concepts sur la photo, index, aura et représentation. L’appareil lui-même, merveille de complexité technique vantée par ses fabricants : elle en fait peindre les carcasses et les pentaprismes (tels des diamants biscornus) à Shenzhen par des tâcherons chinois, les mêmes qui reproduisent les tableaux occidentaux à la chaîne. C’est un clin d’oeil à Alighiero e Boetti, qui faisait produire ses tapis par de petites mains afghanes, mais aussi à Benjamin : y a-t-il de l’aura dans cette peinture reproductible ? Est-on très loin de la destruction de la photographie par Mr. Pippin ?

Isabelle Le Minh, Just an Illusion, 2008

La pellicule ? Un objet en voie de disparition : prendre un film vierge, sans images, le développer, le découper pour en faire une ‘sculpture’ composant le mot illusion, et rendre ainsi hommage aux Word Paintings d’Ed Ruscha. Image absente à imaginer, illusions d’images. Chez Isabelle Le Minh, l’hommage est toujours présent, et toujours, sinon ironique, en tout cas décalé (voir sa série, non présentée à Arles, sur Cartier-Bresson et la négation de l’instant décisif).

Isabelle Le Minh, Darkroomscapes, 2012, ph. Journal de la Photographie

Le développement ? On peut le mettre en relation avec un aphorisme yoga (toute une série sur ce thème : des images ‘techniques’ d’un vieux manuel de photo sous-titrées de préceptes tirés du Yoga Sutra de Patanjali, en hommage à The Goya Series de John Baldessari), ou bien on peut photographier les bains de tirage dans la chambre noire, au moment où le tireur attend, espère, s’inquiète peut-être, médite, soumis au ‘temps argentique’ qui bientôt ne sera plus qu’un souvenir ancien. Ce moment de méditation renvoie aux photos océaniques de Hiroshi Sugimoto, la surface du révélateur dans la cuvette devient la ligne d’horizon de l’océan. Les légendes sont du type : « Formule Anallergique (Génol 1.8g, Chlorhydroquinone 5.5g, Sulfite de sodium anhydre 25g, Carbonate de sodium 20g, Bromure de potassium 0.4g, Eau 1000ml) » ; les tireurs apprécieront…

Isabelle Le Minh, Re-Play, 2009

Les clichés ? Un mur entier de photographies de petit format, type album de famille, épinglées face au mur (hommage à Christian Marclay qui réalisa une installation similaire à Berlin en 1994), quelques-unes avec des annotations au dos. Il faut prendre du recul dans cette étroite salle, cligner un peu des yeux, accommoder, et alors se détache, en tons plus marqués, le mot MORE : comme si chaque image était un pixel, comme s’il en fallait toujours plus.

Isabelle Le Minh, I'll be your mirror, 2008/2009

 

Il y a aussi dans cette exposition des doigts-index, des ‘délusions’ platoniciennes, des jumelles atomiques, une camera (oscura) obscura et cet étrange diptyque enroulé autour d’un mur  : d’un côté le photographe regarde le monde, vers le passé peut-être, et la petite fille nous regarde, vers le futur (?); de l’autre, les postures sont inversées. C’est une mise en abyme du processus photographique et nous pénétrons au sein même de l’image : mieux la maîtriser ou en être les prisonniers ? Lire le catalogue édité par la Galerie Christophe Gaillard.

Jean-Christophe Béchet, Accidents, vue d'exposition

Si l’approche d’Isabelle Le Minh est une manière conceptuelle de questionner la photographie, dans la lignée de Hilliard ou de Mulas (comme Bonillas), d’autres le font ici de manière plus matérielle. Jean-Christophe Béchet, lui aussi ancien élève et par ailleurs un photographe classique et respectable, a choisi de ruer dans les brancards au milieu de ces célébrations : il ne montre ici que des Accidents, des photos ratées, des pellicules brûlées, des doubles ou triples expositions, des déchirures, des amorces (comme Silvio Wolf), des superpositions, des images mal fixées qui se décomposent. L’intérêt est que rien de tout cela ne fut voulu, ce sont de vrais accidents, aux antipodes du photoshoppage délibéré, construit, artificiel (comme, par exemple, le travail voisin de Marina Gadonneix). Évoquant l’éponge de Protogène, il dit « La découverte d’un accident réussi offre une respiration de bonheur. »

Sam Falls, vue d'exposition

Par certains aspects, le travail de Sam Falls, présenté pour le Prix Découverte, est aussi un questionnement de la photographie, aux lisières de la peinture abstraite, dans des compositions rigoureuses et lumineuses.

Enfin, pour conclure cette interrogation, revenir aux techniques anciennes de la photographie est un chemin souvent emprunté. Sylvia Ballhause (lauréate du Photofolio Review l’an dernier; exposition jusqu’au 19 août seulement) revisite le Triptyque Daguerre de Munich, dont l’original ne montre quasiment plus rien, et que l’on connaît uniquement par ses reproductions passées : l’artefact est plus visible que la représentation première, dont ne subsiste qu’un bruit de fond inaudible, invisible. Utilisant un appareil photographique capteur d’aura, elle tente d’enregistrer et de montrer l’aura des sujets qu’elle photographie (ci-dessus). Ses photographies quasi noires ne livrent une représentation que vues sous un angle précis, rasant, impossible. Que faire quand le matériau photographique lui-même vient perturber l’image, l’obscurcir, la flouter, la faire évanouir, quand la matérialité même du support de l’image devient la seule réalité qu’on puisse appréhender, aux dépens de toute représentation ?

Dans la fadeur d’Arles, ces quatre moutons noirs apportent un vent de rébellion et de fraîcheur.

Photos 1, 2, 7, 8, 9 &10 de l’auteur; photos MORE (Le Minh) et Ballhause 2 courtoisie des Rencontres; photo Darkroomscapes provenant du Journal de la Photographie. Sylvia Ballhause étant représentée par l’ADAGP, les reproductions de ses oeuvres ont été ôtées du blog à la fin de son exposition.

Arles : une École, pas d’école (2)

Vingt-cinq photographes diplômés de l’ENSP ont donc été choisis pour représenter les 674 anciens de l’École : rien ne sert de dire qu’on aurait aimé un tel plutôt que une telle, puisque le choix a été éminemment subjectif, et assumé comme tel. Faute de ligne directrice, place à la diversité : c’est ainsi que cohabitent, dans cette sélection, toutes sortes de sujets et de styles. Est-ce un portrait fidèle de la diversité de la scène photographique française ? Je ne sais. De deux d’entre eux, à la problématique très particulière, je parlerai demain. De certains, je ne dirai rien. De deux autres, dont je suis un grand fan, je me réjouirai simplement de les voir là, sans trop m’étendre ici tant je l’ai fait avant : Valérie Jouve montre de nouvelles photos de Jéricho, où elle vit désormais à temps partiel, à côté de photos marseillaises plus anciennes, qu’on ne sait pas toujours distinguer sans lire les légendes; il s’agit toujours de l’inscription de l’homme dans le paysage, dans la ville, d’une immersion, d’une expérimentation, et, au fil des ans, son propos se fortifie, ses images se renforcent, la Palestine donne une nouvelle dimension à son travail.

 

. Du plus connu des diplômés avec Valérie Jouve, Bruno Serralongue, on voit un travail, certes toujours politique, mais plus lointain, un reportage sur la construction d’un pays, le Sud-Soudan : la distance nuit peut-être à l’empathie, mais la construction de la série est remarquable.

Grégoire Alexandre, vue d’exposition

J’ai été assez peu sensible au jeu sur la mode et l’artifice intellectualisé de Grégoire Alexandre, et pourtant ces deux photos de silhouettes de femmes nues cernées de traits en fil de fer qui les dédoublent et les auréolent créent une belle composition formelle sur le vide et le plein, l’opaque et le transparent, de loin les meilleures photos de son exposition (jusqu’au 2 septembre).

 

Mehdi Meddaci présente sur cinq écrans un remontage de scènes du tournage de son film Tenir les Murs, où le regard, la voix, la narration sautent sans cesse d’un écran à l’autre, de la banlieue au bateau, à la mer, à Alger; points de vue, personnages, temps passent d’un écran à l’autre, au sein de ce mur de

Mehdi Meddacci, Murs

signes. À un moment, un vieil Algérien digne et sombre, au visage buriné, tout vêtu de noir comme un Ange de la Mort, marche sur cette passerelle peinte en bleu au dessus des rails, et tous s’effondrent gracieusement au sol à son passage. C’est comme si la fiction, elle aussi, s’effondrait, c’est une histoire de déplacement, de vacillement, de déconstruction d’une histoire d’attente et d’errances (et l’omniprésence de l’attente est sans doute ce qui le différencie de la première référence multi-écrans à laquelle on penserait, Melik Ohanian).

Olivier Cablat, Egypt 3000

Citons encore rapidement les essais sur le portrait d’Aurore Valade, les paysages islandais hors échelle de Pétur Thomsen, les sommeils, limbes et autres esprits flottants de Jean-Louis Tornato, le travail sériel sur le passage du temps et des saisons en Ardèche (et, accessoirement, la manière dont les éoliennes y défigurent la nature) de Bertrand Stofleth & Geoffroy Mathieu, les lieux de mémoire revus par Monique Deregibus & Arno Gissinger, et surtout le travail de l’entomologiste-archéologue-collectionneur-humoriste Olivier Cablat, qui, l’an dernier, montrait une superbe typologie de têtes de footballeurs et qui, cette année, nous régale d’archéologie égyptienne. Plus deux autres, décalés, demain.

Allez, un regret, un rajout plutôt : il faut aller dans les salles du Musée Réattu, hors du Festival donc, pour voir la superbe vidéo de Sterenn Donnio, diplômée l’an dernier, « Anastylose, ville éphémère » (2011), une ville de glace qui fond et se reconstruit, encore et encore, travail sur la ruine et le palimpseste, d’une beauté et d’une sobriété remarquables (anastylose ?)

Marie Brosillon Schneider, Le naufrage, vue d’écran

Et les élèves actuels ? Les 23 diplômés de l’année sont là, et ici aussi, la diversité est extrême, c’est normal pour une exposition de promotion. Quelques-uns de mes découvertes et coups de coeur :
–      Mouna Saboni s’est intéressée au fait que la mer est visible depuis les collines de Palestine, mais inatteignable : absurdité et révolte;
Marion Normand a (inconsciemment ?) revisité Walid Raad (Dr Fakhouri’s Notebook 72) : la résilience irrationnelle des parieurs de l’hippodrome de Beyrouth, une autre manière de se rétracter face à la catastrophe;
Marie Brosillon-Schneider poursuit un travail très pur, très extrême et dépouillé (Le Naufrage, en 396 photos d’un avion traversant un ciel bleu et une vidéo);

Lore Stessel, Winksele, Belgique, 2011, 140×180

  •  j’avais déjà remarqué les portraits de Laure Ledoux à Montrouge, ici ce sont des kick-boxers après l’effort;
  •  Marie Sommer photographie les bâtiments fantômes de l’île de Rügen sur la Baltique, de sinistre mémoire (mais Gabor Ösz est déjà passé par là…)
  •  et ma préférée est Hannelore Stessel et ses grands portraits sombres, évanescents, images au bord de la disparition, photographies tirées sur des toiles, questionnement de la représentation (mais, de cela, nous reparlerons demain).

Photos Jouve et Meddaci courtoisie des Rencontres; photo Stessel provenant de son site; autres photos de l’auteur. Valérie Jouve étant représentée par l’ADAGP, la reproduction de son oeuvre a été ôtée du blog à la fin des Rencontres.

Arles : une École, pas d’école (1)

N’ayant pu aller cette année à la semaine inaugurale des Rencontres d’Arles (jusqu’au 23 septembre, sauf mention contraire), celle pendant laquelle tout le ‘off’ se montre, avec souvent de belles découvertes, j’ai dû me contenter de la programmation officielle. Comme les années précédentes, mais cette fois sans l’excitation des découvertes de nouveaux talents dans des lieux improvisés, j’en repars avec un sentiment de lassitude. Ce Festival est trop gros, trop dispersé, trop subventionné sans doute, il montre trop d’expositions de

Arnaud Claass, ST, série Mémoire vive, Nice, 2003.

qualité moyenne, il n’a pas d’argument clair, de ligne directrice. S’y côtoient des photo-reportages, parfois pas mal, parfois moins, sur tout et n’importe quoi, (d’un film interminable sur les Kerguelen à la campagne de Hollande, de lieux de mémoire cent fois revisités au pittoresque caucasien, entre autres), l’intellectualisation de l’artifice des photos de pub et de mode, des portraits en situation d’une banalité ennuyeuse en diable, etc., toutes tentatives désespérées d’avoir une voix, une spécificité comme si toutes les photos avaient déjà été prises, comme si la plupart ne savaient que répéter, soumis au dictat de leur appareil.

Christian Milovanoff, Bateau, série Attraction, 2011/12

De plus, cette année, le festival célèbre les 30 ans de l’École de la photographie, et (on le savait, mais, ici, la démonstration crève les yeux) s’il y a bien une École à Arles, il n’y a pas d’école, on n’est pas à Düsseldorf ou à Helsinki ici, chacun suit sa voie, sa diversité, ce qui est très bien en soi, mais si on veut faire une exposition plus dense qu’une simple juxtaposition, où en trouver l’argument ?

Alors ? Alors je ne vais parler que des quelques expositions qui émergent à mes yeux, d’où l’on sort plus intelligent ou plus ému ou plus curieux qu’en y entrant, et, en les recensant, tout un chacun pourra calculer le pourcentage, par rapport aux 70 expositions présentées cette année…  Ceci dit, il y a matière à quatre ou cinq billets, quand même.

Alain Desvergnes, Rentrée à l'Université du Mississippi, 1963

Eh bien, commençons donc par l’École, ses anciens élèves et, d’abord, ses professeurs. Les trois professeurs présentés ici sont tous trois de grands photographes, nul doute : la poétique du quotidien d’Arnaud Claass, le montage-archivage de Christian Milovanoff (au Musée Réattu, jusqu’au 14 octobre) et l’hommage nostalgique au monde de Faulkner et au Sud des États-Unis d’Alain Desvergnes forment trois belles expositions, mais sans grande surprise. Après les Blanches en robes ‘revival’ et les Noirs à la guitare, après la paisible rentrée des étudiants blancs à l’U. Mississippi en 1963 (ci-contre : nul écho de James Meredith), il faut aller tout au bout de son exposition pour sursauter enfin un peu devant

Alain Desvergnes, L'écran de cinéma du Roi Farouk à Alexandrie, 1982

une photographie de Desvergnes, reléguée au milieu des icônes et des idoles : l’écran de cinéma du Roi Farouk, sans doute dans le parc de son palais à Montazah près d’Alexandrie (1982). C’est un écran de pierre, envahi par la végétation, apujourd’hui inutile, dont nul passant ne sait plus la fonction, vestige d’un monde ancien, trace archéologique de passions disparues, celles du Roi et celles des acteurs projetés là : je l’ai trouvé très symbolique, à l’heure du numérique, des nouveaux médias, des réseaux sociaux et autres tendances qui furent très à l’honneur ici l’an dernier (et ont complètement disparu cette année…).

Mais, dans le corps professoral, c’est une enseignante plus récente qui a attiré mon regard. Muriel Toulemonde montre, à la galerie Arena (jusqu’au 2 septembre), deux facettes de son travail sur le mouvement :  l’une, physicienne, incessante, rythmée, sonore, a été filmée dans un laboratoire de physique des fluides à l’ECN et on regarde jusqu’à l’épuisement pendant vingt minutes ces vagues sinusoïdales d’une beauté abstraite et futuriste, hésitant entre réalité et synthèse (Théorie des vagues, 2011). L’autre est physique, archéologique, chorégraphique, mystérieuse : filmée dans un stade antique (à Delphes, je crois) , Atalante (2004) montre le corps musclé et sensuel d’une athlète en mouvement, dans un mouvement dix fois recommencé, courant obstinément pour tenter vainement de gonfler une voile dans son dos, contrainte qu’elle s’impose pour s’entraîner (l’héroïne Atalante n’accepta d’épouser que l’homme qui la battrait à la course, mais fut séduite par les pommes d’or d’Hippomène). Un beau travail sur le mouvement, le temps, et la manière dont l’image est, finalement, impuissante à en rendre compte.

Demain, les anciens élèves.

Photos 1, 5 & 7 de l’auteur (hélas); photos 2, 3 & 4 courtoisie des Rencontres. Muriel Toulemonde  étant représentée par l’ADAGP, les photos de ses vidéos ont été ôtées du blog à la fin de son exposition.

Nils Udo, une marque dans le paysage

NILS-UDO, Maison d'eau, photo en noir et blanc, ilfochrome sur aluminium, 125 x 132 cm, 1982

Dans une exposition ou un livre sur Nils Udo, on s’attend à voir des photographies où, dans une nature édénique, sont disposés des éléments colorés étranges, parfois inquiétants, toujours poétiques : pas vraiment du Land Art, des installations plus éphémères, mais aussi plastiquement et chromatiquement plus violentes. L’intérêt de l’exposition au centre d’art Campredon, à l’Isle sur la Sorgue (jusqu’au 7 octobre) est de montrer d’autres facettes de son oeuvre. Cette exposition met beaucoup l’accent sur les rapports entre photographie et peinture dans son travail, sur les allers-retours de l’artiste entre les deux médiums, sur son désir de s’affranchir de l’illusion

NILS-UDO, 1090.06 - Huile sur toile - 170 x 164 cm - 2006

photographique dans une démarche plus proche de l’abstraction, mais, au vu de ses tableaux, je n’ai pas toujours été convaincu. Voir par exemple en enfilade  le tableau ci-contre, déconstruit et tourbillonnant, puis, par l’embrasure, dans la salle voisine, une photographie extrêmement dépouillée d’une dune de sable rouge sous un ciel bleu, avec un peu d’ombre à gauche, quelques ondulations du sable, la trace de pas minimaux et quelques roseaux simplement plantés là, avec leur ombre démesurée au soleil couchant (mais je n’en ai hélas pas de reproduction; celle-ci l’évoque un peu), convainc aussitôt : la sobriété de la photographie, tout en aplats de couleur, avec à peine quelques suggestions discrètes de l’intervention artistique, est cent fois plus efficace esthétiquement que ces motifs picturaux.

NILS-UDO, 1164, encre de Chine sur papier, 156 x 156 cm, 1989

Je crois que, contrairement à ce que je lis, Nils Udo est un dessinateur (il y a en particulier ici de très beaux dessins à l’encre de Chine de grandes dimensions, avec une structure graphique très proche de ses photos) plus qu’un peintre : la photographie semble être aussi pour lui une manière de dessiner DANS le paysage, d’y inscrire une marque. C’est en particulier frappant quand on regarde les photographies en noir et blanc de ses premières installations : ce ne sont que de simples traits qu’il a inscrits humblement dans un paysage, quelques roseaux, quelques branches d’arbre disposées ça et là, mais qui aussitôt introduisent dans le chaos naturel une régularité factice, un ordre visuel inattendu. Bien sûr, ses tours, ses nids sont davantage des sculptures végétales qui marquent l’endroit, qui,

Nils Udo, Maison d'eau, photo en noir et blanc, ilfochrome sur aluminium, 125 x 132 cm, 1982

même si elles sont biodégradables, ne disparaissent pas visuellement. Mais regardez cette maison d’eau à Cuxhaven en 1982, huit grandes photos en noir & blanc (trois reproduites ici, imperceptiblement différentes; sans doute suis-je biaisé, mais regardant ensuite sur internet les photographies en couleur de la même installation, je n’y ai pas trouvé la même force) : Nils Udo joue ici avec les rythmes de la nature, les marées, les saisons. Il inscrit une perspective forcée, une déviation du regard par la verticalité convergente des branches; au centre, un autel qui, sur la photo finale, est couvert par l’herbe qui y aura poussé. C’est fait avec trois fois rien : ‘troncs d’épicéa, branches de bouleau, osier et herbe’ et c’est une transformation radicale de la veduta, une révolution de la perspective, un viol des lois de l’optique naturelle, l’air de rien. C’est pour moi la pièce la plus forte de l’exposition.

Nils-Udo, nid d'eau, 1976, roseaux hiver été, Chiemgau Haute-Bavière

Écologiste avant l’heure, Nils Udo est très soucieux de la réversibilité, du rythme des saisons, de la permanence naturelle. Il présente ici plusieurs diptyques été/hiver comme ce nid d’eau en Bavière couvert de roseaux en été, simple cercle sombre dans la blancheur neigeuse en hiver. Un film montre la construction d’un nid géant à l’Université de Clemson en Caroline du Sud, avec les pauvres étudiant(e)s en beaux-arts contraints de se confronter à de durs travaux forestiers; le nid a dû être détruit après deux ans, mais apparemment la zone n’a toujours pas été replantée, discussions en cours avec l’artiste….

Nils Udo, ROSIMBODEN, 1975

Parfois aussi Nils Udo se rapproche du Land Art comme pour ce cours d’eau à Rosimboden dans les Alpes italiennes, qu’il barre avec des pierres en 1975, dispositif plus pérenne, moins éphémère, et qui pose la question de l’oeuvre : est-ce l’installation elle-même (et puis-je encore aller la voir dans le Haut-Adige ?) ou est-ce la photographie ? J’ai regretté que cette photographie, si dure, si funèbre et vitale à la fois, et aussi plus violente envers la nature, ne soit pas présentée ici.

NILS-UDO, Trois volcans 1, Ilfochrome sur aluminium, 92,3 x 176 cm, 2002

Nils Udo a répondu à cette question en privilégiant, me semble-t-il, la photographie plutôt que l’installation. De ce fait, il a souvent fait la part trop belle au spectaculaire. Ainsi cette photographie de trois volcans à Lanzarote : séduisante en diable, mais un peu trop facile, trop attendue. La surprise ne vient plus de la forme, mais du procédé : ah, ce sont des fleurs rouges, pas de la lave en fusion ? Trop fort ! Dans la même île (et la même salle), ses jeux colorés avec des monticules de sel sur la plage de sable noir sont, par exemple, bien plus sophistiqués, plus denses, moins directement séduisants (mais je n’en ai pas de reproduction : celle-ci est de la même veine).

Nils Udo, Maison d'eau, photo en noir et blanc, ilfochrome sur aluminium, 125 x 132 cm, 1982

Chez Nils Udo, l’homme est absent, ou alors il n’est qu’un élément du décor, bébé nu au fond d’un nid ou figurine rouge émergeant de la jungle; la mémoire des lieux ne l’intéresse guère, semble-t-il, seulement leur plasticité (c’est de ce fait un travail assez différent de celui, par exemple, d’Anni Rapinoja qui, elle, se réapproprie légendes et rites locaux). En somme, un travail séduisant, un peu trop, mais dont cette exposition éclaire bien la complexité.

Photos 1, 2, 3 & 7 courtoisie de Campredon Centre d’Art. Toutes photos (c) Nils Udo.

 

Dans la même jolie petite ville, les adeptes de sculptures cinétiques et lumineuses, voire sonores ou interactives, payant un dernier hommage à Denise René, visiteront avec intérêt la Villa Datris. Je suis passé assez vite…

 

 

L’art contemporain emménage au Château

Est-ce le tempérament casanier des critiques d’art parisien qui les empêche d’aller au-delà du périphérique si on ne les chouchoute pas ? Est-ce leur esprit sans-culotte qui les gêne pour parler d’un évènement dans un château appartenant à une des plus anciennes familles aristocratiques de France ? Est-ce leur peu d’intérêt pour des artistes des années 60 et  70 un peu passés de mode aujourd’hui ? Est-ce leur difficulté à parler d’une exposition évolutive et accumulatrice qui s’étire sur plus de deux ans ? Toujours est-il qu’il y a eu, je crois, très peu d’articles  sur ‘On emménage au château : un Musée éphémère‘, au Château de la Roche-Guyon, exposition qui dure d’avril 2010 à novembre 2012. Et j’ai moi-même attendu pour y aller jusqu’à il y a peu, maintenant que tous les artistes ont ’emménagé’.

L’idée de la commissaire, Evelyne Artaud, a été en effet d’y faire venir, en six vagues successives (du 10 avril 2010 au 10 mars 2012), 27 artistes (la plupart vivants, septua- ou octogénaires, le plus âgé né en 1927, les plus jeunes en 1946; quelques morts : Cadere, Toni Grand, gina pane, Pincemin, André Valensi) qui ont tous laissé une oeuvre dans une des salles du château jusqu’à novembre prochain : Jean Le Gac en fut l’initiateur, car, invité seul à occuper le château, il déclina l’honneur et le défi, et fit venir d’abord Buraglio, Jaccard, Gette (le doyen), Meurice et Titus-Carmel. Puis les invitations se propagèrent au fil du réseau jusqu’aux derniers arrivés : Alain Fleischer, Lefèvre Jean-Claude (le benjamin des vivants), les Poirier et André Valensi. On chemine donc de salle en salle, de découverte en découverte :

Bernard Pagès, L’échappée III, 2007, H520, D450

certaines pièces sont simplement posées ou accrochées là, d’autres ont été conçues ou adaptées pour une salle spécifique, un mur existant, une vue bien précise. Je ne dirais pas que ce sont tous là mes artistes préférés, mais j’aime beaucoup certains (Gette, Parant, Ernest Pignon-Ernest, …) : au-delà des ‘grands noms’ (Viallat, Buren, Rutault,…), c’est une belle tranche d’histoire de l’art (français) contemporain qu’il nous est donné de voir ici, toute une génération, et ce dans un cadre patrimonial qui démontre une fois de plus, face aux conservateurs aigris, la pertinence de ces confrontations.

Arrivant au château, avant l’installation de Buren qui ponctue l’entrée, on est accueilli par un signal de Bernard Pagès au bord de la Seine, comme déployé par les vents, agitant un bras pour saluer les canotiers, marquant la pointe, la rive : nuage au sol, mât droit mais incliné, oriflamme au vent, trois formes, trois matières, trois couleurs, un équilibre.

De salle en salle, on pénètre dans le château : d’abord, dans la semi-pénombre de l’abri d’une herse, 27 tréteaux en bois naturel disposés en désordre et, sous chacun d’eux, comme une cale, un ancrage, autant de congres en résine stratifiée, celle-là même qui causa la mort du sculpteur, Toni Grand.

Patrick Saytour, Sol-Mur, 2010, 125×200

 

 

 

 

Dans l’escalier d’honneur, Patrick Saytour a accroché des ‘tableaux’ en linoléum au motifs colorés disparates, dont les dessins semblent se prolonger dans la lèpre même des murs; les balustres les soulignent avec majesté et rondeur. A côté, Claude Viallat a installé des fétiches en bois dans des niches et suspendu une queue d’âne en nylon bleu que les enfants sauteurs peuvent saisir. Plus loin le duo Pascal Quignard et Pierre Skira a orné les murs de la salle à manger d’un poème d’amour triste en latin et de son ombre peinte.

La longue salle des gardes, largement ouverte vers le fleuve, offre les menstrues cérémonielles de la déesse, de Paul-Armand Gette (sur qui vient de paraître ce livre, premier essai monographique) : une immense figue éclatée, symbolique à souhait, grenue et fendue, et, devant elle, une pyramide de pierre (volcanique, bien sûr), des pétales, des sucs, des fruits, du cristal, dont on devine qu’ils ne sont que les traces d’une performance secrète qui eut lieu, un jour, ici, en contrepoint du carrelage trop régulier et de la corde à noeuds de Viallat au sol.

Le parquet verni du grand salon attenant, orné de tapisseries d’Esther , est habité par une douzaine de roues en acier brut de Daniel Dezeuze, ensemble éclaté aux orientations plus ou moins alignées; leurs rayons forment, au centre de chaque roue, un hexagone, qu’on croirait volontiers cabalistique.

Dans la bibliothèque, les vitrines sont garnies d’outils imaginaires de Christian Jaccard, et les livres ne sont plus que des dos factices, aux titres éloquents : c’est la collection de faux livres d’Alain Fleischer, comme un méta-roman…

Jean-Luc Parant a installé un petit tas de boules blanches émaillées s’échappant de la cheminée dans la chambre de la Comtesse Zénaïde (ci-dessus) et un grand tas de boules brunes comme des boulets de canon dans une des casemates troglodytes de Rommel aux parois verdies par l’humidité : un voile mousseux les a peu à peu recouvertes. Il a aussi occupé le cabinet de curiosités d’un des Ducs et on ne distingue plus guère ce qui était là avant de ce qu’il a apporté : est-ce une maxime de La Rochefoucauld ou un aphorisme de l’artiste qui est inscrit là ? Est-ce un échantillon géologique de la collection ducale ou une ardoise que les yeux du jeune Arthur Rimbaud ont touchée et que Parant, « fabricant de boules et de textes sur les yeux », aurait apportée ici ?

Un bâton carré inaccessible de Cadere dans l’escalier condamné qui mène au théâtre en ruine, des textes de Lefèvre Jean-Claude sur les parois d’un escalier, journal de ses rencontres artistiques (avec le même systématisme que ce curieux-ci), et, suivant un

labyrinthe au plan incompréhensible, on monte au pigeonnier. Vue plongeante superbe et, sur trois parois, dans chacune des alvéoles de pigeon (les boulins, au nombre de 1500), un crâne sérigraphié : ces anfractuosités  ainsi habitées forment un tombeau mural, un autel païen, éclairé la nuit par cent lumignons. Ernest Pignon-Ernest s’est aussi installé dans la chapelle voisine, où une plaque indique la sépulture du coeur de Louise-Elisabeth de La Rochefoucauld, amie des physiocrates, morte dans son lit en 1797 : près de l’autel, les pieds du Christ et une Madeleine aux seins nus, en pâmoison (voir aussi en haut).

Le chemin de ronde mène à une tour de garde ronde qui fut observatoire où François Bouillon a posé, sur un champ de carreaux hexagonaux parsemés de plumes entrecroisées, une sculpture de sourcier, baguette de bronze enduite de riz qui pivote sur un bassin humain tronqué : alchimie et astronomie se marient ici, sous la voûte noire, dans un temps suspendu.

Impossible de parler de tout, de tous, mais encore, dans l’Orangeraie creusée dans la falaise, un film de Christian Jaccard le pyronaute, mise à feu d’un gel sur une toile, feu qui, se répandant, crée des paysages orientaux : on pense à Marcheschi, à Yves Klein, à Bernard Aubertin aussi, tous ces magiciens du feu.

Une exposition assez cohérente somme toute, pour ce qui est de la culture commune de ces artistes, et montrant en même temps la diversité de leurs approches et de leurs styles. Au lieu d’un catalogue, une brochure par artiste, brève et pertinente.

catalogues

Photos Pagès, Bouillon, Dezeuze courtoisie du Château; autres photos de l’auteur. Tous les artistes sauf Patrick Saytour et Bernard Pagès sont représentés par l’ADAGP : les reproductions de leurs oeuvres ont été ôtées du blog à la fin de l’exposition.

Le Maghreb entre histoire et modernité, double révolution

Dora Dhouib, Territoire occupé, 2010, 80x80

Il semble que le monde de l’art bruisse de toutes parts à propos de l’art arabe, et ce encore plus depuis les printemps : à Venise, à Paris, à Tunis. L’intérêt de l’exposition à Assilah au Maroc à l’occasion du Moussem Culturel qui vient de se terminer est qu’elle replace ce renouveau culturel dans une perspective historique, en montrant les ponts qui se sont construits depuis 50 ans entre Nord et Sud, entre Europe et Maghreb, sous diverses formes : enseignement, influences, émigration, bi-culturalisme. Aussi y fait-on référence aux mouvements qui se créèrent après les indépendances, l’Ecole de Casablanca, les mouvements du Signe et Aouchem en Algérie (avec le ‘pied-rouge’ Denis Martinez, entre autres, mais absent ici), sur lesquels s’exerça l’influence de l’Ecole de Paris (rappelons aussi le fait qu’Atlan était un judéo-berbère de Constantine, et l’influence sur les peintres marocains comme Mourabiti du philosophe-critique-cuisinier marocain Edmond Amran El Maleh).

Il y a donc ici quelques ‘ancêtres’, certes moins connus hors du Maghreb, mais qui furent des pionniers, pour qui l’abstraction fut (plutôt que l’orientalisme, l’art d’inspiration religieuse, le réalisme socialiste ou la calligraphie, tous courants qui auraient pu les tenter et contre lesquels ils s’affirmèrent) un moyen d’affirmer une position autonome et donc anti-coloniale : les tondi ajourés calligraphiques du tunisien Abderrazak Sahli, les toiles abstraites et colorées de Mohamed Melehi d’Assilah, celles plus lyriques de l’Algérien Abdallah Benanteur, et les travaux du Marrakchi Farid Belkahia qui reprend des matériaux traditionnels (cuivre ou, ici, peau tannée) et des colorants naturels pour les transcender. La tension entre fierté des origines et modernité est ainsi un des arguments clés de la dialectique derrière cette exposition.

Nicène Kossentini

Certains des artistes contemporains plus jeunes (et souvent inspirés par leur position dans la diaspora, entre les deux rives) sont, eux, animés par la tension entre individuel et collectif, par leur lien au monde et la reconnaissance de la mémoire. C’est le cas de Mounir Fatmi et de ses versets du Coran écrits sur des néons, à la fois impératifs et éphémères, versets ambigus car polysémiques. C’est le cas de la jeune Tunisienne Dora Dhouib (auteur d’un bel alphabet sensuel et féministe) dont le dos nu parfait (en haut) est escaladé par un char, confrontation de la femme et du pouvoir, de la liberté et de la répression, de la beauté et de la violence. C’est le cas de la photographe tunisienne Nicène Kossentini qui décline de manière très rigoureuse et réfléchie des élévations vers le ciel : une antenne de télévision, un minaret, des gratte-ciels (communication, religion, économie, évidemment) et un jeune garçon les yeux levés, plein d’espoir ou de crainte. C’est aussi le cas des corps voilés comme des chrysalides de Meriem Bouderbala.

Mohamed El Baz

C’est enfin le cas de l’installation de Mohamed El Baz qui reprend les têtes de morts stylisées de Philippe Cazal pour les orner des drapeaux des pays maghrébins décolorés, réduits à quelques traits; aux murs, trois bombardiers, au sol un tapis tondu : la scène est prête pour l’annonce d’un désastre.

Amel Bennys, Facebook, 2010/2011, 122x91

D’autres artistes développent une approche plus formelle, plus épurée : on connaît les personnages de Djamel Tatah et celui ici présent est d’une beauté sublime. Yazid Oulab dessine de manière automatique (ici avec un crayon dans une perceuse) des motifs indécis, nuageux et violents, doux comme la ouate, menaçants comme le barbelé. Citons encore les architectures rêvées de Driss Ouadahi, les toiles de Mourabiti, et les compositions de la Tunisienne Amel Bennys combinant sur la toile des matériaux comme le plomb et l’aluminium.

Safâa Erruas, Hommage à Ipazia, 2011

Enfin, dans un registre plus poétique, Zoulikha Bouabdellah nous offre des mots d’amour, Chéris et ‘lui’ et ‘elle’ empilés, et la Tétouanaise Safâa Erruas a composé une pièce magnifique où, sous la boule blanche d’un gypsophile, qui peu à peu se fane, pendent des fils de coton blanc et des aiguilles que le moindre vent agite : violence et douceur, barrière et invite, blancheur immaculée que pourrait tacher une goutte de sang. C’est en effet un hommage à Hypatie, philosophe grecque lapidée par les Chrétiens. Ne peut-on rêver mieux comme ancrage révolutionnaire de la modernité ?

Photo Dhouib et Bennys courtoisie du Moussem d’Assilah; autres photos de l’auteur. Farid Belkahia étant représenté par l’ADAGP, la photo de son oeuvre a été ôtée du blog au bout d’un mois.

Voyage à l’invitation du Moussem d’Assilah.

 

 

Les chevaux de frise de Claude Lévêque

Chaque installation de Claude Lévêque est un émerveillement. On se dit : »non, pas cette fois, j’en ai trop vues, je connais tous ses trucs », et, à chaque fois ou presque, on replonge. Celle au CCC de Tours (jusqu’au 21 octobre) est, comme toujours, d’une simplicité biblique : un espace qui, ainsi vide, ressemble à un parking, de la peinture noire barbouillée sur les murs à hauteur d’homme, et une vingtaine d’obstacles. Ce pourraient être des obstacles anti-chars sur une plage de débarquement il y a 68 ans, ce pourraient être des chevaux de frise anti-manifestants il y a 44 ans, ce pourrait être un barrage sur une route de Palestine l’été dernier, ce pourrait être un dispositif sur un rivage pour empêcher les pateras d’accoster aujourd’hui, ce sont en tous cas des obstacles qu’il faut affronter. Ils sont garnis de barbelés (certes, la variété bénigne qui égratigne, pas celle de Colmar qui blesse) et, face à eux, on se retrouve soudain combattant dans les rizières ou les djebels, devant avancer à découvert, bondir d’espace sûr en planque hasardeuse, confronté à tous les dangers, à toutes les angoisses. Mais nul espoir de se cacher : la lumière des néons qui les constituent, car ce sont des balises éclairantes, éclaire crûment tout l’espace, saturant et éblouissant. Aucun camouflage possible, il faut naviguer entre eux et tenter de passer.

Avec trois fois rien, quelques néons, du barbelé, des pots de peinture noire, sans artifices, Claude Lévêque a réalisé, dans cet espace assez ingrat, des sculptures, une installation dont on ne sort pas indemne : surprise, saisissement, angoisse, émerveillement. L’âge atomique, puisque c’est son nom (d’après Elli et Jacno), est prémonitoire des guerres que nous affronterons, de la violence qui peuple notre monde. Jamais nous ne sommes à l’abri.

Coïncidence sans doute, mais si, cerné, on lève les yeux au plafond, les coffrages y dessinent un cercueil en forme de croix.

Dans la salle voisine, Lévêque montre une installation plus ancienne, Anniversaire 1, pleine de douceur nostalgique : quatre prénoms lumineux, dont le sien, trois îlots rocheux, pleins d’anfractuosités, de grottes mystérieuses et de cascades. Le quatrième îlot, surmonté du prénom Régis, est lui sablonneux, garni de quelques palmiers, une vraie robinsonnade ! Les quatre installations ne sont que faiblement éclairées par le néon qui les surplombe comme une auréole et les sculpte. Nous sommes ‘au bord d’un secret à peine caché’ (Michel Nuridsany).

Je n’ai pu aller à Fontevraud voir son autre installation, qui, semble-t-il, mérite aussi le voyage.

Photos 1, 2 & 3 de l’auteur; photo 4 de François Fernandez, courtoisie du CCC et de la galerie Kamel Mennour. Claude Lévêque étant représenté par l’ADAGP, les photos ont été ôtées du blog à la fin de l’exposition.