Sommaire de Juin 2006

31 billets écrits ce mois-ci.

1883 visiteurs uniques quotidiens en moyenne ce mois.

L’expression la plus fréquemment utilisée dans les moteurs de recherche pour venir ici était, ce mois-ci, "Bettina Rheims".

1er Juin: Un seul tableau vendu (van Gogh)
2 Juin: Vladimir Weisberg, un Morandi russe ?
5 Juin: La Galerie Tretiakov, à Moscou
5 Juin: Les icônes de la Galerie Tretiakov à Moscou
6 Juin: L’autre patrie de l’art moderne (Nouvelle Galerie Tretiakov)
7 juin: Le Musée d’Art Contemporain de Moscou
8 Juin: Maïakovski
9 Juin: Dan Flavin, l’espace sculpté (bis)
10 Juin: En Français sous l’image
11 Juin: Zen ? (Susumu Shingu)
12 Juin: Découvertes au Luxembourg ?
13 Juin: Cerith Wyn Evans
14 Juin: Rembrandt – Caravage (1) : De la lumière
15 Juin: Des mains : Rembrandt – Caravage (2)
15 Juin: Du sang : Rembrandt -Caravage (3)
16 Juin: Du sexe : Rembrandt – Caravage (4)
17 Juin: Qui a tiré ? (Rembrandt)
18 Juin: Au pied du gibet, un escargot ? (Rijksmuseum)
19 juin: Sa seule photo (ou presque) (van Gogh)
20 Juin: Art moderne à Amsterdam
20 Juin: Peindre est si difficile ! (Hervé Martijn & Marie Sallantin)
21 Juin: Collection privée (billet remanié le 2 Juillet)
22 Juin: Peut-on franchir le mur de la honte ?
22 Juin: Nègres, primitifs, sauvages, etc. (Musée du Quai Branly)
23 Juin: Il faut montrer ça à Paris !!! (Lara Baladi)
25 Juin: L’oeuvre ultime de Riopelle
26 Juin: Djamel Tatah
27 Juin: David Smith
28 Juin: Pour une critique d’art sans jargon (avec Gaël Charbau)
29 Juin: L’air de rien
30 Juin: Un cabinet de curiosités

Un cabinet de curiosités

Jonas1 Dans le vestibule de la Maison Rouge, le groupe Haptic a, depuis peu, carte blanche pour présenter de courtes expositions de jeunes artistes. Jusqu’au 2 Juillet, il présente trois artistes venues de Dresde.

Britta Jonas accroche sur les murs de ce petit espace des figurines inspirées de l’art populaire, comme les marionnettes en bois de notre enfance. un homme et une femme, portant l’un une torche éteinte, l’autre une torche allumée. Ils se rapprochent, s’étreignent, se séparent. La torche allumée change de main, s’éteint, se rallume, comme la passion amoureuse qui embrase, puis s’endort. Les deux figurines s’emboîtent et ont donc, en creux, le dessin de la main de l’autre qui, quand ils se rejoignent, vient prendre place dans ce trou, ce manque, cette absence : voyez ci-contre au milieu, la trace en vide de la main de la fille sur le pantalon noir du garçon, comme une marque de possession. C’est un ballet, une allégorie, une histoire qu’on invente face à ce mur.

En entrant, vous tombez nez à nez (si c’est là la bonne expression) avec une tête d’ours, mais elle orne le postérieur d’un monsieur masqué de blanc comme un comédien du théâtre antique, les jambes velues, les bras écartés. Doublement masqué, cet homme est fiction : acteur créant un personnage, dissimulateur ou révélateur ?  Face à lui un lapin rigolard joue d’une cornemuse monstrueuse, faite de la peau bleutée d’un être hybride. C’est une sculpture de Susanne Starke, c’est drôle et dérangeant à la fois. Et vous cherchez, en vain, de quel conte de fées il pourrait bien s’agir (pas d’image de cette installation, mais beaucoup d’autres sculptures visibles en suivant les liens).

L’air de rien

A la Maison de la Culture du Japon à Paris, jusqu’au 1er Juillet.

Petit coup de projecteur sur onze jeunes artistes japonais, assez dissemblables, plus ou moins héritiers putatifs de Murakami et de Nara. Nourris de mangas, ils se penchent aussi sur le monde qui les entoure.

Takahashi2 J’ai surtout été impressionné par le travail d’un peintre. Nobuyuki Takahashi peint des lieux chargés de sens, des temples, des sources, des montagnes sacrées; il les peint d’après des cartes postales, en simplifiant à l’extrême, en ne retenant que les lignes essentielles de la composition, que les principales zones colorées. Aucune profondeur, aucune des règles de la peinture occidentale (ombres, perspective), plutôt un retour aux sources à la peinture orientale traditionnelle. C’est une épuration radicale, une recherche de quintessence, de pureté. A côté, Atsushi Fukui suit une démarche aussi épurée, mais à partir de ses propres paysages mentaux: de la peinture en chambre, dit-il.

Yokomizo1 A l’entrée, un grand rideau de Miyuki Yokomizo, Please wash away, capte le regard dans le beau bâtiment lumineux qui héberge la MCJP. Dans la transparence du plastique, on voit des centaines de savons suspendus, eux aussi translucides, aux douces couleurs pastel. On marche entre ces deux murs de savon, on s’attend à une odeur, de propre, de détergent, mais on sent une odeur chimique, de plastique: la quasi totalité des savons sont en fait en plastique, moulé dans les mêmes moules, mais simple simulacre. Acte de création, de sculpture, détournement du ready-made, affirmation écologique, dénonciation du mythe de la pureté, évocation mortifère de la dernière toilette ?  Avec des moyens très simples, elle a su créer un espace, un endroit magique, qu’il faut voir au soleil couchant.

A voir aussi, les objets de Maywa Denki, une "art factory" japonaise, et le superbe faux pétale de pivoine de Yoshihiro Suda.

Pour une critique d’art sans jargon (avec Gaël Charbau)

Dans le numéro 15 de la revue gratuite Particules (disponible dans les galeries et sur Internet), un article de Gaël Charbau, intitulé « Analyse / Actualité du Novlangue » m’a tellement plu que j’ai demandé à son auteur l’autorisation d’en reproduire ici de larges extraits, que voici:

« Le but (du) Novlangue était, non seulement de fournir un mode d’expression aux idées générales et aux habitudes mentales…, mais de rendre impossible tout autre mode de pensée. »  (G. Orwell, 1984. « Les principes du Novlangue », appendice au roman)

(…) Dans un débat où j’étais invité il y a quelques mois, deux intervenants se sont emportés parce que j’employais des mots apparemment hérétiques dans le champ de l’art. Pour qualifier ma relation avec les œuvres de certains artistes, j’ai utilisé les mots « intimité », « sincérité » ou « engagement ». Ces mots, visiblement, (…) ne peuvent plus être tolérés dans le vocabulaire Novlangue employé par certains acteurs de l’art contemporain. Ils induisent une relation passionnelle, faussement naïve, et flirtent probablement avec le vocabulaire amoureux. Les employer, c’est peut-être introduire un arrière goût trop humain dans un contexte —celui du discours dominant sur l’art actuel— habitué aux automatismes intellectuels, aux placages conceptuels.

Beaucoup préfèrent en effet aujourd’hui employer tout un tas de mots ou d’expressions abstraites, « virtuelles », qui agissent comme un aplat obscur sur l’objet qu’ils sont censés définir. Plus moyen, par exemple, de croiser un quelconque papier critique, sans lire qu’un artiste « questionne notre vision du monde », « questionne notre rapport au réel », ou pire qu’il « interroge notre quotidien », qu’il « déplace nos certitudes sur telle ou telle chose. » (…)

Il est bien entendu qu’on n’attend pas d’un artiste, lorsqu’il commente son travail, qu’il nous en livre une explication limpide. Sa parole, souvent articulée autour de l’anecdote, du pressentiment, de l’impression, d’un « vécu de l’œuvre », n’a pas vocation à circonscrire son travail. La modernité toutefois, pleine de manifestes et de déclarations d’intentions, nous a faussement habitués à trouver l’éclairage dans les discours des avant-gardes. Mais aujourd’hui, on a bien observé que plus personne ne cherche une quelconque émancipation par l’art.

Du coup, nous nous sommes habitués à ne plus poser la question du « sens » d’une œuvre, car elle n’aurait de sens que si elle renvoyait à un quelconque programme esthétique. On ne peut se poser la question du sens que si nous lui collons la possibilité d’une utilité. (…) Ce que je reproche à certains critiques d’art aujourd’hui, c’est justement qu’ils oublient que nous avons affaire, en matière d’art contemporain, à un surplus inutile à la bonne marche de la société. (…)

Cette fondamentale inutilité de l’art, c’est ça l’enjeu de la critique, l’objet de tous ceux qui l’analysent, c’est-à-dire ce moment précis où nous comprenons que nous sommes face à un objet qui meut notre pensée au-delà encore des espérances de celui qui l’a produit.

Mais si l’on suppose que ce que l’on écrit correspond à ce que l’on pense, on peut être inquiet quant à l’état de confusion mentale dont semblent souffrir certains analystes de l’art actuel. J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire : je crois qu’il ne faut pas avoir honte de n’avoir rien à dire devant une œuvre d’art, car il est parfois difficile de faire remonter ce qu’elle nous envoie. On dit « c’est vraiment très beau… », c’est naïf, mais moins novlangue que « elle interroge notre rapport au réel ». Ou encore, on la décrit : soit on la dessèche parce qu’on n’est pas très fort dans cet exercice —tout le monde n’est pas Félix Fénéon ou Roland Barthes—, soit on parvient, par les mots, à en transposer la moelle. En tous cas, il n’est pas nécessaire, il est même nuisible, d’emprunter l’obscur jargon qui étouffe régulièrement la parole sur l’art. (…)

Écoutez, lisez (…) toutes ces contorsions du langage, toute cette savante phraséologie hypnotique, élaborée sur l’idée d’en dire le moins possible en occupant le plus d’espace, uniquement organisée autour de ce qu’elle a à cacher. Toute cette énergie déployée à parler l’étriquement et la stérilité de la langue… Nous avons, au contraire, tout à dire aux côtés des artistes, puisque leur choix, en premier lieu, et le nôtre, c’est bien celui d’être libre ?

Gaël Charbau

J’applaudis bien sûr des deux mains. Le débat auquel il fait allusion était peut-être celui évoqué ici et prolongé ; et souvenez-vous aussi de ceci.

Comme l’auteur de ce blog (pourtant hébergé par Paris-Art !), je pense que la critique d’art doit être écrite dans un discours simple (et non simpliste) et que, si le discours philosophique et psychanalytique dominant dans la novlangue peut aider marginalement à la compréhension de l’art contemporain, il rebute tellement la majorité des lecteurs et amateurs qu’il les détourne de l’art d’aujourd’hui.

Quelqu’un sait-il qui s’est assis sur la chaise illustrant ce billet?

David Smith

Au Centre Pompidou, jusqu’au 21 Août.

Reproductions des œuvres retirées à titre conservatoire, suite à une demande de l’ADAGP représentant les ayants-droit de l’artiste.  C’est la première expo individuelle de David Smith en France (excepté quelques dessins en 2003), et je ne crois pas qu’il y soit très connu. Jusqu’il y a peu, je n’avais vu que quelques sculptures de lui à la Tate, et je l’ai vraiment découvert lors de son exposition au Guggenheim en Mai. Ce n’est qu’une petite partie des oeuvres présentées à New York qui est montrée aujourd’hui à Beaubourg, mais surtout c’est fait dans une scénographie bien différente.

Au Guggenheim, ses sculptures occupaient tout le musée, et, montant la rampe, puis s’égarant dans les salles annexes, on suivait son oeuvre au fil du temps. Sur le sol oblique, des socles en biseau avaient été spécialement construits pour que les sculptures restent droites. On voyait la progression de cet ouvrier soudeur au physique rugueux, cherchant sa voie, découvrant de nouvelles techniques, s’extrayant du réalisme, se colletant avec le gigantisme, passant du plein au creux, expérimentant de nouveaux matériaux, plaçant ses oeuvres en plein air: ma progression dans son oeuvre se faisait pas à pas, lentement, en découvrant chaque étape après l’autre. Parfois je revenais en arrière pour tenter de discerner une correspondance, une réminiscence, mais, pour l’essentiel, je cheminais vers le sommet de la rampe, inexorablement.

Beaubourg et la Tate (qui reprend l’exposition à l’automne), craignant peut-être la désaffection du public ou confrontés à des conflits d’utilisation de l’espace, ont fait le choix d’une exposition plus restreinte, plus resserrée, avec 46 sculptures au lieu de 125 à NY. Mais surtout, elles sont présentées ici dans une seule salle, arrangées en ligne chronologiquement : on fait une longueur de salle, puis une autre, puis une autre. L’avantage du dispositif est qu’on peut embrassser d’un seul coup d’oeil des oeuvres faites à vingt ans d’écart, chercher des correspondances: le regard gourmand de l’amie avec qui je visitais cette expo disait son plaisir à le faire. Plus appliqué, plus studieux peut-être, cette promiscuité me dérangeait un peu. Mais les pièces montrées ici sont tout à fait représentatives, malgré l’absence des Forgings de 1955/56, neuf totems martelés présentés à NY dans un amphithéâtre.

 Au début, l’inspiration de Picasso est bien visible, avec des personnages faits d’outils et de formes aisément reconnaissables, mais Smith rapidement épure son travail, le dépouille, s’éloigne de la figuration. Dans cette Maison du Soudeur (ci-contre, 1945) on peut encore voir des mandragores, des couples enlacés, et une mère à l’enfant au milieu de symboles sexuels plus abstraits.

Une des particularités de David Smith, ce sont ses sculptures en deux dimensions, comme des dessins dans l’espace, des formes inscrites sur des plaques ou des traits dans le vide; elles débouchent sur les lettres (24 Ys, 17 Hs, The Letter), qui en marquent la limite, à mon sens. Les grands totems (deuxième photo à partir du haut, Tanktotem III, de 1953) sont encore anthropomorphes et les rondeurs de celui-ci ne sont pas dénuées d’une certaine sensualité.

Passant un mois en Italie en 1962, Smith, y découvrant de nouveaux matériaux, réalise la série Voltri dans une usine près de Gênes : 27 sculptures en 30 jours; celle sur la photo tout en haut, Voltri VII, est une des plus fortes de l’exposition. Les roues viennent d’apparaître; sont-ce des personnages, ces barres forgées, aplaties sur le chariot ? est-ce un chariot ? un véhicule funéraire étrusque ? un jouet gigantesque ? Qu’importe ! Il y a là un travail, une pureté que je trouve remarquables, Smith est arrivé à une sorte de quintessence, d’épure.

 Pour lui, les sculptures doivent vivre en plein air, être soumises aux intempéries, refléter les nuages. Sa dernière série, Cubi, est faite en inox, un matériau qu’il découvre en 1961. Ces sculptures faites de grands blocs géométriques sont minimalistes dans leur conception, mais le traitement de leur surface, leur brillance et le miroir qu’elles tendent à la nature sont pleins d’expression (ci-contre, Cubi I de 1963, in situ).

D’autres sculptures vous parleront de tensions, de flux et de contre-flux, de fluides qui les embrassent; pour certaines, vous vous prendrez à souhaiter qu’elles soient articulées. Pour d’autres, éclairées d’en haut, vous admirerez autant le tracé des ombres sur le piédestal blanc que la sculpture elle-même.

David Smith est mort à 59 ans, en 1965. A la fin de l’expo, vous vous direz que c’était trop tôt.

Photos provenant du site ou du catalogue du Guggenheim (à Beaubourg, il y a parfois une autre oeuvre de la même série).

Djamel Tatah

A la Galerie Kamel Mennour, jusqu’au 30 Juin.

Reproductions des œuvres retirées à titre conservatoire, suite à une demande de l’ADAGP représentant l’artiste.  Djamel Tatah peint-il vraiment des personnages, sont-ce vraiment des portraits ? Oui, c’est ce que vous voyez sur la toile, des hommes, des femmes, des enfants, sur des aplats rouges, bleus, verts, parfois bicolores. Des personnages seuls ou en groupe, habillés en noir, avec de fins traits blancs marquant les plis des vêtements. Des personnages qui ne font rien, qui n’expriment rien, ni par leurs gestes, par leur posture hiératique, ni par leur visage, vide, absent.

Vous pourrez lire des articles, un livre, où on vous parlera de solitude, d’ennui, de misère de l’homme moderne, d’incompréhension, d’esprit de l’époque, d’inquiétude ou d’incertitude. Ca plaît bien, ce discours sur la société actuelle, surtout venant d’un beur. On écoute, on regarde, on s’y retrouve, on aime, on achète. et c’est sûrement vrai.

 Mais, la deuxième fois que je suis allé voir cette expo, ces tableaux sans titre, je me suis demandé si Morandi était un peintre de vases, si Raynaud était un sculpteur de pots, si Opalka était un dessinateur de chiffres. Il me semble confusément que Tatah utilise la forme humaine, le visage déshumanisé, comme un écrivain utilise les lettres de l’alphabet, sans trop prêter attention à leur forme, mais en les combinant pour que son oeuvre se compose dans son entièreté. C’est une idée un peu floue dans ma tête : peut-être devrais-je me contenter d’admirer ces beaux portraits. Mais je cherche, je veux tenter d’aller au delà des impressions, des émotions, de la métaphysique, car il me semble que, peut-être à l’insu même du peintre, il y a une vérité autre, plus profonde, plus construite dans son travail. Je cherche…

Photos provenant du catalogue.

L’oeuvre ultime de Riopelle

A la galerie Patrice Trigano, jusqu’au 29 Juillet.

Reproductions des œuvres de Riopelle et de Hartung retirées à titre conservatoire, suite à une demande de l’ADAGP représentant les ayants-droit des artistes.  De Riopelle, mort en 2002 (mais qui, épuisé, cessa de peindre en 1992), je connaissais les toiles les plus connues, ces grands « vitraux » lumineux, compositions abstraites qui ont fait sa gloire. Ma surprise en découvrant cet « oeuvre ultime » a été grande. A la fin de sa vie, malade, il ne peut plus peindre de grandes toiles, et donc il travaille au pochoir, avec des papiers colorés qu’il assemble ensuite et maroufle sur la toile, comme Matisse. Et c’est une époque de sa vie où il se rapproche encore plus de la nature, avec désormais une dimension chamanique, païenne, magique.

Ces toiles (Composition, 1989) évoquent l’art pariétal, les empreintes de mains au fond des cavernes. On y voit des fougères et des oies sauvages, des chaînes, des fers et des clous. La plupart, sans être parfaitement symétriques, ont un axe central, qui, comme le dit Michel Waldberg dans le catalogue, « représente l’axe du monde, .., verticale qui oriente le tableau et lui assure son aplomb ».

 A 100 mètres, les deux galeries Aittaourés et Berthet-Aittaourès présentent jusqu’au 1er Juillet une exposition de petits Hartung des années 1970, la plupart sur carton baryté. Des petits tableaux séduisants, fins, où les traits griffent les nappes de couleur avec une élégance aérienne. Si vous connaissez Hartung, vous ne serez pas surpris, sauf peut-être par cette composition (P1974-A26), plus ronde, plus jazzy, où des éléments courbes en noir et marron dansent sur un rythme saccadé, bien différent de sa stridence habituelle. Mais voir toutes ces toiles, même si elles semblent familières, est un plaisir.

Photos provenant des catalogues des expositions.

Il faut montrer ça à Paris !!!

Installation_ Bon, ça fait 11 mètres de long et 2,45 mètres de haut; ça doit consommer un peu d’électricité et être compliqué à transporter. Mais jusqu’ici, seuls les Cairotes ont pu le voir, dans cette galerie, en Février dernier. Et nous ?

Lara Baladi, dont j’ai pu voir une "boîte" à Africa Remix, des photos à Arc-et-Senans, et un "papier peint" à New York, vient de créer ce qui est peut-être son travail le plus accompli : Roba Vecchia (ou roubafiqia, les fripes), un immense kaléidoscope dans lequel le visiteur (qui est déjà plus qu’un spectateur) pénètre. 03_1 C’est un tunnel triangulaire couvert de miroirs, les réflections multiples entourent le visiteur de toutes parts. Des photos projetées au bout du tunnel se répercutent de miroir en miroir en un nombre infini de combinaisons aléatoires. C’est un gigantesque diamant kaléidoscopique , qui crée de la beauté en recyclant et transformant des images ordinaires, comme le kaléidoscope le fait à partir de bouts de plastique, comme le carbone devient diamant, comme on peut être une princesse en haillons, en "roba vecchia" . Les visiteurs semblent avoir été fascinés par l’expérience.

Inside_1  Lara Baladi décrit son travail comme ancré dans le temps, l’espace, le corps et l’illusion; elle le relie à la roue de la fortune, aux chambres à sarcophage des pyramides ou de la Vallée des Rois.

Il faut montrer cette installation à Paris. Y a-t-il des lecteurs galeristes, ou commissaires d’exposition chez qui je pourrais faire naître ce désir ?

Photos courtoisie de Lara Baladi.

Nègres, primitifs, sauvages, primordiaux, tribaux, coloniaux, d’outre-mer, premiers, autres, lointains

Musée du Quai Branly.

Mqb_5 Ces arts qu’on ne sait pas comment nommer, nous sentant coupables de les qualifier, craignant l’accusation de racisme européo-centrique, sont donc exposés dans un musée aujourd’hui sans vrai nom (demain Musée Lévi-Strauss ou Musée Chirac ?). L’exposition sur le corps, dont je vous parlerai dans quelques jours, dit que le nouveau-né n’existe pas, n’a pas encore accédé à la qualité d’humain, tant qu’il n’est pas nommé…

  Vous lirez abondamment dans la presse, et sur des blogs (dont celui-ci) toutes informations sur ce musée et ses collections, et je ne suis en rien un connaisseur dans ces domaines (même si je connais un petit peu et apprécie beaucoup la peinture aborigène, représentée ici sur les cimaises, Mqb_4_1mais aussi en façade et au plafond des bureaux). Donc plutôt qu’une "visite guidée", voici quelques impressions de cette première visite dans ce bâtiment impressionnant, où on entre avec un recueillement quasi religieux. Certes le jardin n’est pas vraiment planté, les ouvriers s’affairaient encore aujourd’hui dans tous les sens, certains endroits sont bien trop sombres pour pouvoir lire les cartels, certains cartels sont collés sur les plinthes, impossibles à lire sans se mettre à genou. Mais on comprend, on pardonne, on avance tout sourire, guidé par de jolies hôtesses en tailleur mauve, formant un kaléidoscope de toutes les ethnies du monde.

Mqb_1_1  Pas de raison de m’étendre ici sur la genèse du musée, sur le conservatisme des conservateurs arc-boutés dans leur pré carré (les mêmes qui, je me souviens, avaient, dans une exposition au poussiéreux Musée de l’Homme, représenté la banquise par du coton hydrophile …, et qui aujourd’hui grognent contre ce nouveau musée trop clinquant à leurs yeux de puristes), sur la méfiance des fonctionnaires envers les marchands – pourtant importants donateurs – (dans un récent article du Monde, le qualificatif trafiquant était systématiquement associé aux mots marchand et antiquaire), sur l’impulsion donnée par des privés (Dapper, Barbier-Mueller, et surtout Kerchache), sur les réticences du Louvre envers ces "fétiches", sur les accusations de pillage, et sur la volonté régalienne de réussir ce musée.

Mqb_3 Donc, après les jardins, une longue rampe, toute symobolique, sur le sol de laquelle sont projetés des aphorismes banaux, permet d’accéder à cette galerie des esprits. Vous pouvez visiter systématiquement, méthodiquement, et vous y passerez des journées; vous pouvez aussi, surtout si vous êtes un simple amateur peu érudit comme moi, vous promener au hasard, de découverte en découverte. Vous entrerez ici et là dans une alcôve, où est reconstituée une chapelle éthiopienne avec ses fresques et ses chants liturgiques, ou dans une caverne creusée dans le mur ocre, sur les parois de laquelle est projetée une vidéo sur la divination.

Mqb_2 Je ne saurais vous commenter les quelques objets présentés ici, d’autant plus que pour certains, le cartel était introuvable. De haut en bas : un devantier Jivaro, vue d’ensemble, une hôtesse, statues de l’Insulinde, peintures aborigènes d’Australie.

Si cette visite est fort agréable pour des curieux ou des esthètes, le spécialiste y trouvera aussi son compte, je crois, même si on a parfois l’impression que le musée et sa théatralité ont pris le pas sur les objets présentés, et, a fortiori, sur leur environnement ethnique. En tout cas, c’est un musée où il faut revenir, se perdre, se laisser emporter au gré des découvertes.

Trois expositions temporaires en cours: les masques cimiers Ciwara, l’ethnologue Georges Condominas au Vietnam (passionnant témoignage de la vie d’un ethnologue sur le terrain), et une remarquable exposition anthropologique sur le corps, sur laquelle je reviendrai.

Photos de l’auteur, sauf la première provenant du catalogue.