Jumeaux

Une visite au Musée d’Art Contemporain de Rome (MACRO) est toujours un peu confuse : trop d’expositions, trop d’éparpillement (le pire, cette fois, étant un néon de Claire Fontaine, toujours prêts à surfer sur tout ce qui bouge : « La dignité plutôt que le pain », en arabe) et généralement on n’en retient qu’une ou deux choses, pas plus. Cette fois ce sera l’exposition du photographe Giovanni de Angelis (jusqu’au 15 septembre). Une petite ville brésilienne, Candido Godoi, fut peut-être le refuge du célèbre docteur Mengele, qui poursuivit, dans cette communauté de Brésiliens d’origine allemande et polonaise, ses recherches sur la gémellité. Nul ne sait comment, mais c’est la communauté au monde avec la plus grande proportion de jumeaux. La psychologue Luisa Laurelli s’est penchée sur ce phénomène et de Angelis présente ici une composition de huit paires de photographies de jumeaux, en gros plan et en pied.

C’est à la fois un peu monstrueux et assez fascinant. Le jumeau ne se définit pas seulement par rapport à sa mère, mais aussi par rapport à son double et cette individuation, cette séparation (douloureuse et nécessaire) affleure dans ces portraits. Le jumeau se définit seul, et en même temps il échappe à la solitude, à l’unicité. Ces deux petites filles, l’une maigrelette et l’autre sur la pente de l’obésité, retiennent le regard du spectateur par leur dureté, leur enfermement. La série se nomme Water Drops : les gouttes d’eau sont toutes semblables et toutes différentes.

Stéréotypes ?

Winter in Tebisa 1991D’un photographe noir sud-africain anti-apartheid, on pourrait attendre des images convenues, (trop) prévisibles, stéréotypées. C’est la force de Santu Mofokeng (au Jeu de Paume jusqu’au 25 septembre) que de déjouer ces pièges ; sans se défaire un instant de sa position sociale, raciale, culturelle, il sait éviter les écueils, nous montrer un Soweto (si souvent banalement photographié par d’autres) inconnu et déconcertant, nous faire découvrir des rituels chrétiens dans des lieux teintés de paganisme ou tirant parti des longs trajets quotidiens en train (ci-contre Train Church), Laying of hands Johannesburg Soweto Line 1986documenter la dégradation des paysages ou révéler, en vrai chercheur urbain, les changements sociaux par l’évolution des panneaux publicitaires dans les townships (en haut Township Billboards: Beauty, Sex and Cellphones).

Comme il le dit fort bien, son défi a été de ne soumettre ses photographies ni aux contraintes de l’état ni non plus aux exigences de la lutte contre cet état, en somme de rester un homme libre, sans pour autant se défaire d’un point de vue éminemment moral et engagé, loin des stéréotypes militants.

Après cette découverte, il est passionnant de se confronter à Claude Cahun, qui, elle, affirme avec force un (stéréo)type construit, élaboré, provocateur à souhait. Ce ne sont pas ses constructions surréalistes, mineures à de rares exceptions près, ni ses portraits d’amis, sans grand relief, qui attirent l’attention, mais bien plutôt ses autoportraits par lesquels elle construit sa propre identité, entre masculin et féminin, dans le genre neutre qu’elle veut inventer, au grand scandale de son milieu. C’est cette affirmation en creux, en rejet qui fait tout l’intérêt de ces images où on la voit habillée en homme, crâne rasé, regard dur. La personnalité fascinante de l’auteur(e)  est sans doute plus intéressante que son talent, mais c’est une exposition à ne pas manquer, ne serait-ce que pour le trouble indéfinissable qu’on y ressent.

Photos Mofokeng courtoisie du Jeu de Paume et Lunetta Bartz, MAKER, Johannesburg, copyright Santu Mofokeng. Photo Cahun copyright Jersey Heritage.