Sommaire d’Août 2005

16 billets en Août 2005

42 251 visiteurs ce mois-ci (dont 9917 le 26 Août, jour du billet sur Araki !)
104 403 visiteurs depuis le 3 Avril 2005

2 Août: Photos de Paul Strand
4 Août: Nu à Lyon au soleil ? (Spencer Tunick)
4 Août: Allez visiter ce musée ! (Henri Bouchard)
8 Août: Doisneau chez Renault
10 Août: Bamako à Arc-et-Senans
12 Août: La couleur après Yves Klein
15 Août: Au Musée de Zurich
15 Août: Miroslav Tichy
21 Août: De qui est ce tableau ? (collection Jean Pollak)
25 Août: Araki
26 Août: Les Ateliers des Arques
28 Août: Alechinsky
28 Août: Vassivière (Claude Lévêque)
28 Août: Paul Klee insolite
29 Août: Affinités
30 Août: Paul-Armand Gette

Paul-Armand Gette

Reproductions des œuvres retirées à titre conservatoire, suite à une demande de l’ADAGP et en dépit de l’accord de l’artiste.

Paul-Armand Gette est un jeune homme de 80 ans, expert en minéralogie et en botanique.

L’essentiel de son œuvre marie ses passions pour la nature avec sa fascination pour le corps féminin. Parfois simple prise à la dérobée, parfois scénette racontée avec talent (souvent sur des thèmes mythologiques, comme Diane et Actéon), parfois mise en scène d’une histoire de femmes, de roches et de fruits, où il arrive que la main de l’artiste intervienne visiblement dans le champ. Je ne saurais trop vous recommander son dernier livre sétois, Les Mythologies Apprivoisées, où en contre-point de son journal, ses étudiantes modèles décrivent avec curiosité, ingénuité ou ravissement, leurs expériences. (ci-contre une des photos les plus sages, pour préserver la pudeur des lecteurs du Monde ; mais allez voir ici ou )

Cet été, dans la vallée du Lot, jusqu’au 31 Août, Paul-Armand Gette nous a invité à des Réflexions sur l’Humidité des Triangles. A partir de trois points d’eau dans la vallée (dont l’un dénommé la source de Trou-Madame), dans trois lieux différents, il nous fait découvrir les nymphes du Lot.

Si les monotypes de l’Orangerie du Château de Larnagol représentent des fougères un peu austères, l’installation dans l’épicerie désaffectée du village de Saint-Martin Labouval est délicieuse. Une vidéo, L’Apothéose des Fraises, représente une cueillette de fraises fort sensuelle (devinez sur l’écran au fond ces lèvres rouges dévorant une fraise), cependant que les murs de l’épicerie sont décorés de dessins de fraises (sujet) à la fraise (medium) par les enfants des écoles sous sa direction, et que la charmante vestale timide qui fait office de gardienne de l’exposition vous propose de la confiture des nymphes.


Une grotte sous le Château de Calvignac recèle une composition en oxyde de fer rouge, craie noire et fraise, titrée Les Menstrues de la Grande Déesse, hommage païen rupestre à Artémis que Gette s’en alla peindre, tout courbé au fond de la grotte. Dans cette région proche de Lascaux, cette composition impudique se relie aux images de fertilité peintes sur les parois des abris.


Enfin, l’exposition à Calvignac même présente des photographies dans la salle paroissiale (qu’il faudra sans doute exorciser après l’exposition) et des dessins dans une maison voisine, dessins d’anatomie féminine intime pour la plupart, où la fraise est toujours un médium. Celui ci-contre ne vous paraît-il pas blasphématoire ? La gardienne de cette exposition, Anglaise truculente passant ses journées au milieu de ces images évocatrices, s’en amusait beaucoup.

Comme vous voyez, l’intérêt de P-A Gette pour l’humidité des triangles ne se limite pas à la géographie ou à l’hydrologie. De toponymie en botanique, de mythologie en minéralogie, ce chaman érotique nous emmène à sa suite en quête des nymphes de tous types. Son Journal de la Vallée (édité par les Abattoirs) raconte aimablement ses hésitations et ses découvertes.

P-A Gette expose aussi cet été à Digne jusqu’au 4 Septembre.photos de l’auteur ou du catalogue

Affinités

A la Saline Royale d’Arc-et-Senans, jusqu’au 3 Septembre.

Une exposition de jeunes artistes , organisée par le Pavé dans la Mare, association bisontine.
Delpierre
Comme toujours dans ce genre de manifestation, du bon et du moins bon, une grande disparité.
Trois artistes que j’ai bien aimés :
Lin Delpierre photographie des passantes, femmes jeunes, actives, volontaires, décidées, seules au milieu de la foule, s’en détachant par leur aura, leur dynamisme. Modèles ou passantes saisies à l’impromptu ? C’est en marchant qu’on apprend à connaître une ville, en observant ses habitants, ses conquérantes, qui deviennent le point focal de la ville, son emblème.
Molfetta
– Un amusant tableau minuscule de l’Italien Francesco de Molfetta, le peintre en bâtiment qui efface l’œuvre du peintre en lettres, peinture et littérature.

  • Et ce beau texte sous une série de photos de visages féminins par Emmanuel Aragon :
    « J’aurais dû être encore plus sauvage
    Elle a déchiré toute trace de notre force
    Je n’ai gardé aucune réserve
    Elle n’a jamais voulu interrompre
    Je n’ai pas cru à ses désespoirs meurtriers »

Arnaud
C’est à côté de l’exposition de photos.

Aussi, vu à la librairie, le Jeu des Miracles, cet étonnant travail de l’uruguayen Federico Arnaud, religion et baby-foot, une pelouse de nuages et le crucifié en gardien de but !

Paul Klee insolite

Reproductions des œuvres retirées à titre conservatoire, suite à une demande du représentant des ayants-droit.

Le Centre Paul Klee, à Berne, ouvert depuis quelques semaines dans un superbe bâtiment de Renzo Piano, présente de nombreuses œuvres de Paul Klee provenant des donations de sa bru et de son petit-fils. Même si la présentation en est un peu confuse et que j’aurais préféré un parcours plus clairement chronologique, c’est une occasion unique de voir des toiles, des aquarelles et des dessins jamais ou peu montrés jusqu’ici. C’est une visite incontournable pour saisir l’évolution de Paul Klee, depuis les dessins du début du siècle et la période Blauer Reiter, jusqu’au Bauhaus et à ses dernières années en Suisse. A mon goût, toutefois, dans l’exposition en cours (mais les réserves, avec 4000 pièces, en sont peut-être plus riches), trop peu d’œuvres témoignant de sa découverte de la lumière, en Tunisie d’abord (1914), puis en Egypte quinze ans plus tard. Le site présente en détail plus de 300 œuvres.

D’autres vous parleront de Klee mieux que moi (le catalogue du Centre est très bien fait, même si les articles sur la donation et les mécènes y prennent un peu trop de place, aux dépens de la critique d’art). Après ma visite, hésitant sur mon angle d’attaque, j’ai finalement choisi de vous montrer un Klee insolite.

Son fils, Felix, naît en 1907. De santé fragile, il frôle la mort à 18 mois, et Paul Klee se consacre aux soins du bébé pendant plusieurs mois. Entre 1916 et 1925, et en particulier pendant la période du Bauhaus de Weimar, années où Paul Klee affine sa construction de l’image à partir de formes de plus en plus dépouillées, il réalise une trentaine de petites poupées pour le théâtre de marionnettes de son fils. Felix Klee (qui mourra en 1990) deviendra metteur en scène de théâtre.
Ces marionnettes sont faites de plâtre, de boutons, de coquilles de noix, d’osselets, l’une avec une douille de lampe, l’autre, ci-dessous, avec une boîte d’allumettes ; les habits sont en cotonnade, en soie, en velours, en cuir, en peau de lapin. Le théâtre et les décors ont disparu, ainsi que les poupées les plus anciennes.
Ces petites poupées ne sont en général pas « officiellement » reconnues comme des œuvres de Paul Klee ; moins audacieux peut-être qu’un Picasso (lui aussi assembleur de matériaux disparates), Klee ne les avait conçues que pour l’amusement de son fils, plutôt que comme des créations destinées à être montrées et reconnues comme telles. Le Centre Paul Klee a choisi de les montrer dans des petites vitrines qui parsèment l’exposition. Il n’y a encore aucune publication sur elles, seulement 30 cartes postales. En voici quatre que j’ai choisi de reproduire ici : en haut Autoportrait et Monsieur la Mort, ci-dessous Le Barbier de Bagdad et l’Esprit de la Boîte d’Allumettes.

N’évoquent-elles pas pour vous tel ou tel tableau de Klee ? Sont-ce vraiment des « œuvres mineures »? Qu’en pensez-vous ?

Vassivière

Jusqu’au 10 Octobre.

Reproductions des œuvres retirées à titre conservatoire, suite à une demande du représentant des ayants-droit.

Un lac en Limousin.
Une île où on ne peut accéder qu’à pied (ou en barque).
Un jardin de sculptures, de Goldsworthy à Calet, et de Vilmouth à Pistoletto.
Des vaches paissant dans un pré (remerciements au GAEC Chatoux-Pichon).
Un bâtiment de l’architecte Aldo Rossi derrière les vaches.
Un phare à l’intérieur duquel résonnent des bruits métalliques.
Un sas d’entrée.

Une longue pièce au sol recouvert de paille, dans laquelle vous enfoncez.
Des lampes rouges alignées au dessus de la paille.
Une autre pièce où vous avancez au milieu de bidons en fer-blanc, les empilant, les renversant dans le plus grand bruit possible.
Les vaches en train de paître, par la fenêtre.

L’envie soudaine de partager ce moment avec un enfant de six ans, genre aspirateur-à-chatouilles.

Une salle au fond, avec une branche d’arbre qui tourne, et sa double image dans un halo sur le mur.
Un retour par la paille, et l’envie de s’y vautrer.
Une étrange paix intérieure, de la poésie et de l’ironie.
Un livret qui parle de rendre la réalité profondément paradoxale, de faire tomber la notion de paysage de son piédestal.
Une envie de froisser ce feuillet, de le jeter, avant de le relire en faisant abstraction du jargon.
Un questionnement sur l’espace, sur le territoire.
Des sensations un peu obscures qui se font jour, et qui explosent en un éclat de rire insouciant.

>1000 Plateaux.
>Une installation de Claude Lévêque.

Sur la route de Vassivière, encore le renouveau de la peinture à Meymac, et, à Saint-Setiers, sur le plateau de Millevaches, une résidence d’artistes très accueillante et très active, Appelboom, à La Pommerie (la déconcertante Sandie Brischler y était l’été précédent).photos de l’auteur

Alechinsky

A la Bibliothèque Nationale, site François Mitterrand jusqu’au 4 Septembre.
Les Impressions de Pierre Alechinsky.

Reproductions des œuvres retirées à titre conservatoire, suite à une demande du représentant des ayants-droit.


Je voulais vous parler de cette exposition, de lithographies et d’eaux-fortes, de dessin et de couleur, vous dire de ne surtout pas manquer le film où on voit Alechinsky dans un atelier de lithographie, et puis j’ai lu ça, et je n’ai plus rien à dire, plus rien. Merci, Blabla.

Alors je me tais, humblement, et je vous montre simplement une petite gravure que mes enfants m’avaient offert pour mon anniversaire, il y a quelques années. Le fond est un vieux plan de Paris, Alechinsky adore récupérer des vieilles factures, des actes notariés, des plans, et dessiner par dessus. Il est intitulé « Cobra le Bol »

Les Ateliers des Arques

Aux Arques, dans le Lot, près du Musée Zadkine, une résidence d’artistes qui exposent leurs oeuvres, jusqu’au 9 septembre.

Suzuki
Des six, j’ai préféré cette étrange installation de Teruhisa Suzuki ( site en Japonais, ici): en plein champ près du village, une construction en bois non écorcé en forme de coquille d’escargot. J’y entre, je referme la porte, je me glisse, courbé en deux, au fond de la coquille / caverne où je me couche sur un lit de mousse, les bruits du dehors me parviennent assourdis, je suis retourné dans la matrice originelle, le giron. Je remarque alors que le bois a été percé de petits trous et que les parois sont tapissées de papier du Japon, papier qui résiste à l’eau et capte la lumière. Il y a ainsi un effet de camera oscura (voir ici): je vois le paysage inversé, la cime des arbres qui s’agite, les nuages qui passent, même un oiseau qui vole. Les images, un peu floues, vibrent légèrement.
Suzuki raconte qu’il a grandi dans une maison traditionnelle en bois avec des fenêtres en papier du Japon ; dans sa chambre, sous les combles, le bois des volets avait perdu ses nœuds et laissait filtrer des faisceaux lumineux. Il s’éveillait devant un écran d’images inversées, les textures lumineuses apparaissant et disparaissant selon le mouvement des nuages, dans un jeu continu et changeant. C’est une installation douce, paisible ; malheureusement la photo ne peut vraiment montrer ces effets de lumière, ni traduire l’euphorie étrange qu’ils engendrent.

Radome
Egalement une vidéo, Utopia, d’Antoine Boutet. Des images banales, familières, un enfant qui joue, une femme au volant de sa voiture. Et, en même temps, des mots qui défilent en bas de l’écran, une suite dont on ne saisit pas le sens, le premier mot étant Utopia, puis des sigles, des termes politiques, guerriers, d’autres banalement quotidiens ; une voix désincarnée, quasi-synthétique les prononce en même temps. Incompréhensible jusqu’à la dernière image (où apparaît aussi le mot Utopia), suivie d’un banc texte : Station d’écoute de la DGSE à Domme, Système Echelon. La femme au volant est en effet passée en voiture devant ce groupe d’immenses antennes paraboliques. Tous ces mots sont des déclencheurs d’écoute dans le système Echelon d’espionnage des communications téléphoniques et Internet. Soudain, Big Brother est là, bien présent, s’immisçant dans la banalité quotidienne de cette vidéo ordinaire. Vous ressortez dans la paisible campagne lotoise, inquiet, perplexe, un peu parano.

Araki

Araki_1
Je pensais ne pas aimer Araki. Trop porno chic, trop de bondage, un vieux pervers. Une de mes proches me chantait ses louanges, me parlait de la modernité de sa photographie, de la complexité de son personnage, mais, restant au degré zéro de la photo, je ne l’écoutais guère.
Mais je viens de voir à Londres à l’ICA un film, rarement montré, de l’Américain Travis Klose sur Nobuyoshi Araki, titré Arakimentari.
Et j’ai découvert un lutin, vif, nerveux, sautillant, aux cheveux en bataille, rigolard, plein de respect pour ses modèles. Loin d’être un misogyne, il s’efforce de faire ressortir la féminité de ses personnages. Certes, dans le Japon puritain d’aujourd’hui *, il va à contre-courant, est soumis à la censure et force nécessairement le trait, allant volontiers à des extrêmes provocateurs. Mais il suffit de le voir avec ses modèles, les détendant, les mettant à l’aise, les respectant, pour réaliser aussitôt que cet homme n’est pas un vieux sadique, mais au contraire un amoureux des femmes. Dans le film, Björk en parle de manière élogieuse. Un peu un hymne à la libération des femmes, à leur prise en charge de leur corps (alors que, paraît-il, le syndicat féminin autrichien des gardiennes d’expositions a fait grève à cause d’une exposition Araki).
Araki_2
Le plus émouvant est la série de photos sur sa femme, au visage triste et grave, qui mourra d’un cancer en Janvier 1990, photos qu’on n’oublie pas (Sentimental Journey). Araki en parle avec beaucoup de pudeur dans le film : « Prendre des photos endort la douleur. Quand elle est morte, il n’y avait rien d’autre à faire pour moi, sinon photographier. »
Le film montre aussi des portraits plus classiques, très intenses, assez sévères, et une série pour le 50ème anniversaire d’Hiroshima, où Araki expérimente un développement à haute température, donnant des effets d’émulsion très étranges.
On regarde alors avec plus d’attention la composition formelle des images, les contrastes, la mise en valeur des visages, la théâtralisation de la chevelure, et on se dit qu’il est dommage d’être passé à côté de lui pendant si longtemps, et que ce film a vraiment été le bienvenu, ouvrant une porte, écartant un rideau de préjugés.
Et je ne suis pas le seul à avoir totalement changé d’avis sur Araki: lire ceci (en Anglais)
Grande exposition Araki au Barbican à Londres cet automne. Je compte bien vous en parler.

Vous pouvez acheter la superbe monographie sur Araki aux Editions Phaïdon (71.25 euros) auprès de la librairie en ligne Dessin Original.

  • Visitant avec une amie japonaise l’exposition d’estampes du Musée Ota de Tokyo récemment présentée à Guimet, je réalisais en l’écoutant à quel point l’ère Edo (jusqu’en 1865) fut une période de liberté et de libertinage, qui a été brutalement stoppée par l’avènement de l’ère Meiji. Les Japonaises d’aujourd’hui vivent dans leur chair cette ambivalence, un héritage historique très sensuel dompté par 150 ans de puritanisme rigoureux, dont elles se libèrent difficilement; Araki en est un des emblèmes.

De qui est ce tableau ?

Dans le Lot, jusqu’au 30 octobre.
Pollak_1
Jean Pollak, à la galerie Ariel, fut pendant des années un des principaux promoteurs de l’abstraction lyrique et de Cobra en France. La plupart des grands peintres français et étrangers des années 60s et 70s ont été exposés chez lui. Ayant travaillé pendant quelque temps boulevard Haussmann, tout près de sa galerie, j’ai souvent remplacé mon déjeuner par une visite chez lui, et j’y ai beaucoup appris. Sa collection personnelle comprend des œuvres de toute première qualité de tous ces grands noms, Hartung, Poliakoff, Atlan, Bissière, Alechinsky, Appel.

Petit jeu de l’été : mais de qui donc est le tableau montré ci-dessus ? Il date de 1974. La réponse a été postée en commentaires ci-dessous le matin du 24 août.

Pollak_2
La collection Pollak est exposée cet été dans trois musées du Lot. Le Musée Henri-Martin de Cahors a la plus belle part, le Musée Rignault dans le très beau village (très touristique) de Saint-Cirq Lapopie a quelques œuvres. Quant au Musée Zadkine aux Arques, à côté de nombreuses sculptures de Zadkine (dont un superbe Christ en bois dans l’église voisine), il expose 35 tableaux « 0 figure » (format 14×18 cm) peints par ces mêmes peintres pour la fille de Jean Pollak : idée amusante, mais souvent décevante, car ces petits formats ne se prêtent que difficilement au souffle d’un Appel ou d’un Poliakoff ; seul le petit Hartung m’y a vraiment plu.

Un des peintres que je connaissais le moins est Yasse Tabuchi (ci-dessus, Une joyeuse fuite), dont les teintes acides et l’aspect quasi laqué des toiles évoquent d’autres origines, d’autres références.
Cahors_2
Au passage, vous pourrez aussi voir :
– à Saint Cirq Lapopie, les œuvres des artistes en résidence aux Maisons Daura (Sabine Delcour, Patricia Ferrara, Robert Milin, et surtout l’énigmatique Jérôme Mauche)
– aux Arques, outre Zadkine, là aussi des œuvres d’artistes en résidence, dont je vous reparlerai bientôt
– et au musée de Cahors, cette superbe idole polynésienne, Rongo, redécouverte récemment dans les réserves du Musée (une jolie fiction de Jean-Charles Blanc, le décrit comme un fantôme fuyant devant l’arrivée des missionnaires aux Iles Gambier).

photos des tableaux: catalogue de l’expo; photo de Rongo : site du musée

Miroslav Tichy

Au Musée de Zurich, jusqu’au 18 Septembre.

Tichy_2
Vous êtes un jeune artiste d’une vingtaine d’années. Quelques années après la fin de la guerre, votre pays devient une dictature communiste, satellite de Moscou. Vous restez, mais vous partez dans un exil intérieur, vous devenez un marginal, vous n’exposez plus, vous n’appartenez plus à l’Union des Artistes, vous refusez de vous intégrer. On vous emprisonne, ennemi du peuple ; votre mère, pour vous sortir de prison, vous fait déclarer fou, on vous interne quelque temps dans un asile * . Une fois sorti, vous vous marginalisez encore plus , vous vivez comme un clochard, édenté, cheveux longs, barbe hirsute, dans un taudis ; vous ne peignez presque plus.

Tichy_camera
Et puis, à la fin des années 60, vous découvrez la photo, c’est elle qui vous sauve de la folie et de la dictature. Vous bricolez des appareils photo, vous construisez des objectifs en plastique que vous polissez avec de la pâte dentifrice mêlée de cendres, vous les fixez avec du sparadrap, vous développez les photos dans l’évier de votre cuisine. Mais vous sortez chaque jour et prenez 3 rouleaux de 36 photos, chaque jour, qu’il neige ou que le soleil brille, c’est un rituel, c’est votre mission sur terre. De retour chez vous, vous développez vos cent photos quotidiennes, parfois vous les encadrez sommairement, et vous les entassez dans les placards de votre maison, sans les classer, en vrac.
Tichy_1
Et ce ne sont pas n’importe quelles photos. Presque toutes sont des photos de femmes, prises à la dérobée, derrière des vitres, des grillages, des portes entr’ouvertes. L’été, vous rodez autour des piscines, des parcs ; l’hiver, vous guettez le manteau qui s’entrouvre, qui laisse apercevoir des cuisses, une petite culotte. C’est l’anatomie des femmes qui vous intéresse, leurs seins, leur cul, leur jambes ; beaucoup sont jeunes et fines, mais vous ne dédaignez pas les matrones plantureuses. Vos photos, prises sous le manteau, sont mal cadrées, de biais, souvent sans tête ; vous êtes rarement découvert, peu de photos sont frontales. Avez-vous néanmoins su attirer l’attention de certaines ? Quelques photos sont des nus, posés, des modèles consentantes ; ont-elles consenti à plus, ou vos fantasmes féminins vous ont-ils empêché tout passage à l’acte ?
Tichy_3
Et ces photos volées, mal cadrées, sont développées à la va-vite dans votre laboratoire artisanal, les photos sont souvent marquées, tachées, brisées, on y voit la trace de vos travaux. Vous retouchez parfois au crayon la courbe d’un sein, le galbe d’une cuisse, comme un geste de soulignement, de possession; vous dessinez un cadre passe-partout de fleurs ou de colonnes.
Et vous restez inconnu jusqu’en 2004 ; à 78 ans, on vous découvre, on vous expose, à Séville d’abord, puis dans des galeries, d’abord Judin, vu à Paris Photo fin 2004, puis Nolan/Eckman à New York et Arndt & Partners à Berlin ; enfin, cet été, le Musée de Zurich, et le prix de la découverte à Arles.

Tichy_4_1
Aujourd’hui, Miroslav Tichy, vous êtes une star, une découverte, nouveau Van Gogh vivant, les prix de vos photos grimpent. Je ne sais pas si vous vivez toujours dans la même petite maison de Netcice, en Moravie, je ne sais pas si, pour la première fois de votre vie, vous avez de l’argent, je crois qu’on vous interviewe, que vous savez parler en riant de la lumière dans vos photos, des contrastes et du flou. Mais ce que je sais, c’est que votre marginalité, votre obsession, votre rituel vous ont permis de créer une œuvre que je trouve fascinante ; moi comme d’autres y retrouvons sans doute certaines de nos propres obsessions, de voyeurs et de libertaires, mais, au-delà de la mode et de la « redécouverte », votre construction fantasmatique prend à la gorge, d’émotion et de ferveur.

En sortant, vous pourrez voir l’absolu contraire de Tichy: l’exposition des archives photographiques du Los Angeles Police Department montre des photos de crimes, de victimes, c’est un documentaire sur le L.A. des années 30 et 40. Les photos sont très bien faites, les histoires y sont explicites, les sujets y sont frontaux, face à la caméra: l’antithèse en tous points de l’ambiguïté des photos artisanales dont je viens de me délecter pendant deux heures.

* catalogue en allemand seulement, non traduit, donc ma biographie est sans doute approximative; si Traube voulait bien traduire le catalogue, nous lui serions reconnaissants !

photos provenant du catalogue et du site du musée