Sommaire de mai 2021 et quelques livres

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9 billets ce mois-ci

4 mai : Les ANGES sont des adultes, les CHÉRUBINS des enfants, il y a aussi des CUPIDONS (Taryn Simon)
7 mai : La rétine photographique : le mythe de l’optogramme (1. Histoire)
8 mai : La rétine photographique : le mythe de l’optogramme (2. Fiction et Art)
9 mai : La rétine photographique : le mythe de l’optogramme (3. Critique)
17 mai : Louise Bourgeois, masculin-féminin
18 mai : Les Portugais(es) n’ont pas de corps
19 mai : Photographier les sculptures ? (Giacometti et Lindbergh)
20 mai : Les bons sentiments ne font pas nécessairement de bonnes photographies (Biennale photo de Porto)
24 mai : Les femmes de Raphaël

Et quelques livres

Ilyes Griyeb, portrait de Rahma bent L’Khel, Aït Ouallal, Meknès, 2018.

Morocco, par le jeune photographe Ilyes Griyeb (autoédité, 120 pages, avec un court texte FR/EN de Myriam Ben Salah) présente une autre vision du Maroc, pas celle du photographe étranger, blanc, curieux de couleur locale (lire ce texte de Griyeb), ni celle du photographe marocain ou arabe bourgeois cultivé, mais celle d’un jeune homme franco-marocain resté très proche des réalités du peuple. De son pays d’origine, il montre les failles, les stigmates, les à-côtés, l’inachevé, le délaissé, le négligeable. Des jeunes désoeuvrés (voir cet article qui m’a incité à acheter son livre), mais aussi des travailleurs agricoles, dont les formes du corps et les traits du visage disparaissent dans leur vêtements, dans des portraits tout de dignité et d’honneur. Dans ses photographies aux couleurs chaudes, baignées de lumière, j’ai vu aussi une esthétique de l’empilement : tas de pneus, de bois, de plastiques, d’ordures, comme un trop-plein sans destination. Une force inhabituelle se dégage de ces images.

André Gill, À la foire aux pains d’épice. Un amateur distingué (portrait-charge de Jules Ferry dans La Petite Lune, avril 1879, nº 42), Musée Carnavalet, page 196 de Les iconophages.

Les iconophages, de Jérémie Koering (Actes Sud, 352 pages, 115 illustrations N&B dans le texte, 16 planches couleur) est un livre fort érudit sur l’ingestion d’aliments portant une image au fil de l’histoire, mais il couvre en fait un champ bien plus large, allant de la boisson d’un liquide ayant ruisselé sur une statue (Horus enfant sur les crocodiles) ou dans lequel une relique a baigné, jusqu’au fait d’ingérer, réellement (Artémise, veuve du roi Mausole) ou symboliquement (ossa dei morti en Calabre et Sicile), le corps des morts ou leurs cendres, en passant par la nourriture spirituelle que peuvent constituer le lait de la Vierge (le fameux tableau d’Alonso Cano, mais aussi une Vierge à l’Enfant du XVIIIe en Haute-Autriche avec un tuyau dans le sein pour abreuver les fidèles) ou le sang du Christ (la messe de Saint Grégoire ou Sainte Catherine buvant à la plaie du Christ). Toutes pratiques rituelles, religieuses, thérapeutiques, auxquelles on peut ajouter l’ingestion de poussière grattée sur une statue ou une fresque. Mais les cas stricto sensu d’iconophagie sont plus rares : des hosties gaufrées avec une figure sainte, des pains d’épice ludiques ou caricaturaux; la caricature ci-dessus de Jules Ferry anticlérical est réjouissante. Enfin quelques exemples en art contemporain : Meret Oppenheim (Das Frühlingsfest) ou Jasper Johns (Painting bitten by a Man). Un livre dense qui touche à l’histoire de l’art (avec un important développement sur l’iconoclasme), à celle des religions et à l’ethnologie. Très importante bibliographie. Livre reçu en service de presse.

Couverture du livre.

Paperboard. La conférence performance : Artistes et cas d’étude, aux éditions T&P Work Unit (208 pages) reprend des éléments présentés lors de journées d’étude sur ce sujet à Rennes en 2013 et 2016 avec le Musée de la Danse, le Frac et l’École d’art de Bretagne. Le livre, à la mise en page originale (comme souvent chez T&P) reprend des textes théoriques, des monographies sur des artistes et des brèves documentations de quelques conférences /performances, après un avant-propos lumineux de Boris Charmatz sur les danseurs et le discours. Ce champ est au confluent de deux courants : d’abord, les artistes plasticiens qui parlent de leur travail en dépassant le formalisme de la simple conférence ; le meilleur exemple en est la conférence d’Yves Klein en Sorbonne le 3 juin 1959, brillamment et éruditement analysée et décortiquée par Denys Riout. S’y rattachent les essais sur les discours, conférences illustrées ou projections commentées d’artistes aussi divers que Joshua Reynolds, Robert Smithson, Thomas Huber ou Yves Chaudouët (qui certes, joue avec les règles « laissez vos téléphones allumés », mais bon …). Bien plus intéressants, car déplaçant le propos, sont les artistes qui font de la conférence l’objet même de leur travail : l’inénarrable Éric Duyckaerts (qui n’a hélas droit qu’à deux petites pages, quel dommage !), Rabih Mroué (s’interrogeant sur le médium ; mais pourquoi avoir omis Walid Raad ?), Esther Ferrer se dénudant progressivement au fil de sa conférence, Xavier Le Roy (racontant sa vie entre science et danse). Et aussi la remarquable Encyclopédie de la Parole de Joris Lacoste et ses compères, présentée par Nicolas Fourgeaud. Sur ce deuxième volet, on aurait aimé plus de recherches; ce n’est pas l’ouvrage définitif sur le sujet, mais c’est un élément intéressant sur un sujet peu étudié (manquent une bibliographie, qui aurait été très utile, et un index). Livre reçu en service de presse.

Couverture du livre, avec Kandinsky, Composition VIII, 1923, détail.

À la suite des deux excellents petits livres pour enfants sur les formes et les couleurs parus chez Hazan (que j’avais loués là), les deux mêmes auteurs, Didier Baraud et Christian Demilly, sortent deux nouveaux ouvrages « En chemin avec », l’un avec Frida Kahlo et l’autre avec Kandinsky, chacun de 32 pages avec 14 ou 15 oeuvres reproduites pleine page (plus 2 ou 3 photographies). Inévitablement les textes explicatifs sur Kahlo parlent autant de sa vie que de son art, et lient fort bien les deux, ce qui sera aisément accessible aux jeunes lecteurs sensibles aux histoires tragiques. Les textes sur Kandinsky, tout en restant clairement écrits, mettent davantage l’accent sur l’esthétique et les questionnements qui se font jour dans ses oeuvres, ouvrant l’intérêt pour l’abstraction et la réflexion sous-jacente : pas nécessairement pour des enfants plus âgés, mais bien dans la lignée de l’ouvrage sur les formes. Livres reçus en service de presse.

Les femmes de Raphaël

Couverture du catalogue avec son Autoportrait de 1504-06 (huile sur bois, 47.5x33cm, Galerie des Offices, Florence)

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Je n’ai pas pu voir la grande exposition romaine de Raphaël l’été dernier : plus de places quand j’étais à Rome, même à 3h du matin. C’était le 500ème anniversaire de sa mort (le Vendredi Saint de 1520) et il y avait déjà eu plusieurs grandes expositions depuis le 500ème anniversaire de sa naissance (aussi un Vendredi Saint, peut-être, en 1483). Une grande exposition présentée à rebours, même dans son titre (1520-1483) : je ne peux jouir que du catalogue.

Raphaël, La Velata (la femme voilée), vers 1516, huile sur toile, 85x64cm, Galerie Palatine, Florence.

Celui-ci (en anglais chez Skira ; existe aussi en italien, mais épuisé) est impressionnant : 544 pages, de très nombreuses reproductions, 15 essais, une importante bibliographie, mais, hélas, pas de liste récapitulative des oeuvres présentées ou citées. Les 204 oeuvres montrées dans l’exposition sont réparties au fil du livre dans 11 sections, mais la logique de ces sections n’est pas vraiment explicitée et doit se deviner ; chaque oeuvre y a droit à une ou plusieurs illustrations et est accompagnée d’une notice scientifique plus ou moins longue. De ces 204 oeuvres, sauf erreur, 117 sont de Raphaël, peintures, dessins ou textes manuscrits, mais aucun index ne les recense, ce qui rend fort malaisée l’utilisation du livre comme référence. En plus (et parfois en double), les essais eux-mêmes comprennent, sauf erreur, 175 illustrations, là aussi sans le moindre index : une désinvolture éditoriale assez irritante quand vous cherchez une image précise.

Raphaël, La Fornarina, 1518-19, huile sur bois, 85x60cm, Palais Barberini, Rome.

Comme toujours, il y a des querelles d’attribution : les auteurs ont réattribué à Raphaël, ou plutôt à Raphaël et son atelier, des oeuvres précédemment considérées comme étant de certains de ses élèves, en particulier Penni et Jules Romain : le comité scientifique a estimé que la qualité des oeuvres de ces peintres baissait drastiquement après 1520. Je n’ai évidemment aucun avis et aucune compétence en la matière, mais il me semble que ce sujet aurait mérité un essai spécifique dans le catalogue, plutôt qu’une mention en passant dans la préface par la présidente dudit comité, Sylvia Ferino-Pagden.

Raphaël, Portrait de jeune femme, vers 1520, huile sur bois, 60x44cm, Musée des Beaux-arts, Strasbourg

Ceci dit, les essais sont dans l’ensemble de grande qualité. Certains portent sur un sujet précis et étroit, les bijoux dans ses tableaux, ou les discours sur sa mort et ses funérailles et leur représentation par d’autres peintres (j’ignorais que sa promise, Maria Bibbiena, toujours pas épousée après six ans de fiançailles, avait été enterrée avec lui). D’autres sur une oeuvre spécifique importante, le portrait du pape Léon X avec deux cardinaux, ou la lettre de Raphaël à Léon X sur, entre autres, son projet d’urbanisme pour Rome.

Raphaël, Sainte Catherine d’Alexandrie, vers 1507, pierre noire avec rehauts de blanc, dessin piqué pour le transfert, 58.7×43.6cm, Musée du Louvre.

D’autres explorent son oeuvre avant sa venue à Rome en 1509, ses débuts à Urbino, Città del Castello et Pérouge, puis son accomplissement à Florence, et d’autres son rapport à l’Antique ou sa poésie. Deux essais analysent ses rapports avec les deux papes qui furent essentiels dans sa carrière, Jules II, puis Léon X. L’essai initial de Marzia Faietti, commissaire de l’exposition et éditrice du catalogue avec Matteo Lafranconi, est sans doute le plus inspiré, celui qui retransmet le mieux le génie de Raphaël.

Raphaël, Sainte Catherine d’Alexandrie, 1507-09, huile sur bois, 71x55cm, National Gallery, Londres (pas dans l’exposition, ni le catalogue).

Je ne prétends nullement me mesurer à ces écrits savants. Mais, comme la première image du catalogue, en page de garde, est un gros plan sur la main droite de la Fornarina soulignant son sein droit, j’ai été saisi par la relative fréquence de ce geste dans d’autres tableaux de Raphaël : La Velata représente aussi sa maîtresse, moins dévêtue mais pas moins audacieuse, mais qu’en est-il de cette autre jeune femme au geste encore plus franc et osé ? Et quel est le sens d’un tel geste chez Sainte Catherine en extase (le tableau n’est ni dans l’exposition, ni dans le catalogue, seulement le dessin préparatoire) ? Geste de pudeur ou d’invite ? La légende vasarienne dit que Raphaël mourut de ses excès sexuels. Quant à la Fornarina, peut-être son surnom ne vient-il pas de la profession de son père ou mari boulanger, mais de l’assimilation de son vagin à un four brûlant. Ses images détonnent au milieu d’une multitude de Vierges (dont certaines eurent aussi Margarita Luti comme modèle, d’ailleurs) et de pudiques jeunes femmes (une à la licorne, symbole éminent de chasteté). Et le catalogue vous offrira bien d’autres plaisirs que celui, très étroit, que j’ai retenu ici.

Livre reçu en service de presse.

Les bons sentiments ne font pas nécessairement des bonnes photographies

Nancy Burson, Trump as five different Races, 2016.

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La 2ème Biennale de photographie de Porto (jusqu’au 20-27 juin, selon les expositions) a pour objectif de « reconnaître les défis écologiques et sociaux » et de « contribuer à la dissémination de perspectives artistiques alternatives » dans ce sens. On applaudit tous des deux mains, n’est-ce pas ? Mais encore faudrait-il que le résultat photographique soit à la hauteur. Des 15 lieux d’exposition de la Biennale à Porto (certains ne sont ouvertes que sur rendez-vous), j’en ai visité sept (et j’avais vu une huitième exposition à Arles en 2018, à laquelle je décernais alors le Prix Franz Fanon du colonialisme, écrivant : « Le manque d’esprit critique politique des deux photographes est patent, seule les intéresse la beauté utopique »). Des sept lieux visités, seuls trois surnagent, dont je vais parler. Les quatre autres accumulent les poncifs documentaires sans talent, avec de sempiternelles vues de paysages abîmés (seule exception parmi les 6 artistes ici, les photographies caverneuses de Nuno Barroso, où s’impose une matérialité photographique assez réussie, bien plus intéressante que le discours convenu qui l’accompagne).

Projet Travessia / Susan Meiselas, le salon du coiffeur Dominick Donk, 2020/21.

Serais-je plus sensible aux valeurs sûres ? Ou est-ce simplement que ces deux artistes sont nettement au-dessus du panier ? Dans le Rectorat de l’Université sont présentés deux projets, l’un tout récent de Susan Meiselas, l’autre datant de 2005 d’Alfredo Jaar. L’approche de Susan Meiselas (site web inactif apparemment) à la photographie, comme c’était évident lors de son exposition au Jeu de Paume, est basée, entre autres, sur un rapport respectueux aux sujets photographiés que peu ont tenté d’émuler. Elle présente ici un travail au temps du confinement (alors que, il y a 16 ans, elle avait travaillé dans un bidonville lisboète) : incapable de venir à Porto pour cause de Covid, elle a dialogué avec des dizaines d’Afro-descendants vivant à Porto pour qu’ils documentent leur ville et leurs expériences, par une photographie, un texte, une vidéo (et de nombreux QR codes pour aller plus loin). Ça part évidemment dans plusieurs directions, et Meiselas, loin de formater, laisse libre cours à cette expression diverse, se contentant, depuis New York, de cadrer et de suggérer. C’est un Porto inconnu de la majorité d’entre nous qui se révèle ici, des images simples, une vie quotidienne, une invisibilité avec, en filigrane, une forme de racisme « bon enfant ». Plus qu’un travail documentaire exhaustif, c’est avant tout un partage d’expérience, une traversée.

Alfredo Jaar, Muxima, film, capture d’écran.

À côté, le film Muxima (le coeur en langue kimbundu) d’Alfredo Jaar, son premier film en 2005, comprend dix chapitres, dix chants-haikus sur l’Angola : des lavandières, des enfants, des rues (Lénine, Che Guevara, Allende), un palais portugais en ruine et ses statues décapités, un cinéma en plein air, vide au crépuscule (ci-dessus), un démineur dans un champ (ce n’est qu’à l’explosion finale qu’on comprend), un hôpital et des malades du Sida, des parents de personnes disparues, des vues de rivières, de villages, et aussi de la capitale chic et illuminée, tout un kaléidoscope élégiaque structuré musicalement par la chanson Muxima en plusieurs versions de Liceu Vieira Dias, un des fondateurs du MPLA. Derrière cette profusion d’images non pas tant documentaires et linéaires que construisant une vision multiple de l’Angola, émergent évidemment tous les maux du pays : néocolonialisme, stigmates des guerres coloniale et civile, poids du pétrole et de l’accaparation des richesses, système de santé déficient, deuil impossible des disparus. Comme à Arles il y a huit ans, Jaar ne montre pas frontalement, il suggère, il indique, il pointe du doigt ; on peut regarder ailleurs, critiquer le montage, mais cette vidéo fut, pour moi, l’expérience la plus forte de cette biennale.

Salvatore Vitale, de la série How to Secure a Country, 2014/19.

Au Centre Portugais de la Photographie, une ancienne prison, huit artistes présentent des ensembles à dominante politique. Certains sont de simples documentaires, intéressants mais sans grande profondeur, comme celui sur les guérrilleras naxalites, ou la compilation d’images sur les inondations (l’expo de Mendel à Arles était meilleure, grâce aux photos délavées) : des images démonstratives, mais qui n’incitent guère à une réflexion plus approfondie. La pièce de Simon Roberts sur le vocabulaire du Brexit est trop simpliste pour attirer l’attention plus d’une minute ; l’installation de Stanley Wokulau-Wanambwa montre des images du pouvoir, mais, se limitant à la race et au genre, oublie de parler du pouvoir économique et de la lutte des classes (vous me direz, il n’est pas le seul, il suffit de voir l’état de la gôche en France). Plus intéressantes sont les réflexions de Lisa Barnard sur l’or (mais on a du mal à y percevoir un fil directeur), les applications de la surveillance et de l’identification faciale des Ouighours chez Maxime Matthys, et les jeux expérimentaux stéréotypés bien connus de Nancy Burson ( Trump en Noir, Asiatique, Hispanique, « Moyen-Oriental » – pour ne pas dire « Arabe »-, et Indien, en haut). Pour moi, la meilleure exposition de ce lot est celle de Salvatore Vitale , Sicilien vivant en Suisse, sur la sécurité en Suisse, justement parce que ce travail n’est pas simpliste, parce qu’il suggère au lieu d’imposer, parce que tant sa mise en scène que ses sujets nous incitent à réfléchir, à comparer. C’est une investigation dénonciatrice toute en subitilité et en finesse, précisément ce qui manque beaucoup dans cette biennale; et c’est aussi le sujet le plus inquiétant, à mon sens, bien davantage que le vocabulaire du Brexit ou le féminisme naxalite. Ci-dessus une image d’apparence anodine, et pourtant si révélatrice : sujet difficile à illustrer (des documents, des ordinateurs, des panneaux) et où l’artiste ne peut procéder que par allusions.

Vasco Célio, de la série Tochas, 2012/17.

Enfin, dans un espace excentré, dans un quartier pauvre, dans des entrepôts aménagés en espace d’exposition, la biennale renvoie vers une exposition, où les vues verticales de Miguel Teodoro retiennent l’attention. Mais surtout, dans ce même espace, juste à côté, j’ai découvert une excellente exposition (hors Biennale) de Vasco Célio, Tochas (jusqu’au 19 juin). Il y a deux siècles, quand des Portugais se révoltèrent contre la domination britannique, une flotte anglaise vint patrouiller au large de l’Algarve. Pour les dissuader de débarquer, les habitants de la petite ville de São Brás de Alportel (où était né, 800 ans plus tôt, le poète Ibn Ammar) plantèrent un grand nombre de torches enflammées autour de la ville pour donner l’illusion du nombre, et la Royal Navy fit demi-tour (mais c’est peut-être une légende). Vu le coût élevé de la cire, cet événement se commémore le Dimanche de Pâques avec une procession d’hommes portant des torches en fleur. Folklore, direz-vous. Sauf que Vasco Célio applique ici un protocole photographique rigoureux : pose figée et neutre des hommes (c’est moins vrai pour les enfants), costume-cravate de bourgeois ou de prolo endimanché, cravate au vent, dignité fière et martiale, fond sale du mur de l’église blanchi à la chaux, tirages à taille humaine. On a ainsi une forme de procession aux murs de cet espace, huit portraits (l’un en chemise à carreaux, détonnant un peu), dans lesquels se lisent tant la ferveur commune que la différence de statut social, du bourgeois et du dandy à l’homme du peuple en polyester et sans cravate. Et pas de femmes, bien sûr. On peut penser à Sander, en plus modeste. Célio a fait plus de 500 portraits; tirés sur des affichettes, ils se vendent pour 2€ pièce. Cette exposition m’a marquée car elle conjugue un regard social, ethnologique, avec une rigueur formelle, procédurale, choses que j’ai peu vues ailleurs dans cette Biennale, plus axée sur les bons sentiments que sur la bonne photographie (et, d’après le programme, je crains fort que les Rencontres d’Arles cette année, dont l’exposition phare est celle-ci, et qui font la part belle au politiquement correct, ne soient du même acabit; pas certain d’y aller …).

Photographier les sculptures ? (Giacometti et Lindbergh)

Exposition Giacometti Lindbergh, Museu da Misericórdia, Porto, vue d’exposition, photo de l’auteur.

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Brancusi avait tôt décidé que lui seul était capable de photographier ses propres sculptures, il apprit la technique photographique (avec Man Ray) et ne laissa plus personne (même Stieglitz ou Steichen) tenter d’interpréter photographiquement son travail (bien sûr, après sa mort, d’autres, comme Grigorescu, l’ont fait et on peut voir les différences). Alberto Giacometti, lui, n’a pas appris à photographier, et, dans son cas, on est donc privé de la possibilité d’une confrontation entre la vision photographique de l’artiste et celle d’un tiers. La Fondation Giacometti a demandé en 2017 à Peter Lindbergh, plus connu pour ses images de mode que pour un travail sur la sculpture, de photographier des sculptures de Giacometti, et le Musée de la Miséricorde à Porto présente donc une exposition de sculptures et photographies (jusqu’au 24 septembre; deux mots plus bas sur la Miséricorde). Le résultat est parfois intéressant, mais peu exaltant, et parfois décevant.

Exposition Giacometti Lindbergh, Museu da Misericórdia, Porto, vue d’exposition avec au premier plan Buste d’Annette IV, 1962; photo de l’auteur.

La première salle, carrée, sous une verrière (vue d’ensemble plongeante en haut) montre, sur un socle central, cinq femmes de Giacometti et, aux murs, neuf photographies des mêmes, en gros plan, avec parfois un dédoublement, comme un écho. C’est assez spectaculaire, et c’est fait pour l’être, comme par exemple avec ce buste d’Annette auquel répond son image à l’arrière-plan. Mais cela permet-il réellement de voir mieux, de voir plus, comme le dit le texte d’accompagnement ? Capture-t-on ici l’invisible, comme l’affirme le titre de l’exposition ? Je n’en suis pas convaincu.

Alberto Giacometti, Personnage accroupi, 1926, photo de l’auteur.

La quasi totalité des oeuvres de Giacometti présentées ici sont des têtes et des corps, il n’y a que trois oeuvres plus anciennes, une composition cubiste (la II de 1927) dont la photographie par Lindbergh est particulièrement confuse, une femme plate (la II de 1928-29) et ce remarquable personnage accroupi de 1927 d’aspect très primitiviste, à laquelle Lindbergh ne s’est pas confronté.

Alberto Giacometti, Trois hommes qui marchent, petit plateau, 1948, photo de l’auteur.

On pourrait se dire que Giacometti se suffit à lui-même et que simplement montrer intelligemment ses sculptures pourrait suffire : ainsi, la force de ces Trois Hommes qui marchent, soulignée par l’aspiration verticale de la fenêtre à l’arrière-plan, n’a besoin de rien de plus. À ne pas manquer (car c’est projeté dans un recoin bien caché), des petits extraits (sans le commentaire) du très révélateur film en couleur de Ernst Scheidegger et Peter Münscher de 1966, montrant Giacometti modelant une tête dans son atelier.

Peter Lindbergh, 3 photographies de L’Homme qui marche, 2017, photo de l’auteur.

Ce sont donc, à mes yeux, de bonnes photographies documentaires, bien faites, bien éclairés, en gros plan, avec parfois des détails bien visibles (mais, ici, on peut s’approcher au plus près des sculptures), mais sans supplément d’âme. Les seules photographies de Lindbergh où j’ai senti un souffle unique sont ces trois images de l’Homme qui marche, immense, qui jaillit de l’obscurité comme un fantôme (malgré le poteau rouge qui les coupe dans une prise de vue depuis le seul point de vue possible) : de par leur mise en scène, elles créent véritablement une impression qui va au-delà du simple regard sur la statue. Mais, à mes yeux, ce sont les seules.

Dessin d’Alberto Giacometti et photographie de Peter Lindbergh, sans cartels d’identification, photo de l’auteur.

Une petite salle juxtapose dix dessins de Giacometti et 20 photographies de mode de Lindbergh, tentant d’établir des parallèles formels entre les deux : personnages dans la même pose, le même mouvement. Mais ce n’est pas vraiment réussi, c’est trop délibéré, ça manque de naturel, n’étant basé que sur des similitudes de formes.

Rui Chafes, Mon sang est votre sang (vue de l’extérieur du Musée), 2015.

La Miséricorde est une oeuvre de charité, dont les membres ont des devoirs corporels (comme à Naples), mais aussi des devoirs spirituels (mon préféré étant « punir avec charité ceux qui sont dans l’erreur »). Le bâtiment héberge une collection d’art religieux, et il y a aussi une église. Et on se prend à regretter que nul n’ait eu l’audace de mettre un grand Giacometti dans le choeur, devant l’autel, ou sur le velours rouge du balcon de l’orgue. Dommage, ça aurait été autrement plus impressionnant. Une des salles du bâtiment présente le tableau Fons Vitae de Colin de Coter (vers 1515) où le sang du Christ crucifié alimente une fontaine. À côté de ce tableau, le sculpteur Rui Chafes, dont la confrontation parisienne avec Giacometti avait été remarquable, a installé une sculpture qui jaillit du bâtiment, traverse le mur et sort dans la rue, comme une veine, un tendon, une draperie, unissant dedans et dehors, passant et dévot.

Couverture du catalogue de l’exposition Face to Face au Moderna Museet.

Le catalogue était épuisé lors de ma visite, aussi vais-je vous parler d’un autre catalogue, celui de l’exposition au Moderna Museet, intitulée « Face to Face » où Giacometti est confronté à trois écrivains, Georges Bataille, Jean Genet et Samuel Beckett (jusqu’au 30 mai). Rien à voir avec la catastrophe que fut l’exposition de Pompidou où Francis Bacon était lui aussi confronté à des écrivains. Ici, à en juger par le catalogue, il y a du sens et pas des rapprochements incongrus, ne serait-ce que parce que Giacometti a connu et apprécié chacun des trois écrivains. Bataille (avec Michel Leiris et le groupe de la revue Documents) a accueilli le jeune provincial suisse, a partagé avec lui sa révolte contre l’esthétique et son attrait pour l’informe (essai de Dawn Ades), et l’a aidé à s’intégrer dans le contexte parisien dès 1929 (une statuette représentant Diane Bataille est d’ailleurs dans l’exposition de la Misericordia). Genet fut peint et sculpté par Giacometti et écrivit un très beau livre sur lui, partageant sa marginalité et aussi (essai de Agnès Vannouvong dans le catalogue) son rapport à l’espace, à la clôture. Enfin, Giacometti conçut pour Beckett l’arbre de En attendant Godot, partageant avec lui le sentiment d’impossibilité de représentation du réel (essai de Jesper Olson). Très bonne introduction des commissaires; catalogue de 252 pages en anglais, avec la reproduction d’une centaine d’oeuvres présentées dans l’exposition, plus de nombreuses photographies et documents. Livre reçu en service de presse.

Les Portugais(es) n’ont pas de corps

Jorge Molder, de la série Call for papers, 2013, ph. de l’auteur

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Dans le foyer de l’auditorium de Serralves se trouve une exposition didactique très documentée sur la danse au Portugal, sous forme de « timeline »; malgré quelques tentatives, je ne suis pas critique de danse et donc ne pensais pas vous en parler. Mais parmi les très nombreux documents présentés se trouve un article daté de 1993 dans la revue Expresso du critique Alexandre Melo, dont le titre est « Les Portugais n’ont pas de corps « . Cet article critique la chorégraphie séche, aride, anti-sensuelle de Vera Mantero et Francisco Camacho, danse conceptualisée, très intéressante, mais dans laquelle le corps n’est utilisé que comme un objet, un outil. Non point, comme le dit le narratif présenté ici, qu’il s’agisse de retard ou d’arriération (ce qui permettra à d’autres, comme Raquel Ribeiro en 2010, de réfuter cet argument au nom de la modernité), mais, à mon sens, bien plus du fait d’un puritanisme fortement ancré dans la culture portugaise. Cette absence du corps charnel est vraie dans la danse (même cette danse nue était austère), elle est ancrée dans l’histoire (le Musée d’art ancien a, en tout et pour tout dans ses collections, cinq, seulement cinq représentations de corps féminins un peu dénudés, cent fois moins qu’au Louvre : une prostituée flamande, des damnées rotissant en enfer, une miniature allégorique, un très sage Boucher, et une Danaïde d’après Rodin). Et cette absence du corps est patente dans les arts plastiques contemporains, d’où la sensualité est très souvent absente (et encore plus avec le décès récent de Julião Sarmento, un des très rares Portugais à avoir osé jouer avec la sensualité et la séduction). Aussi, comme cette exposition le montre clairement, quand on parle de corps aujourd’hui, c’est pour parler du corps seulement comme objet, et les thèmes sont alors la misogynie, le machisme, l’homophobie, les violences raciales, la transphobie, la « queerness », etc., thèmes fort importants, mais pour lesquels le corps n’est qu’un objet, et pas un sujet actif, sensuel et séduisant.

Jorge Molder, de la série Tangram, 2004/08, 150x102cm.

Mais bien sûr on peut faire des choses remarquables en considérant le corps comme un objet, une forme, un alphabet avec lequel on peut s’exprimer, de manière formelle, détachée, conceptualisée, sans se laisser dominer par les sens et les sentiments. Dans la bibliothèque de Serralves, une petite exposition présente une quinzaine de photographies de Jorge Molder qui appartiennent à la collection du Musée (exposition parisienne de Molder en cours). Dans ses images les plus connues (ici les séries « T.V. » et « La Reine vous salue »), Molder se représente lui-même, son corps, son visage, mais ce ne sont pas des autoportraits au sens classique du terme, mais plutôt l’utilisation de son corps comme instrument, comme alphabet, comme matériau pour incarner un langage artistique, des antiportraits (j’en parlais plus en détail ici et ). Mais il y a ici aussi des photos de trois autres séries : si l’une (outre son titre, « Zizi ») laisse un peu dubitatif, des aplats monochromes rayés, on est surtout frappé par ces deux photographies (en haut) de la série « Call for papers » qui ne sont que traces d’empreintes (la marque d’une chaussure au sol, la trace d’un verre humide sur une table) et ouvrent ainsi une perspective complexe sur la photographie comme empreinte d’un monde qui lui-même n’est qu’une représentation fugitive. Et puis, revenant au corps, une série de jeux de mains semble présenter un code, une prestidigitation combinatoire : la série se nomme « Tangram », comme le puzzle chinois (ci-dessus). Qu’en déduire ? L’exposition, étant dans le vestibule de la bibliothèque, comprend aussi des livres, certains sur l’artiste (l’un titré « Molder agent secret »), d’autres choisis par lui car l’ayant influencé (dont Perec), qu’on peut feuilleter; entre autres, dans le nº 62 de la revue European Photography, qui consacrait un article à sa série « Anatomy and Boxing », Molder, adepte des fausses pistes, écrivait : « Je n’ai rien à dire de particulier sur cette série, mais si vous voulez la comprendre, ouvrez un dictionnaire pour lire les définitions de ces mots » avec une liste comprenant les mots : théâtre, sommeil, agonie, briller, disséquer, appropriation, illusion, oubli, et d’autres. Cherchez vous-même !

Manoel de Oliveira, sans titre

Plus loin dans le parc de Serralves, dans la Casa do Cinema, est présentée une exposition d’une centaine de photographies inédites du grand cinéaste portugais Manoel de Oliveira, prises dans les années 30 à 50. Quelques-unes sont des photographies de tournage de ses films, repérages ou castings, mais la plupart sont, dans l’esprit moderniste de l’époque, des natures mortes, des vues de paysages bien construites, des nuages, des géométries architecturales ou végétales, des jeux d’ombre et de lumière, de reflet et de diffraction. S’y mêlent tirages originaux et tirages récents (de grande qualité). On relève deux ou trois expérimentations (virage au soufre, solarisation). Cette exposition montre sûrement un aspect méconnu de son travail, et a donc un intérêt documentaire certain, mais, si on connaît un peu le travail des photographes européens et américains pendant cette période, on peine à y déceler quelque chose d’original, de novateur, de révolutionnaire, rien qui le distingue particulièrement. Un exemple parmi d’autres : la vaisselle ci-dessus, fort bien photographiée, arrive 20 ou 30 ans aprés les Bols de Paul Strand (et bien d’autres), mais ne va pas aussi loin dans son souci d’abstractisation et de décomposition des formes, comme s’arrêtant en chemin par manque d’audace. Un immense cinéaste, mais un photographe honnête. Et, là encore, une absence du corps (à part les castings et quelques portraits très sages de son épouse).

Louise Bourgeois, masculin-féminin

Louise Bourgeois, The Maternal Man, 2008, pigments sur tissu, 122×82.6cm, Glenstone Museum.

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Intéressante exposition de Louise Bourgeois à Serralves à Porto (jusqu’au 19 septembre). Pas de découvertes extraordinaires, mais une belle présentation de son travail, principalement à partir de la collection du Musée Glenstone. Une immense araignée (Maman, 1999) trône dans le jardin devant la Casa de Serralves en rénovation sous les bâches, et les autres pièces occupent presque la moitié de l’espace du musée. Peut-être davantage que dans d’autres expositions de Louise Bourgeois (et aussi), j’ai été frappé ici par la tension entre les deux sexes, par le jeu qu’elle mène entre féminin et masculin. Le dessin sur tissu ci-dessus est éloquent : un homme enceint, acéphale, au pénis irradiant rouge, et dont le foetus se voit par transparence (au passage, ce foetus en transparence fut, historiquement, une des représentations – réprimées par l’Église – de la Vierge enceinte). Juste à côté, pendu par les pieds au plafond, un corps de tissu noir, décapité, mains et pieds coupés, bras étendus à l’horizontale, comme une outre (Single I, 1996) : approchez-vous et vous voyez ses petits seins, un corps d’homme modifié par l’ajout d’une poitrine de jeune fille, un androgyne transhumain. Dans la même veine de mixité trans-sexes, il y a aussi, à l’entrée de l’exposition, Sainte Sébastienne (1998), vue à Pompidou en 2008.

Louise Bourgeois, I Give Everything Away, 2010, gravure et techniques mixtes sur papier, 1ère de 6 feuilles, 152x180cm, Glenstone Museum, ph. de l’auteur.

À côté de l’homme enceint se trouve une des dernières oeuvres de Louise Bourgeois, à 98 ans : six feuilles de papier où le texte suivant (en anglais) accompagne les dessins « je donne tout, je me distance de moi-même, de ce que j’aime le plus, je quitte ma maison, je quitte le nid, je fais mes valises », comme un dernier adieu, quelques semaines avant sa mort. Et, pied-de-nez à la camarde, elle s’y représente nue et jeune.

Louise Bourgeois, La destruction du père, 1974, latex, plâtre, bois, tissu et lumière rouge, 238x362x249cm, Glenstone Museum, ph. de l’auteur.

Plusieurs « cells » dans l’exposition, celle dite Choisy, bien connue, avec la maison de son enfance, la guillotine et le panneau « Aux Vieilles Tapisseries »; la Cell I, faite d’un assemblage de portes et contenant un espace d’intimité, lit, lampe de chevet, broderies (« Art is the guarantee of sanity ») visibles par les entrebaillements. Mais surtout la Cell III, elle aussi faite de portes assemblées de bric et de broc, fermée, matricielle, abritant en elle une jambe coupée qui émerge d’un bloc de marbre et un corps tordu sur un massicot : dans un antre qu’on avait présumé accueillant, la violence. En écho à cet antre, un âtre rougeoyant, une grotte sardanapalesque, avec un lit couvert de morceaux de corps : c’est la destruction du père, le festin cannibale et vengeur des femmes Bourgeois contre le mâle dominant. La tension entre ces deux pièces, l’une close, l’autre ouverte, et la violence de chacune, ici dissimulée, là offerte, sont frappantes.

Louise Bourgeois, Noir Veine, 1968, marbre, 58x61x69cm & S.T., 1972, bois peint et carton, 69x58x51cm, Glenstone Museum, ph. de l’auteur.

Ailleurs, on se sent tout autant perturbé entre les rondeurs de la forêt de cylindres phallliques doux et caressables émergeant du marbre noir (Noir Veine, 1968) et une pièce en bois et carton sur un billot fendu, caverne de stalagmites et stalactites noirs, qui peut évoquer un vagin denté. Là encore, violence et douceur, loin des stéréotypes sexués.

Louise Bourgeois, The Curved House, 2010, marbre, 12x21x7cm, Glenstone Museum, ph. de l’auteur.

Enfin, dans une alcove, une petite maison en marbre surgissant de l’obscurité. Elle est doucement incurvée et sa partie convexe montre une porte et quatre fenêtres aveugles, fermées, empêchant l’entrée. Mais sa partie concave est ornée d’une vulve entrouverte comme une invite. Cette exposition fut, à mes yeux, une intéressante exploration des ambivalences sexuelles dans son oeuvre. Petit catalogue anglais-portugais assez austère, avec un bel essai de Briony Fer sur la nuit, Freud, Proust et Bourgeois, et des extraits du Journal de Louise Bourgeois.

Korakrit Arunanondchai avec Alex Gvojic, No History in a Room filled with People with funny Names 5, 2019, vue d’installation.

Ailleurs dans Serralves : des photos de la Tamise par Roni Horn, qui, dans un tout autre style, résonnent avec l’oeuvre de Louise Bourgeois; des installations vidéos de l’artiste indienne Nalini Malani qui, au sortir de de l’exposition de Louise Bourgeois, paraissent creuses, artificielles, instrumentalisantes; des tableaux photographiques de l’Américaine R.H. Quaytman, une recherche formelle sans grand intérêt; et une belle installation caverneuse du Thailandais Korakrit Arunanondchai (avec l’Américain Alex Gvojic) où on s’immerge dans une forêt en foulant la terre, devant trois écrans. Demain, le reste.

La rétine photographique : le mythe de l’optogramme (3. Critique)

en espagnol

Alors qu’il y a eu de nombreux textes médicaux, scientifiques, criminologiques ou simplement journalistiques, les premières interprétations de nature esthétique ou philosophique n’ont commencé, à ma connaissance, qu’en 1977, dans le champ de la critique littéraire, quand l’écrivain et spécialiste de littérature français Philippe Bonnefis a analysé l’optogramme dans les romans de Jules Verne et de Villiers selon une grille esthétique et psychanalytique. Ce fut ensuite le professeur de littérature Max Milner qui évoqua l’optogramme dans son livre La Fantasmagorie en 1982 : après avoir mentionné les théories optiques de Goethe, de Kirchner et de Hegel, il y analysait les fantaisies optiques dans les contes d’E.T.A. Hoffmann, puis mentionnait quelques romans où les yeux avaient été remplacés par des prothèses oculaires, avant de consacrer quelques pages aux recherches et aux romans sur la rétine et l’optogramme. Pour lui, « photographier la rétine d’un être humain à l’instant de sa mort, c’est travailler sur la frontière incertaine entre l’existence terrestre et l’existence mystérieuse qui lui succède », la photographie livrant ainsi « quelques secrets du passage par excellence », comme « une sorte de fenêtre ouverte sur l’au-delà ».

Après ces deux textes relevant plutôt de la critique littéraire, Didi-Huberman fut donc, en 1983, dans la Revue belge du Cinéma, le premier historien d’art à écrire sur l’optogramme (en même temps qu’il réalisait le film mentionné hier). Son article reprenait le rapport du Pr. Vernois en 1870 réfutant l’optogramme du Dr. Bourion ainsi que des extraits d’un article (peu connu et moins sceptique) du naturaliste Henry de Varigny dans la Revue des deux Mondes en 1879 ; il mettait l’accent sur l’appartenance de l’optogramme à l’ordre des empreintes, étant même une « empreinte d’empreinte-d’empreinte » (p. 29), car photographie d’une tache elle-même empreinte de la dernière vision du mort. Notant que fantasmes médico-légaux et fantasmes photographiques voulaient tout révéler, Didi-Huberman voyait dans l’optogramme une tentative de reconstitution de la temporalité : « La position temporalisante du ‘fantasme optographique’ consisterait à courir toujours, à courir après le moment juste. Son échec : on ne court qu’après ; il n’y a là d’image qu’après coup, c’est-à-dire, dans cette logique, toujours trop tard. » (p. 32, italiques originales). Certes, concluait-il, l’existence de l’optogramme fut réfutée, mais la question avait été possible, envisageable : le fantasme tient à cet impossible, « l’immonstrabilité du temps » (p. 32).

Ensuite, en 1986, Philippe Dubois écrivit un essai sur diverses fictions photographiques liées au corps, dont l’optogramme (texte repris en 1990 dans L’Acte photographique). Pour Dubois, il s’agissait là d’une machine à fantasmes, d’une « irrésistible mise en scène du voir et de l’être vu, du croire et du faire croire, de l’être et du non-être » (p. 46), à la fois une prise de vue et une prise de vie. L’optogramme est une tentative impossible « de rendre au visible l’instant même de l’effacement du regard », de trouver le bon moment, « cet instant unique, cette faille (impossible, rêvée) entre la vie et la mort, entre le visible et l’invisible, c’est-à-dire finalement, entre le voir et le non-être. Je vois, donc je ne suis pas ». Et il concluait « L’optogramme, c’est la preuve par l’œil. » (p. 47).

Si, comme Bonnefis et Milner, ces deux historiens de la photographie mettaient l’accent sur la frontière avec la mort, ils replaçaient surtout l’optogramme dans la philosophie du voir et dans l’histoire de la photographie. Curieusement, pendant une quinzaine d’années après 1986 (excepté la republication du texte de Dubois en 1990), il n’y a pratiquement plus eu, à notre connaissance, d’études sur l’optogramme par des scientifiques, des philosophes, des critiques ou des historiens. Seule exception, en 1993, l’historien des sciences et de la médecine Richard L. Kremer opposa l’approche objective et rationalisante de la vision chez Kühne à la vision subjective de Goethe, voyant l’optogramme comme « l’emblème suprême de l’objectivité non-interventionniste », et il fut, sauf erreur, le premier à évoquer à ce sujet Jonathan Crary. Ce sujet ne semble pas avoir beaucoup intéressé les historiens de la photographie jusqu’à Stiegler et Medeiros en 2011/12, car sans doute trop éloigné des axes principaux de recherche en photographie pendant ces décennies-là (et c’est toujours le cas aujourd’hui, comme le montre le refus de cet essai dans plusieurs revues photographiques). Ainsi l’historien de la photographie Clément Chéroux, qui travaillait alors sur la photographie spirite et l’occulte, ne semble pas avoir abordé le sujet de l’optogramme dans ses livres ni dans ses expositions. De plus, les chercheurs français de quelque discipline que ce soit n’ont guère été plus intéressés (je n’ai retrouvé aucun texte français d’ordre scientifique, critique ou philosophique postérieur à Dubois).

Le renouveau des études sur l’optogramme a d’abord été le fait de l’universitaire américaine Andrea Goulet, spécialiste de la littérature française du XIXe siècle, qui étudia sa place dans la fiction « fin de siècle » dans des essais dès 2003, puis dans plusieurs chapitres de ce livre en 2006. Dès la préface de son livre, elle citait Crary pour souligner la manière dont la nouvelle corporalité subjective s’opposait aux modèles classiques de vision basés sur la perspective ; elle revenait en détail sur l’opposition entre une vision intuitive, innée, sensible et une vision rationnelle, mentale, pour aboutir à une définition empiriciste de l’optogramme selon laquelle les données sont dans l’organe d’observation et non dans l’esprit de l’observateur. Goulet fut aussi la première à replacer le mythe de l’optogramme dans son contexte social et politique : celui où l’espace domestique, européen, civilisé, colonisateur, était envahi par des éléments exotiques, barbares, violents, indigènes. L’étrange, le visionnaire entraient dans notre réalité objective, c’était « la hantise de l’autre en moi », un danger criminel qu’il fallait contenir, et dont on devait se protéger, tout comme Pasteur nous protégea des microbes, et Bertillon des marginaux et des criminels (Clarétie dédia d’ailleurs sa nouvelle au criminologue Cesare Lumbroso). Goulet développa aussi la métaphore de l’optogramme comme fixation d’un moment fugitif, comme résolution de l’ambiguïté entre temporalité et lumière ; ce moment frontière entre passé et futur était, pour elle, typique d’une mentalité « fin de siècle », dans l’esprit du temps.

Ensuite, en 2011 et 2012 parurent deux livres entièrement consacrés à l’optogramme, d’abord celui du professeur de littérature allemand Bernd Stiegler, « Les Yeux lumineux. Optogramme ou la promesse de la rétine », puis celui de l’historienne portugaise de la photographie Margarida Medeiros, « La Dernière Image (photographie d’une fiction) ». Le livre de Stiegler est très complet (250 pages), relatant en détail les expériences scientifiques, les enquêtes criminelles, les articles de journaux, les romans et les films concernant l’optogramme. Partant de l’idée de l’œil comme « miroir de l’âme » (publicité d’une agence de reportage munichoise, p. 7&8), il développe la métaphore de l’œil comme outil photographique et donc de l’image rétinienne comme « type idéal de témoin oculaire » (p. 95), d’une objectivité photographique directe (p. 12). Dans ce cas, « l’œil n’est pas le reflet de l’âme, la vie intérieure compte peu » et « le dernier regard […] ne révèle rien sur le mort, seulement sur l’assassin » (p. 12). Stiegler distingue trois phases, chacune présentant une variation du rapport entre subjectivité et vérité (p. 190-193) : d’abord, au milieu du XIXe siècle, l’optogramme fut considéré comme une sorte de couche, de membrane, une interface entre le sujet et la réalité extérieure, et la photographie est alors un produit de la nature garantissant l’objectivité picturale ; l’optogramme bornait ainsi une frontière bien définie entre la théorie de la représentation d’un côté et l’optique physiologique de l’autre (p. 190-191). La deuxième phase, à la fin du XIXe et au début du XXe siècles, vit la métaphore de la rétine comme photographie devenir autonome, transformant photographie et optogramme en processus d’objectivation ; l’optogramme promettait, générait et certifiait des preuves et, grâce à elles, on pouvait arrêter le coupable (p. 191-192). Dans la troisième phase, dans les années 1920, l’optogramme, dès lors inscrit dans les avant-gardes, était devenu une sorte de processeur utilisant la technologie pour accéder au sujet, une fenêtre révélant un autre ordre des choses ; la nature était remplacée par la technologie et, après Dziga Vertov et son ciné-œil, l’optogramme fut perçu comme un motif métaphorique, une transition vers un ordre techniquement et culturellement supérieur (p. 192-193). Stiegler cite d’ailleurs Rodtchenko en exergue de son épilogue : « L’objectif de la caméra [de l’appareil photographique] est, dans la société socialiste, la pupille de l’œil de la personne cultivée. » Le titre du livre de Stiegler évoque la promesse de l’optogramme, mais il est évident que cette promesse n’a pas été tenue, que cette supposée objectivité n’a pas abouti ; en conclusion, dit-il, on doit se garder des superstitions et rester sceptique, ne pas « ouvrir toute grande la porte à l’obscurantisme » (p. 95).

Le livre de Margarida Medeiros (134 pages), un an plus tard, reprend lui aussi l’histoire des recherches scientifiques sur la rétine, détaillant de manière très complète les mentions de l’optogramme dans la presse entre 1857 et 1898 (p. 55-75, et p. 133-134) et analysant deux des romans consacrés à l’optogramme (Verne et Kipling), mais l’auteure déclare dès l’abord ne pas vouloir se limiter à « une archéologie des textes scientifiques et populaires ni de sa présence en littérature » , mais vouloir arriver à « une compréhension des relations entre eux et de leur lien avec les préoccupations sociales et politiques » (p. 14). Dans la lignée de Crary, elle inscrit donc l’optogramme dans la culture scientifique et idéologique qui, dès la fin du XVIIIe siècle, questionna la vision (Darwin, Comte, Goethe, et aussi Turner) : « dans cette vision romantique, la séparation rigide entre extérieur et intérieur, entre Sujet et Objet, qui avait permis l’optimisme rationaliste, n’avait plus lieu d’être » (p. 21). Elle l’inscrit ainsi dans l’histoire des idées et l’épistémologie, dans l’histoire et la philosophie des sciences, mentionnant (p. 15) le dieu prothétique de Freud. Medeiros met l’accent sur la société de surveillance et l’identification des suspects, mentionnant Lavater, Bertillon, Galton (p. 59-61), car l’optogramme apparut dans une société anxieuse, fantasmant sur les criminels, où la protection passait par la surveillance, le contrôle policier, le voyeurisme ; elle le lie à l’apparition de l’homme public, l’homme des foules de Poe, l’homme urbain des tableaux de Manet, en se référant aux travaux de plusieurs sociologues et historiens du XIXe (Richard Sennett, Joachim Schlör, Lynn McDonald) et bien sûr à Michel Foucault (p. 79-96). En conclusion, plaçant l’optogramme à la confluence entre la biologisation du corps humain, le positivisme et l’approche expérimentale en médecine, elle questionne la croyance dans la vérité objective de l’image rétinienne, y décelant deux types de fantasmes : l’un supposant qu’une image obtenue mécaniquement serait davantage vraie qu’une image consciente, et l’autre récupérant la fascination pour une technique omnipotente à des fins de contrôle social dans la société urbaine moderne.

En conclusion, le mythe de l’optogramme, basé sur des expériences médicales, mais fantasmé par policiers, journalistes, romanciers et cinéastes, n’a bien évidemment pas tenu ses promesses de révélation objective du réel, de mémoire-empreinte. Mais il est révélateur d’une époque où science médicale et superstition se rejoignaient parfois aux frontières de la réalité. L’optogramme est aussi intéressant du point de vue de l’histoire de la médecine car il a représenté la première expérience d’un corps augmenté, d’un corps capable de performances machinistiques, en l’occurrence une représentation photographique du réel sans appareil, sans médiation technique, au moyen du corps seul. Et, comme bien des sujets en rapport avec l’identité et la morale, il a été absorbé et transformé par la littérature et l’art, devenant ainsi un révélateur de la société environnante.

La rétine photographique : le mythe de l’optogramme (2. Fiction et Art)

« L’image de l’assassin sur la rétine de l’assassiné » (James Joyce, Ulysse, Paris, Gallimard, 2004 [1922], p. 148)

Jacques Poirier, illustration pour Les Frères Kip de Jules Verne, Paris, Hachette (Bibliothèque Verte), 1972, p. 251. Nat Gibson découvre l’image des assassins au fond de l’œil de son père sur une photographie agrandie.

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Plusieurs auteurs ont écrit à la fin du XIXe et au début du XXe siècles des nouvelles ou romans où l’optogramme est présent. Medeiros, Stiegler et Arthur Evans en ont compilé une recension assez complète, et Andrea Goulet en a fait le thème de ses recherches. Stiegler a distingué deux approches différentes (outre celle de l’artiste Derek Ogbourne, voir plus bas). Certains romanciers, Jules Clarétie (L’Accusateur, 1895), Cleveland Moffett (On the Turn of a Coin, 1900), Jules Verne (Les Frères Kip, 1902) et Thomas Dixon (The Clansman, 1905) présentèrent l’optogramme comme un outil scientifique permettant d’identifier le meurtrier. D’autres, comme Auguste de Villiers de L’Isle-Adam (Claire Lenoir, 1867, puis Tribulat Bonhomet, 1887) et Rudyard Kipling (At the End of the Passage, 1912) le virent plutôt comme un outil magique, un espace de projection révélant une image des pensées, une mémoire des rêves, que Stiegler qualifia de « jeu de fantasmes, […] remise en cause de la certitude de la perception ».

Ce fantasme de lecture dans les pensées et de vision mémorielle se retrouvait aussi dans d’autres œuvres de fiction décrivant un accès direct au cerveau, sans nécessairement passer par l’œil, comme par exemple The Diamond Lens (de Fitz James O’Brien, 1858), ou Dr. Berkeley’s Discovery (de Richard M. Slee et Cornelia Atwood Pratt, 1899). Il est intéressant de noter que dans tous les cas policiers ou presque, la victime était une femme, mais que dans plusieurs de ces romans (Clarétie et Verne, entre autres) la victime était un homme. Comme explicité plus loin, Goulet a analysé plusieurs de ces œuvres (Clarétie, Verne, Villiers, Kipling) à la lumière des fantasmes sur l’exotisme et de la hantise de l’autre. Notons que quelques romans plus contemporains ont aussi évoqué l’optogramme : The Eyes have it de Randall Garrett en 1964, The Alienist de Caleb Carr en 1994 ou Dan Leno and the Limehouse Golem de Peter Ackroyd en 1994, mais ce thème est surtout présent aujourd’hui au cinéma et dans les mangas et les jeux vidéo.

Gabriel Soria, Los Mortes Hablan, 1935, photogramme, 12’02’’.

Stiegler consacre une partie importante de l’épilogue de son livre au cinéma, tant aux films de « ciné-œil » qu’aux films évoquant ou mettant en scène des optogrammes. Le plus ancien film, non mentionné par Stiegler, semble être Los Muertos hablan de Gabriel Soria en 1935, premier film de science-fiction mexicain où un professeur de médecine et son étudiant résolvaient ainsi un double meurtre; vint ensuite Le Rayon invisible de Lambert Hillyer en 1936 à Hollywood. Mentionnons aussi le film policier Quatre Mouches de velours gris de Dario Argento (1971) où l’optogramme était également utilisé pour résoudre un meurtre, le film d’horreur Terreur dans le Shanghai Express d’Eugenio Martins (1972) où les yeux d’un hominien fossilisé conservaient des images de la préhistoire, et L’œil de l’autre de John Lvoff (2005) qui est aussi et surtout une réflexion sur la création photographique. Le thème de l’optogramme apparaît aussi dans des séries télévisées, comme Les Mystères de l’Ouest (en 1998), Fringe (en 2008) et Doctor Who (à deux reprises, en 1975 et 2013).

Gabriel Soria, Los Mortes Hablan, 1935, photogramme, 1h 4′ 10 »

Par contre, peu d’artistes plastiques ont été inspirés par l’optogramme ; à la différence de la littérature et du cinéma, au lieu de conter une histoire, ceux qui le furent réagirent en créatifs à ce qu’était et ce que pouvait signifier l’optogramme. Curieusement, le premier plasticien associé d’une certaine manière à l’optogramme fut le sculpteur berlinois Louis Sussmann-Hellborn : Franz Boll, avant de présenter à la communauté scientifique les couleurs observées sur les rétines, fit appel à cet artiste réputé pour identifier mieux que lui les nuances de couleur, le présentant comme son « interprète artistique ». Mais ce n’est que récemment que quelques artistes se sont intéressés à l’optogramme, pour la plupart de manière marginale au sein de leur travail. Le photographe portugais Daniel Blaufuks (né en 1963) a inclus le dessin d’optogramme de Kühne dans son exposition Andorra : dans le petit catalogue d’exposition, l’artiste, interviewé par Medeiros, cite l’article du Prix Nobel George Wald, y voyant une référence à la mort imminente.

Un autre photographe portugais, Luis Campos (né en 1955) a réalisé une série, titrée « La Dernière Vision des héros » où il a reconstruit ce qu’aurait pu être la dernière vision que dix héros (dont Humberto Delgado, Steve Biko et Bobby Sands) auraient eue juste avant de mourir de mort violente ; l’historien de la photographie Jean-Claude Lemagny a dit à propos de cette série que la dernière image était probablement la seule photographie dans une vie, le reste étant un film. Le photographe français Jean-Christophe Garcia (né en 1959) conçoit des photographies de « Faits divers », de lieux du crime comme si c’étaient des optogrammes, l’ultime vision de la victime, se reliant ainsi à Atget, mais aussi au photographe expérimental Thomas Bachler. La vidéaste et photographe nord-irlandaise Susan MacWilliam (née en 1969), qui s’intéresse particulièrement à l’occulte et au paranormal, a incorporé dans un de ses films, After Image, des séquences des films de Dario Argento et de Gabriel Soria, avec une bande son envoûtante et étrange. L’optogramme est aussi un sujet évoqué par l’acteur et artiste libanais Rabih Mroué lors de sa conférence-performance The Pixelated Revolution (2012) au sujet des regards croisés entre snipers syriens et militants les filmant.

Derek Ogbourne, Museum of Optography, The Purple Chamber, Sharjah (EAU), Sharjah Art Foundation, 02/07 – 03/10/2012, vue d’exposition.

Seul un artiste britannique, Derek Ogbourne (né en 1964) a consacré une partie importante de son travail à l’optogramme : ses recherches sur le sujet depuis près de vingt ans lui ont permis d’acquérir une connaissance très large sur le sujet (et une excellente bibliothèque), et ont abouti à une série d’expositions de son Musée de l’Optographie, et à la publication d’une Encyclopédie de l’optographie laquelle reprend plusieurs des textes mentionnés ici. Un des essais de l’encyclopédie, par son épouse Susana Medina, est titré « un tatouage rétinien de lumière » ; dans un autre essai, l’artiste britannique Olly Beck remarque que le seul optogramme humain indubitable (le dessin par Kühne de l’optogramme de l’homme guillotiné) est quasiment un dessin abstrait, comme si la non-figuration allait de pair avec la mort. Le Musée de l’Optographie est un immense cabinet de curiosités, mêlant pièces documentaires et créations d’art rétinien par l’artiste. Son travail interroge les rapports entre l’art et la science, mais il s’agit là d’une science obsolète et inutile, génératrice d’excitation et de déception, rendant floues les frontières entre vérité et mensonge. Ses expositions oscillent entre le mélancolique, le macabre et le tragicomique. Avec Ogbourne se clôt en quelque sorte l’histoire de l’optographie, désormais « revisitée en un cabinet de curiosité bizarre et stimulant », ironique et macabre.

Derek Ogbourne, Museum of Optography, The Purple Chamber, Sharjah (EAU), Sharjah Art Foundation, 02/07 – 03/10/2012, vue d’exposition.

Enfin, le philosophe et historien d’art français Georges Didi-Huberman (né en 1953) a réalisé un petit film à ce sujet, titré simplement L’Optogramme (1983) à partir de l’image accompagnant le rapport du Pr. Vernois en 1870 (Fig. 3). La critique canadienne Monique Langlois a décrit ainsi le film (que nous n’avons pas pu voir, malgré nos recherches) : « des extraits des textes décrivant l’expérience médicale et le récit de l’assassinat se déroulent dans un médaillon de forme circulaire qui se découpe sur un fond noir. Puis apparaît l’ultime image, en noir et blanc, qui fait état d’un instant cruel ». L’historienne d’art américaine Rosalind Krauss a raconté avoir vu le film à Liège en 1983, le trouvant « étrangement ombreux », avec des bruits d’aboiement, de pas et d’un claquement de porte ; le jugeant « merveilleusement hardi », elle nota qu’il montrait la conviction de Didi-Huberman (qui était aussi la sienne) que l’histoire de la photographie ne peut la réduire à un processus de production d’images et ignorer sa condition, d’index, de trace, d’empreinte. Didi-Huberman a d’ailleurs été un des premiers historiens d’art (sinon le premier) à écrire sur l’optogramme.

La rétine photographique : le mythe de l’optogramme (1. Histoire)

Cet essai ayant été refusé par des revues de photographie (trop) classiques ( CC Reviewer 2 :  » This is NOT photography ! REJECT !), je vous l’offre ici, adapté au format du blog.

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Le corps humain peut-il photographier ? J’ai étudié ailleurs la transformation de cavités corporelles, poing, bouche ou vagin, en appareils photographiques, en camerae obscurae, et je vais examiner ici un autre aspect du corps photographique, la rétine en tant que (supposé) instrument photographique. C’est un sujet qui a été peu abordé dans la littérature française, que ce soit d’un point de vue artistique et photographique ou d’un point de vue scientifique et médical, alors que divers auteurs nord-américains, allemands et portugais, dont un Prix Nobel de Médecine, George Wald, ont publié sur ce thème. Or, c’est un sujet qui, au-delà de l’histoire de la médecine, a eu des répercussions littéraires, artistiques et sociales particulièrement révélatrices. Je vais d’abord ici présenter l’histoire de l’optogramme, puis demain ses mentions dans la fiction, son appropriation par des artistes, et enfin diverses approches critiques, littéraires, esthétiques et philosophiques sur le sujet. Même si elle s’est révélée être un mythe, cette première expérience d’un corps augmenté, capable de représenter photographiquement sans appareil, a été un signe prémonitoire des développements ultérieurs sur le corps-appareil, questionnant les rapports entre médecine et technologie d’un côté, et société et culture de l’autre.

Le Jésuite Christoph Scheiner fut le premier, sans doute en 1619, à montrer qu’une image inversée se formait sur la rétine, ce que Johannes Kepler avait théorisé quelques années auparavant ; en 1637 René Descartes dans sa Dioptrique confirma la découverte de Scheiner et compara la rétine à un instrument d’optique. Dès l’invention de la photographie, son analogie avec la rétine a été mentionnée : présentant le 7 janvier 1839 aux côtés de François Arago l’invention de Daguerre et Niépce à l’Académie des Sciences, le physicien Jean-Baptiste Biot compara la photographie à « une rétine artificielle mise par M. Daguerre à la disposition des physiciens » ; en 1877, l’astronome et photographe Jules Janssen décrivit la photographie comme la « rétine du savant ». Entre 1934 et 1969, Kodak produisit d’ailleurs dans son usine allemande une série d’appareils photographiques sous la marque Retina.

Wilhelm Kühne, Optogramme provenant de la rétine d’un lapin exposé devant une fenêtre à barreaux, 1878

Et donc, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, des médecins, des savants, des policiers et des romanciers crurent en la possibilité d’identifier et de reproduire l’image se formant sur la rétine d’un mort, comme une véritable photographie, qu’on a alors nommée l’optogramme : la dernière image vue par un mort resterait fixée sur sa rétine, et on pourrait l’observer en disséquant l’œil ou en photographiant la rétine via un ophtalmoscope. L’œil vivant était une caméra, l’œil mort serait un appareil photographique à prise unique.

Wilhelm Kühne, premiers optogrammes dans la rétine d’un lapin, 1877/78

Les recherches scientifiques sur la rétine et l’optogramme ont commencé après l’invention de l’ophtalmoscope par Hermann von Helmholtz en 1850 et les études du pigment rouge ou pourpre de la rétine (rhodopsine) faites par Heinrich Müller en 1851, par Christian Boll en 1876, par Wilhelm Kühne (en 1877 sur un lapin ci-dessus, en 1880 sur la tête d’un homme décapité ci-dessous) et par Félix Giraud-Teulon en 1881. Ces recherches ont été largement diffusées non seulement dans la communauté scientifique et médicale mais aussi dans le grand public, et elles ont fourni la base scientifique sur laquelle a reposé l’hypothèse de l’optogramme. Mais ces savants conclurent tous que la rétine n’agissait pas vraiment comme une plaque photographique, que les traces chimiques de la réponse de la rhodopsine au flux lumineux n’étaient pas vraiment des images, que l’analogie entre l’œil et la caméra était douteuse, et qu’on ne pourrait obtenir des « images rétiniennes » que dans des conditions idéales de laboratoire (en 1975, le Pr. Alexandridis de l’Université d’Heidelberg fut incapable de reproduire avec des lapins l’expérience faite par Kühne un siècle plus tôt).

Wilhelm Kühne, Optogramme provenant de la rétine d’un criminel décapité (Gustav Ehrard Reifov), motif non déterminé, 1880.

Mais ces mises en garde scientifiques n’empêchèrent nullement journalistes et policiers de penser pouvoir tirer parti de cette invention pour résoudre des énigmes criminelles : on passe alors du champ de l’histoire scientifique et médicale à celui d’une histoire sociale et culturelle. Dans des conditions très différentes des laboratoires, des médecins ou des photographes ont tenté d’apercevoir un optogramme dans l’œil d’un mort : un Dr. Pollok à Chicago en octobre 1856, le photographe anglais William H. Warner en 1863, ou le Dr. Bourion dans les Vosges en 1868 (dont le Professeur Vernois, de la Société de Médecine légale, analysera l’expérience en 1870, déduisant qu’elle n’était pas concluante, ci-dessous).

Dr. Edme Antonin Bourion, Optogramme provenant de la rétine d’une femme assassinée en 1868, illustrant le rapport d’expertise du Pr. Maxime Vernois dans la Revue photographique des hôpitaux de Paris, vol. 2, 1870.

En 1863 donc, le photographe Warner incita Scotland Yard à utiliser l’optogramme pour identifier l’assassin d’une jeune femme. Scotland Yard réutilisera la technique en 1888 pour tenter d’identifier Jack l’Éventreur à partir des yeux de sa victime Annie Chapman. Bernd Stiegler a fait un recensement détaillé de dix-huit de ces cas, de 1857 à 1927, avec un pic dans les années 1860 (qu’il qualifie de « surplus discursif fantasmatique »), une résurgence au tournant du siècle (avec une approche mêlant science et spiritisme), et quelques cas résiduels dans les années 1920 (où dominent alors, dit-il, l’imagination fictionnelle et la superstition). Bien sûr tous les policiers n’étaient pas convaincus et Véronique Campion-Vincent cite le scepticisme du commissaire parisien Gustave Macé en 1869. Une seule fois, un optogramme fut utile à la police, non pas comme preuve, mais en déclenchant les aveux d’un suspect crédule : un meurtrier avoua ses crimes en 1925 après que la police lui eut dit qu’il était reconnaissable sur les optogrammes de deux victimes, lesquels, évidemment, ne montraient rien. Néanmoins, certains criminels restaient convaincus qu’un optogramme pourrait les identifier, ils arrachaient donc les yeux de leurs victimes ou leur tiraient des balles dans les yeux pour empêcher toute investigation : le cas le plus ancien est sans doute celui du Constable Gutteridge en 1927, mais des cas récents ont eu lieu en France en 1990 et 1993. Ce mythe de l’optogramme fut pain bénit pour les journaux à sensation. Margarida Medeiros et Bernd Stiegler ont recensé de nombreux articles dans le monde entier (jusqu’en Tasmanie), le plus ancien semblant être un article anglais non identifié auquel le Chicago Press du 17 octobre 1856 fait référence à propos du Dr. Pollok. Dans la presse française, la plus ancienne mention semble avoir été un article à propos de Warner dans le Publicateur des Côtes du Nord le 26 septembre 1863, auquel Villiers de L’Isle-Adam fit allusion dans Claire Lenoir.

Les ANGES sont des adultes, les CHÉRUBINS des enfants, il y a aussi des CUPIDONS (Taryn Simon)

Taryn Simon, The Color of a Flea’s Eye. The Picture Collection. Folder: Chiaroscuro, p. 71.

en espagnol

La Collection d’Images de la New York Public Library, commencée en 1915, et gérée de 1929 à 1968 par Romana Javitz, comprend 1.3 million d’images que le public peut consulter et emprunter. Images photographiques ou imprimées (voire pages de livres démembrés …), elles sont organisées dans 12 000 classeurs thématiques, de ABAQUE à ZOOLOGIE. Une partie d’entre elles (35 000 images) a été numérisée et est disponible en ligne. C’est une encyclopédie visuelle du monde (du monde vu depuis NY, en tout cas), une bibliothèque de Babel en images, une obsession iconologique. L’image y est traitée en fonction de son sujet, comme un document, souvent polysémique, mais en général brut et peu documenté, et non comme une oeuvre d’art. Pour faciliter la recherche et la classification par thèmes, les libraires disposent de pense-bêtes, où j’ai relevé la phrase du titre de ce billet (p. 449). Avant Internet, pour trouver les images les intéressant, les visiteurs remplissaient une demande, soit avec des mots, soit avec un dessin, et les libraires identifiaient les dossiers correspondants; cela pouvait concerner « la vie sexuelle du pingouin » (p. 263) ou être simplement un dessin (ci-dessous) d’une femme apeurée (p. 348). L’une de ces demandes a dû être « la couleur de l’oeil d’une mouche ».

Taryn Simon, The Color of a Flea’s Eye. The Picture Collection. Couverture du livre.

« The Color of a Flea’s Eye. The Picture Collection » est le titre du dernier livre de Taryn Simon (que j’avais découverte en 2007), en anglais, paru aux éditions Cahiers d’Art en 2020. C’est un énorme pavé (comme tous les livres de Taryn Simon) de 460 pages (370 illustrations N&B et 57 photos couleurs hors-texte) qui rend compte de l’immersion de l’artiste pendant des années dans cette Collection. L’exposition sous ce titre sera montrée l’été prochain à la NYPL, c’est une version plus large d’une exposition simplement titrée « The Picture Collection « , montrée partiellement en divers lieux en 2013/2015, dont, à Paris, la galerie Almine Rech (critique de François Salmeron), le Jeu de Paume (ma critique) et le Point du Jour. Un catalogue de 404 pages avait alors été publié par Cahiers d’Art en 2015, et a donc été complété pour cette réédition. De plus, le catalogue du Jeu de Paume et du Point du Jour (avec la Tate) comprenait un chapitre (p. 277-321) consacré à ce travail (où on peut lire l’essai de Tom Griffin en français).

Taryn Simon, The Color of a Flea’s Eye. The Picture Collection. Folder: Paper — Endpapers, p. 108-109.

Ce livre comprend d’abord une centaine de pages (45-143) présentant 50 dossiers, parfois sur deux ou trois feuilles dépliables, chaque fois avec une photographie collée sur la page, représentant une accumulation de petites images superposées, de sorte que seules quelques unes sont visibles intégralement. Taryn Simon a fait un choix éclectique parmi les dossiers (dont la liste est à la fin du volume, p. 413-447) : barbes et moustaches, objets brisés, clair obscur – en haut, poignées de mains, vues arrières (postérieurs humains principalement, voir en bas), Palestine, … Si certains assemblages d’images sont très évidents visuellement car un même motif s’y répète (piscines, couchers de soleil, croisements autoroutiers), d’autres, sur des sujets moins concrets, sont plus difficiles à déchiffrer (taxation, attente, pages de garde, …). L’impression qui s’en dégage est d’une accumulation éclectique et confuse.

Taryn Simon, The Color of a Flea’s Eye. The Picture Collection. Illustrated picture requests, p. 348-349

S’étant immergée dans les archives de la NYPL sur la Picture Collection, l’artiste nous livre ensuite plus de deux cents pages (p.145-363) de fac-similés de documents sur papier verdâtre : lettres, circulaires, notes, prospectus, cartes de référence, registres, rapports, articles de presse, etc. C’est sa sélection pour éclairer l’histoire de cette collection, de sa conception et de son développement, et on y trouve matière à bien des réflexions, sur le statut de l’image orpheline, sur le rapport entre texte (absent ou lacunaire) et image, sur le sens politique de la catégorisation (une vision américano-centrée, que Diego Rivera, qui l’utilisa pour ses peintures murales, remettra en question, vision devenant progressivement politiquement correcte – on passe de Negro à Black à Africain-Américain à Afrodescendant) et sur le sens philosophique, voire psychanalytique, de cette exhaustivité utopique. Cette classification n’est pas plus neutre que celle que nous impose Google, et ses algorithmes, moins sophistiqués, sont tout autant manipulateurs. En matière de censure, la Picture Collection annonce déjà les GAFAM : quand en 1942, le Department of Defense emprunte en masse des vues de certains pays et de certains endroits, en particulier au Japon, le rapport annuel de la Collection choisit d’exclure ces requêtes de ses statistiques, pour ne pas renseigner l’ennemi sur les cibles potentielles de l’armée américaine.

Taryn Simon, The Color of a Flea’s Eye. The Picture Collection. Photographs removed from the Picture Collection: Dorothea Lange, p. 388-389

Un des aspects qui m’a le plus intéressé dans ce que Taryn Simon fait remonter à la surface, est la distinction entre l’image (picture) et la photographie, et en particulier dans un cas précis. En 1936, Roy Stryker, patron du département photo de ce qui deviendra peu après la FSA, a commencé quelques mois plus tôt une campagne photographique pour documenter la misère et la détresse des Américains appauvris par la Dépression, avec Dorothea Lange, Walker Evans, et bien d’autres. Ces photographies appartiennent à l’état fédéral et doivent normalement être conservées à la Library of Congress. Stryker craint que le Congrès, les trouvant trop radicales, ne les fasse détruire : il envoie donc des tirages de manière discrète (« les images ne sont pas sourcées et je préfèrerais qu’elles le restent ») à la Picture Collection, au total près de 40 000. Ces photographies se trouvent donc dans la collection, au même niveau, traitées de la même façon, qu’une publicité découpée dans un journal, tant sur le plan de l’indexation que sur celui de la préservation : elles sont assez mal conservées (en 1996, le directeur de l’Archive August Sander refuse une photographie de Walker Evans, trop délavée, p. 328), parfois abimées, parfois volées. Et elles valent de l’argent, beaucoup d’argent (p. 332). D’autres images hors FSA sont dans le même cas. Alors on décide de les déplacer de la Picture Collection vers le Département de Photographie de la NYPL, pour mieux les conserver, sans doute, moins les prêter, et, dans certains cas, les vendre. Comme le dit Douglas Crimp (cité p.19), elles passent du dossier « Pauvreté urbaine » aux dossiers « Jacob Riis » ou « Lewis Hine », du dossier « WWII » au dossier « Robert Capa »; ce ne sont plus des images, ce sont des photographies. Taryn Simon présente une sélection de ces images « parvenues », dignes de « distinction« , sauvées du commun (p. 365-411) et les documents afférents (p. 327-337). À côté des grands noms américains (Berenice Abbott, Lewis Hine et Dorothea Lange ont chacun plus de 100 photographies) on y trouve aussi quelques Européens : Disdéri, Nadar, Atget, Cartier-Bresson, Brassaï.

Taryn Simon, The Color of a Flea’s Eye. The Picture Collection. Folder: Rear Views, p. 115c.

Dans son introduction au livre (p.7-21), Joshua Chuang (qui fut le commissaire de cette excellente exposition), qui dirige le département art, gravures et photographies de la NYPL, revient sur cet épisode de manière éloquente. L’autre essai introductif, de Tim Griffin (p. 27-43) inscrit cette oeuvre dans la lignée des travaux précédents de Taryn Simon sur les rapports entre le texte et l’image, sur l’échec de l’organisation du monde et sur la déconstruction des évidences. Il faut ajouter que, comme tous les livres de Taryn Simom, celui-ci est en soi un objet remarquable : une transmutation de ces images ordinaires en un livre d’art.

Livre reçu en service de presse.