11 articles pendant cette période encore compliquée, avec un peu plus d’expositions
15 juin : Edvard Munch photographe (d’Edvard Munch, principalement)
24 juin : Dürer, Panofsky et les seins (gravés)
4 juillet : Peintures d’un monde vide (Manuel Amado)
8 juillet : Quelque chose entre deux (Catarina Botelho)
11 juillet : Un art furtif (Street Works, NY, 1969)
24 juillet : Christo, une histoire de packaging
4 août : Art et écoféminisme
7 août : Là où souffle l’esprit
8 août : Brognon Rollin, passeurs de frontières, magiciens du temps
13 août : John Heartfield, d’actualité ?
20 août : Amour sacré, amour profane (Jan Fabre)
Et quelques livres
- « Un état de suspicion généralisé, une sensation d’oppression chronique, une propension grandissante à l’ennui, le désir de fuir comme unique horizon : l’exploitation de ces conditions pathologiques est le coeur de l’activité de New Office ». Il y a sept ans, j’avais été fasciné par le travail de dérision et de déconstruction de Florence Jung, qui avait « triché » au Salon de Montrouge. Sa dernière oeuvre, un livre chez JBE Books suite à une exposition au Musée Helmhaus à Zurich (et qui doit venir à Paris, mais quand ?), est une suite de 300 annonces (en anglais, traduction en français) vous invitant, si vous présentez certains symptômes, à appeler ce numéro. Un exemple parmi d’autres, le nº 235 : « Si tu te demandes ce que Raymond Roussel aurait fait à ta place, appelle le +33751514597 ». Déprimant et divertissant à la fois. (service de presse)
- Le dernier numéro des Cahiers de la Collection Lambert, chez Actes Sud (après Sol LeWitt et Robert Ryman), est consacré à Nan Goldin, un petit livre de moins de cent pages, avec 55 photographies, la première un autoportrait, la dernière un portrait d’Yvon Lambert. Un texte de Stéphane Ibars et une interview de Lambert par Ibars nous apprennent quelques petites choses sur Nan Goldin et bien plus sur Lambert, son intérêt artistique pour Goldin et son amitié pour elle (et, surprise, Lambert ne parle pas bien anglais). Plus que les hyper-connues photographies de ses amis, j’ai noté deux images moins intimes, plus distanciées (et que, de fait, personnellement, je préfère) : une architecture chancelante de bougies votives à Fatima (1998, p. 20-21), et un « autoportrait « , son ombre portée depuis un pont au-dessus d’une rivière verdâtre (1998 aussi, p. 56-57). (service de presse)
- The Portrait and the Colonial Imagery (Leuven University Press, 248 pages, 60 reproductions) est un livre très fouillé du professeur Simon Dell sur cinq séries de portraits photographiques entre France et Afrique (principalement le Cameroun) entre 1900 et 1939 : des pasteurs protestants camerounais, « Africains évolués », photographiés par le capitaine-pasteur Élie Allégret vers 1918; l’Exposition coloniale internationale de 1931 à Paris et les photographies plus humaines de Roger Parry; le roi Njoya des Bamouns au Cameroun (inventeur d’un alphabet extraordinaire), perdant son pouvoir face à la colonisation et se convertissant à l’Islam, avant d’être déposé en 1931; le Camerounais Charles Atangana au service de la colonisation (1920-1935). Et surtout le voyage au Congo d’André Gide en 1926/27 et les photographies de Marc Allégret qui l’accompagna; cette photographie (c’est Gide qui tient le déclencheur), en frontispice du livre, est un signe remarquable de la frontière entre deux mondes que l’auteur analyse longuement (mais sans rien dire du potto ..). Intéressante analyse aussi que celle des portraits de la jeune Boulboule, une fière métisse Sara-Arabe de Fort-Lamy : d’abord nue et souriante, puis vêtue et pudique, comme une Madonne, écrit Allégret (et aussi passée par là, nous dit le journal d’Allégret); elle aussi entre deux mondes, mais restant sujette au désir et au pouvoir du Blanc (pas maîtresse de sa représentation, contrairement au Conventionnel Belley, conclut l’auteur). Pour chaque série, l’auteur fait une analyse argumentée, très détaillée, quasi « entomologique », des écrits et des images, naviguant entre théorie de philosophie politique et analyse iconographique détaillée. La photographie comme support de divers discours coloniaux. 50 pages de notes, bibliographie et index. (service de presse)
- Éros et Vertu, de l’historien d’art Alberto Mario Banti (Alma, 2018, traduit de l’italien) est un brillant petit livre (192 pages, 33 illustrations, une bonne bibliographie), montrant comment, de Watteau à Manet, le regard des peintres sur le corps féminin a évolué. Au-delà de la peinture, c’est aussi une histoire des moeurs et du costume. Le XVIIIe est, pour les classes supérieures, un moment de grande liberté, où les femmes de cette classe, éduquées, indépendantes, actives en politique, ont autant de liberté sentimentale et sexuelle que les hommes, et où le rapport de domination est estompé en faveur de relations amoureuses égalitaires. Avec les Lumières, Rousseau en particulier, s’instaure un nouvel ordre moral, puritain, familial, qui va être seul acceptable au XIXe : les corps se couvrent, les femmes restent au foyer et procréent, et les seuls nus admissibles sont exotiques, étrangers et soumis (et, note l’auteur avec perspicacité, la peinture ne représente presque plus de scènes d’amour). C’est cet édifice moral que Le Déjeuner sur l’herbe et plus encore Olympia, vont attaquer. Mais il se maintient avec force jusqu’à aujourd’hui : le livre se conclut avec la suffragette Mary Richardson (plus tard proche de l’Union des Fascistes Britanniques) attaquant au hachoir la Vénus au miroir à la National Gallery en 1914 (« énième nudité féminine offerte au regard hypocrite et libidineux des hommes »). Un siècle après, va-t-on revoir les mêmes dérives ? Un excellent essai qui se lit avec grand plaisir.
- Georges Duby, Sur les traces de nos peurs, Textuel, 96 pages, réédition en 2020 d’un entretien de 1994, avec une préface de François Hartog, qui, en 2020, contextualise cet entretien (Covid, écologie). Duby analyse les peurs du Moyen-Âge et les met en rapport avec les peurs contemporaines. La peur de la misère et de la famine, mais dans une société solidaire, fraternelle, de redistribution et non d’exclusion (en tout cas jusqu’au XIIIe; ensuite le rôle révélateur de François d’Assisse); la peur de l’autre, barbare, païen (Vikings, Hongrois, Mongols, Sarrasins, …), mais avec qui on s’accommode, on commerce, qu’on intègre et baptise, et aussi la fascination pour la Méditerranée, les cultures byzantines et musulmanes, auprès desquelles ce sont les Européens qui sont des barbares; la peur des épidémies, peste et lèpre (et du sida aujourd’hui et du Covid : mêmes angoisses irrationnelles); la peur de la violence, chevaliers, routiers, bandes urbaines, que la société, et en particulier l’Église, encadre et contient; la peur de l’au-delà, et l’approche sociale, solidaire de la mort. À la lecture, on en vient à ressentir une forme de nostalgie pour cette époque rude, mais solidaire. Comment le passé éclaire le présent, n’est-ce pas là le meilleur de l’historien ? (épreuve de presse en PDF)