Sommaire de Juin 2007

18 billets écrits ce mois-ci.

2613 visiteurs uniques quotidiens en moyenne ce mois.

1er Juin: La Guerre du Chocolat (Claude Lévêque)
4 Juin   : Le silence
5 Juin   : Sombre Miro
6 Juin   : Un couteau, un bureau, une fleur (Oldenburg & van Bruggen)
7 Juin   : Corps insaisissables
8 Juin   : La vie des autres (Fuchs)
9 Juin   : BCN, encore
11 Juin : Un théâtre sans théâtre
13 Juin : Tintoret
14 Juin : Découvrez Estefania Peñafiel Loaiza
18 Juin : Ciudad Juarez (Guillaume Herbaut)
19 Juin : Vu à Bâle
23 Juin : Munch, encore
25 Juin : Pierre et Gilles
27 Juin : Les dents érotiques de Tunga
29 Juin : Dessins de filles
30 Juin : Jasper & Bruce (Johns et Nauman)
30 Juin : Robert Gober

En moyenne, 195 heures de connection quotidienne.

Robert Gober

au Schaulager à Bâle jusqu’au 14 Octobre.

robert-gober-2.1183235915.jpgDans ce bâtiment étonnant, une rétrospective du travail de Robert Gober, montré en 1992 au Jeu de Paume. Je me souvenais de ses sculptures, lavabos absurdes, maisons miniatures et jambes hyper-réalistes émergeant du mur. Il y a aussi ici de grandes installations intrigantes et poétiques.

Dans la première salle, une porte à peine ouverte vous laisse apercevoir une salle de bain, un homme dans une baignoire, un journal posé à terre; le bruit de l’eau vous attire, mais vous ne verrez rien de plus, vous ne saurez rien de plus. Toutes ces installations ont une dimension souterraine, avec des puits, des trous, des vidanges, des courants souterrains. Jamais vous ne voyez la face cachée, jamais vous ne pouvez pénétrer dans la pièce interdite. robert-gober-untitled-3.1183235932.jpgCe sont des histoires d’enfance et de religion, de sexualité et d’exclusion qui traversent tout son travail. Certaines installations sont comme des tableaux irréels dans lesquels vous entrez, dont vous devenez un personnage, environné de papier peint, contournant des sculptures, mannequin pour robe de marié ou poitrine hermaphrodite, regardant par des trous dans le mur. Une grande salle champêtre n’est accessible qu’au bout d’un couloir obscur; la clairière bruisse, la lumière radieuse du ciel vous atteint, six robinets vous bercent du bruit de l’eau. robert_gober_untitled-4.1183235949.jpgDes sacs de mort-aux-rats et des piles de vieux journaux au sol vous ramènent dans l’univers urbain, vous empêchant d’avancer. Gober est adepte à construire un espace, à créer un monde de mystère et d’inquiétude.

Dans une grande salle trône une madone en béton, le ventre traversé d’un énorme tuyau. Regardant à travers celui-ci, nous voyons une cascade d’eau descendant un escalier au fond de la pièce et se perdant dans une nappe souterraine. Ici et là, des grilles permettent de voir ce monde aquatique souterrain, des plantes luxuriantes aux brins agités par les flots, des poissons, des crabes, des pièces de monnaie jetées là comme porte-bonheur. Est-ce une oeuvre sacrilège ? Offense-t-elle la Madone ? Ou bien cette Vierge aquatique n’en devient-elle pas encore plus pure ? L’eau baptismale, claire et courante, n’est-elle pas la vie même ?

robert_gober_untitled-1.1183235898.jpg

Les pièces stockées au Schaulager ne sont en principe pas montrées au public, mais on pouvait aussi voir ce gigantesque Roi de rats de Katharina Fritsch. Cette bizarrerie inexpliquée de la nature est annonciatrice de catastrophes, du châtiment divin punissant les hommes pour leurs péchés. De quoi méditer.

Katharina Fritsch étant représentée par l’ADAGP, la photo de son oeuvre a été ôtée à la fin de l’exposition. Elle reste toutefois visible ici.

Jasper and Bruce

au Kunstmuseum de Bâle, jusqu’au 23 Septembre.

Jasper Johns et Bruce Nauman étant représentés par l’ADAGP, les reproductions de leurs oeuvres ont été ôtées du blog à la fin des expositions.

C’est une exposition sur la décennie 1955 à 1965, le début de la carrière de Jasper Johns, le moment où il définit et affirme sa voie. C’est une exposition fort bien faite, une exposition de cours d’histoire de l’art. On vous y montre l’apparition du motif de la cible, l’inclusion de lattes et de planches, accessoires de l’acte de peindre, la prééminence des trois couleurs primaires, et la présence physique de l’artiste dans ses toiles. C’est didactique, bien expliqué et plutôt froid. Ci-contre Target with Plaster Casts, 1955 (encaustic and collage on canvas with painted plaster casts Collection of David Geffen, Los Angeles Art © Jasper Johns/Licensed by VAGA, New York, NY).

Vous en sortez plus intelligent, plus savant sans aucun doute. Mais, pour ma part, je n’y ai guère ressenti d’empathie, d’émotion, de souffle. Sauf devant ce petit format, Painting bitten by a man, 1961 (encaustic on canvas mounted on wood type plate Collection of the artist Art © Jasper Johns/Licensed by VAGA, New York, NY) où la toile a été enduite d’une épaisseur d’encaustique jaunâtre dans laquelle Johns a mordu. La marque de ses dents, de ses lèvres même, est visible et génère un sentiment à la fois fascinant et gênant, un peu comme devant une performance actionniste. 

La plupart des oeuvres présentées sont visibles ici.

Dans l’annexe du Kunstmuseum dédiée à l’art contemporain au bord du Rhin (MGK), j’ai revu avec plaisir l’installation vidéo bien connue de Bruce Nauman, Mapping the Studio (visible jusqu’au 7 Octobre) : sept projections simultanées, chacune durant six heures, chacune dans des tons différents, rouge, gris, vert, rose (ci-contre MAPPING THE STUDIO II with color shift, flip, flop, & flip/flop (Fat Chance John Cage), 2001 © ARS, NY and DACS, London 2005 Photo: Tate Photography). Que se passe-t-il dans son studio la nuit ? Comment l’espace occupé par l’artiste le jour vit-il la nuit, livré aux souris et aux papillons nocturnes ? Pour le spectateur entouré de ces sept écrans, dont deux à l’image renversée, quel rapport à l’espace s’instaure au fil du temps assis inconfortablement, ne pouvant jamais voir tout à la fois ? Le jeu du chat avec les souris sur l’écran génère amusement et tension, comme le fait notre posture de spectateur (ci-contre photo provenant du site du MGK). De plus en plus fasciné par Nauman, je voudrais bien aller voir cette exposition près de Turin en Juillet.

Jasper Johns et Bruce Nauman étant tous deux représentés par l’ADAGP, les reproductions sont ôtées du site à la fin de leurs expositions respectives, conformément aux exigences de l’ADAGP.

Dessins de filles

« Girls’insights » à la Galerie Defrost, jusqu’au 28 Juillet.

C’est toujours avec un peu de réserve qu’on va voir une exposition de femmes artistes. Est-ce un motif suffisant pour les réunir, se dit-on ? Y a-t-il une réelle spécificité, ou n’est-ce qu’un prétexte ?

Anne Malherbe a rassemblé ici des dessins de dix artistes, certaines déjà connues, d’autres débutantes, certaines avant tout dessinatrices, d’autres peintres s’adonnant aussi au dessin, d’autres encore venues de la BD.

En entrant, on se retrouve immergé entre un grand dessin classique de Marie Sallantin et un dessin à même le mur d’Anne-Laure Sacriste. Le premier, rappelant ses toiles, vous entraîne dans le monde des dieux de la mythologie, avec des corps qui volent, qui chutent peut-être et ce grand ange noir déchu, oiseau de malheur, Lucifer inévitable. C’est une peinture sans couleurs, modelée, pleine de profondeur. La fin des temps, dit-elle.

En face, directement sur le mur, le dessin de I lost my heart est plus vif, plus nerveux. Ce sont des branches, des rameaux ligneux, des étendues aqueuses, qui se ramifient, qui occupent l’espace, le dévorent même. Le trait est omniprésent, plat, énergique. Le regard s’y perd, l’esprit y sombre.

att00200.1183161477.jpgDans l’escalier, après quatre petits bijoux sur le palier, il faut risquer le torticolis pour bien voir la grande composition sur un fond noir griffé de Vanessa Fanuele, I’m fool to cry (ci-contre). Cette inconnue sait remarquablement bien rendre visible l’invisible et jouer avec nos perceptions. Un rideau de perles blanches cache le motif, voile qu’il faut percer, stimulant la curiosité et la détournant. Derrière, des formes sombres, noires et grises, avec ici et là des morceaux de corps humain, main et jambe, et un crâne d’oiseau, au milieu d’autres volumes indéfinissables, dans un empilement confus de dépouilles cruelles. Mais, au milieu de cette grisaille, un cœur rouge bat, ou presque, propulsant son sang chaud dans toute la surface. De gris ou de rouge, tout est innervé, irrigué, vivifié. Est-ce un travail de mémoire, comme le dit l’artiste ? J’y vois peut-être une belle endormie, j’y crains peut-être un inconscient en veille. Dans une autre composition d’elle, toute en gris et noir, on se prend à épouser les contours de fils de perle et à savourer la sensualité des volumes ainsi soulignés.  

att00203.1183161497.jpgEnfin, j’ai été séduit par les dessins et collages inquiétants et énigmatiques de Natacha Ivanova, qui n’est pas une inconnue. Sur l’un, La Jeune Fille et la Mort, des papiers peints russes dessinent un corps; sur un autre, La Fille mal gardée, un grand corbeau noir porte un enfant. Celui ci-contre, La Mémoire d’un Arbre, fait émerger ce visage de la tache d’encre, des coulures et des éclaboussures. Moins lumineux que les deux autres, il n’en est que plus mystérieux.

Ai-je découvert ici une féminité du dessin ? Ai-je pu relier ces artistes entre elles par leur genre, par leur posture féminine, féministe ? Je ne crois pas. Mais j’ai été plus sensible à celles qui m’ont semblé ouvrir une porte, révéler un mystère, à celles aussi chez qui le dessin m’a paru exister par lui-même, sans artifice.

Les dents érotiques de Tunga

à la Galerie Daniel Templon, jusqu’au 26 Juillet.

tunga-2.1182875274.jpgSi, comme moi, vous n’êtes que moyennement sensible aux toiles d’Ulrich Lamsfuss, traversez la rue, découvrez l’annexe de Templon et émerveillez-vous devant les pastels roses de Tunga.

Il y a là une dizaine de dessins de corps entrelacés devant lesquels vous allez perdre l’équilibre, où vous ne saurez plus quelle est la mesure, quelle est l’échelle, où sont le haut et le bas. Un doigt devient un corps, les corps basculent comme des mains; les dents, omniprésentes, se transforment en sexes, en seins, en jambes. Doigts et dents pénètrent, seins et orifices accueillent, sexualité monstrueuse d’où tout visage est banni. tunga-3.1182875291.jpgEst-ce une orgie dans une bouche, un vagin denté, une chorégraphie érotique de nains et de géants ?

Se souvenant de sa grande sculpture baroque au Louvre, on est frappé ici par la délicatesse de Tunga, sa préciosité érotique, sa poésie archaïque. Au centre de la salle, une lampe de l’artiste, avec un crâne emprisonné dans un filet. Vanité, toujours.

Photos provenant du site de la galerie.

Pierre et Gilles

au Jeu de Paume Concorde, jusqu’au 23 Septembre.

2007_0622pierreetgilles0002.1182811421.JPGEst-ce une exposition réjouissante ? En sort-on allègre et rempli de la beauté du monde ? On pourrait le croire. Des murs peints dans des teintes acides et joyeuses, des plantes vertes en haut des cloisons, un rideau de fraises sur la mezzanine encadrant une Innocence pré-pubère, toute une mise en scène allègre. Les cadres fantastiques aux couleurs sucrées, aux formes contournées ont bénéficié d’autant de soins que les photos peintes uniques qu’ils présentent. Tout cela traduit une aspiration au classicisme, à la « grande peinture », mythologique, religieuse, un peu surannée.

2007_0622pierreetgilles0008.1182811461.JPGEt dans ces cadres, partout, la beauté. Beauté des icônes : pharaon, star, matador, marin. Beauté lisse, pure, douce, caressable. Beauté des stars (ci-dessus, côte à côte, Mireille Mathieu, Catherine Deneuve, Sylvie Vartan, Kyle Minogue et Marylin Manson). Beauté d’Abel. Même la mort est légère, des petits crânes ailés volètent joyeusement. Même l’Irakien mourant ou le déporté au triangle rose paraissent sereins, beaux, éthérés. Comment ne pas sourire devant Christian Boltanski en Saint Vincent de Paul, devant François Pinault ci-dessus en Capitaine Nemo (simple allusion à ses origines bretonnes, paraît-il) ou devant Lola la goulue ? Comment ne pas s’émerveiller devant cette science de l’accessoire, de l’ornement omniprésent, devant cette maîtrise iconographique, iconolâtre, iconodule ? Une de leurs expositions dans leur galerie parisienne se nommait Un monde parfait. Que dire de plus ?

2007_0622pierreetgilles0007.1182811481.JPGQu’il y a une autre salle, où ils exposent leurs autoportraits, où, libérés des contraintes du modèle (tous leurs modèles sont nommés dans les cartels, bravo), ils peuvent donner libre cours à plus de fantaisie, plus d’intimité, plus d’explosion. Ici, nus, ils brandissent en guise de sexe d’énormes godemichés, l’un en Diable (Pierre), l’autre en Mort (Gilles). Là, ils se représentent en Président et en Maréchal soviétique : Pierre et Gilles à l’Elysée !

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Et puis il y a ces 4 ou 5 photos totalement déstructurées où, au prime abord on ne discerne que des membres épars, des abatis, des reflets incompréhensibles. C’est l’enfer de Dante, c’est un charnier, c’est une toile de Music, ça se nomme Exil intérieur, et parfois Celacantus, nom portugais du Cœlacanthe, poisson fossile qui parfois remonte des profondeurs. Devant ces photos peintes d’un vert glauque, vous entendrez des cris de douleur, des rires sarcastiques, des pleurs infinis.

2007_0622pierreetgilles0005_edited.1182812163.JPGEt là on sent la beauté se fissurer, le kitsch s’évaporer, la légèreté s’alourdir, le sourire se figer.

Photos de l’auteur, copyright Pierre et Gilles (Galerie Jérôme de Noirmont). Voir ce site et celui-ci pour des portfolios de photos assez complets.

  

Munch, encore

à la Fondation Beyeler, jusqu’au 22 Juillet, puis à la Kunsthalle Würth à Schwäbisch Hall (entre Nuremberg et Stuttgart), jusqu’à fin Décembre.

J’ai déjà beaucoup écrit sur Edvard Munch, une des personnalités artistiques qui me fascinent le plus (ici, ici, et ), et je suis donc allé voir cette exposition (qui marque le 10ème anniversaire de la Fondation Beyeler) avec intérêt et curiosité.

Un de ses grands intérêts est qu’elle présente un assez grand nombre d’oeuvres provenant de collections particulières, rarement montrées jusqu’ici. Parmi tant d’autres, en voici une qui m’a étonné, datant de 1907, peinte à Warnemünde sur la Baltique, peu avant son admission en clinique psychiatrique, pendant un été où il peint surtout des baigneurs nus, musculaires, à la virilité triomphante, parfois troublante. Ce jeune garçon ressemble aux photos de Munch enfant, cheveux blonds courts, visage ovale, oreilles décollées. Mains dans le dos, il nous regarde intensément. Sur son pull-over bleu sombre, on est d’emblée frappé par ces traits rougeâtres, un balayage de couleurs avec une touche rapide et nerveuse. Cette lueur, cette lumière intérieure arrêtent le regard, stoppent le spectateur, le font venir de l’autre bout de la salle. Avant même de lire le cartel, on ressent une étrangeté, une violence contenue. Ce tableau est titré Autoportrait avec embryon.Quel étrange cheminement a pu mener Munch jusque là, quelle fascination androgyne est à l’oeuvre ici ? Vingt ans après, il se peindra en sphinx androgyne. Ce tableau n’a, je crois, jamais été montré auparavant.

Nonobstant ces découvertes, le choix des oeuvres exposées a été assez sélectif, avec, à mes yeux, quelques lacunes : peu d’autoportraits de la fin de sa vie, aucun tableau, ou presque, en rapport avec son drame amoureux (La Mort de Marat, par exemple); par contre, beaucoup de ses paysages tardifs, qu’on sous-estime trop souvent. Par ailleurs (mais tout choix est difficile), comme Munch a presque toujours peint plusieurs fois le même motif, parfois à des années d’écart, deux toiles représentant, par exemple, L’enfant malade, peuvent être très différentes: celle montrée ici (ci-dessus), provenant du musée de Göteborg, paraît plus calme, plus lisse, moins violente que le tableau emblématique du Musée d’Oslo, peint dix ans plus tôt, (détail en noir et blanc ci-contre; cliquez)) sur lequel on voit les traces physique de la lutte de Munch avec sa toile: peinture grattée avec le manche du pinceau, éraflures visibles, toile mise à nu. Dans son merveilleux film, Peter Watkins montre cet engagement physique du peintre se battant avec la représentation de sa soeur mourante, « action painting » avant la lettre.

Si la présentation de l’exposition privilégie moins la dimension psychologique que, par exemple, l’exposition des autoportraits à Londres, deux des thèmes présentés sont très intéressants et assez novateurs. Le premier montre comment l’intérêt de Munch pour la photographie et le cinéma eut un impact sur la représentation du mouvement dans ses toiles des années 10.

Le second concerne la disparition du motif dans les gravures sur bois de la fin de sa vie. Munch fut un expérimentateur constant en matière de gravure, découpant ses blocs de bois, les recomposant comme personne avant lui. A partir des années 30, il donne encore plus de visibilité aux nervures du bois, et, peu à peu, le thème se fond, se dissout, disparaît quasiment dans un paysage abstrait, fait des cernes du bois, des lignes ondoyantes de la plaque. Une matérialité se fait jour, le motif disparaît. Ici, la Nuit étoilée, de 1930.

Les règles de l’ADAGP, qui représente les ayant-droits de Munch, ne me permettent pas de vous montrer autant de reproductions que je le souhaiterais; conformément aux exigences de l’ADAGP, les reproductions ont été ôtées du site à la fin de l’exposition à la Fondation Würth.

Vu à Bâle

Quelques jours à la foire Art Basel (et dans les musées de Bâle, dont je parlerai plus tard). Beaucoup de monde, beaucoup d’affaires, voici seulement quelques photos et impressions.

bale-2007039_edited.1182292669.JPG bale-2007002.1182292554.JPGbale-2007040.1182292626.JPG

A l’entrée, sous la bannière Unlimited, Grincheux, à moins que ce ne soit Simplet ou Santa Claus, brandit un accessoire en vente dans la sex shop voisine de la foire, merci à Paul McCarthy. A côté, The Pumpkin Palace, un bus pakistanais avec couchettes, salle de prières, et autres impedimenta (Mike Nelson) vous transporte dans un monde lointain. Et rares sont ceux qui ont levé la tête et découvert cette simplissime cabane fragile de Kawamata.

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A l’intérieur, quelques coups de projecteur:
– le stand le plus attractif, en catégorie classique : celui de Helly Nahmad et son exposition d’une vingtaine de toiles de Picasso sur le thème du peintre et son modèle. 
– et en catégorie art contemporain : l’impact visuel du stand dépouillé de Kamel Mennour, avec une installation d’Adel Abdessemed devant un mur de Buren (ci-dessus à gauche).
– la photo pour laquelle j’aurais craqué : le portrait de Maïakowski par Rodchenko, au regard si intense qu’on ne peut s’en défaire.
– et la pièce la plus déprimante de toute l’expo, de Monica Bonvincini (deux pièces en fait, que ma photo fait entrer en collision; photos ôtées du site selon les exigences de l’ADAGP)

bale-2007028.1182294721.JPGSur la foire elle-même, une des installations les plus surprenantes sur un plan historique est cachée sur le stand d’une galerie polonaise (Stramach, ci-contre) : une salle entière de toiles de Kantor, toutes enveloppées, empaquetées dans un tissu brun, avec, ici et là, quelques accessoires, pigeon, parapluie, fagot (Tout tient par un fil). On revient toujours au théâtre.
Dans l’autre hall avec Unlimited et Statements, on peut voir un très beau et étrange film d’Ariane Michel (galerie Jousse), The Screening, qui a fait l’objet d’une performance dans la forêt le premier jour. Les humains regardent les animaux qui regardent les humains…
Plus loin, Jeffrey Vallance a mis en scène des échanges de cravates, Cultural Ties. Il propose à des chefs d’état d’échanger sa cravate contre une des leurs. Les réponses, exposées ici, varient grandement, simples ou arrogantes, personnelels ou officielles, embarrassées ou amusées: un beau travail politique.
bale-2007011.1182294673.JPGEn poursuivant, le manège enneigé de Op de Beeck (Merry go round), la piscine cocaïnée de Helio Oiticica et Neville d’Almeida (CC4 Nocagions), et la multitude de petits cadres d’Allan McCollum (The Shapes Project, ci-contre) sont parmi les installations les plus impressionnantes. 

Voici donc quelques impressions bien partielles.
Photos de l’auteur. Les oeuvres de Monica Bonvicini étant protégées par l’ADAGP, la photo les représentant a été enlevée au bout d’un mois, conformément aux exigences de l’ADAGP.

Ciudad Juàrez

à la Galerie Paul Frèches, nouvellement ouverte, jusqu’au 20 Juillet.

herbaut-2.1181763372.jpgGuillaume Herbaut est un serial photographer. Il mène depuis des années un projet complexe et systématique où il se penche avec attention, minutie et empathie sur des drames, des tragédies de masse, des catastrophes mémorielles. Photo-journaliste, travaillant habituellement dans l’urgence et l’éphémère, il prend chaque année du temps pour produire une forme de reportage plus dense, plus réfléchi, pour aller au delà de la représentation, pour rendre présent un drame historique devenu lointain, abstrait. Il a ainsi produit des séries sur Tchernobyl, sur Auschwitz, sur Nagasaki et sur la vendetta (Kanun) en Albanie. La mort y est omniprésente, et la survie aussi. Au sein de chaque série, les photos alternent entre des corps abîmés, mutilés, déformés et des environnements paisibles, rues, arbres, prairies, où rien ou presque ne laisse supposer le drame. Chaque série est numérotée, partie d’un ensemble plus grand, qui touche à sa fin, puisque , dans cette nouvelle galerie au pied du Sacré-Coeur, nous voyons la pénultième série, 6/7.

herbaut-4.1181763427.jpgElle concerne cette ville du nord du Mexique où des jeunes femmes, ouvrières ou prostituées, sont violées et tuées par un ou des criminels qui échappent à la police. Accrochées de manière serrée au mur de la galerie, les photos alternent entre paysages apparemment anodins, mais qui sont cimetières ou scènes du crime, et corps de femmes crûment exposés, sanglants, nus, insupportables. C’est la trace d’un crime impuni, c’est l’empreinte d’un monde déboussolé, c’est une marque hantée qu’on voudrait oublier.  

_mg_3640.1181763015.jpgSes photos sont directes, frontales, nul moyen d’y échapper, de les regarder du coin de l’oeil. La première, trop dure pour être montrée ici, est un plan rapproché du sexe épilé d’une prostituée assassinée, photo prise à la morgue de la ville qui craint d’être assassinée comme tant de ses consoeurs. Difficile de deviser tranquillement au vernissage juste devant, un verre à la main ! Que sera la série 7/7 ?

Photos courtoisie de la galerie, copyright Guillaume Herbaut

Découvrez Estefania Peñafiel Loaiza

en Espagnol

à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts jusqu’au 13 Juillet et au CREDAC à Ivry jusqu’au 17 Juin.

C’est l’exposition annuelle des diplômés félicités des Beaux-Arts, quatorze à Paris (Cadrage / Débordement), et, parmi ces 14, sept à Ivry (Moteur).

Il y a de tout, l’habituel sampling d’images, de photos, de sons, d’emballages alimentaires, de curios, le tout bien politiquement correct. Il y a quelques sculptures intéressantes, des îlots de plâtre, des objets de récupération. Il y a les gentils tableaux d’une jeune peintre devenue en quelques mois, grâce à un membre du jury et un galeriste, la coqueluche d’une coterie de collectionneurs, même l’IHT en parle. On remarque une installation de Pierre Guy (aux Beaux-Arts seulement), ville clignotante et dévoreuse, les animaux marins de Julien Laforge (sur les deux sites, mais surtout au CREDAC) et une dérive dans les rues de Saint-Denis (Marie Preston au CREDAC). Au final, on se dit que ces jeunes artistes ne paraissent pas encore tout à fait sûrs d’eux, pas encore tout à fait solides, mais qu’ils ont du potentiel et qu’on reviendra les voir dans qelque temps (et qu’il est stupide d’empêcher le visiteur de prendre des photos à l’ENSBA; ces jeunes gens ne sont quand même pas encore des stars !). Une seule artiste, à mes yeux, sort du lot.

Elle vient d’Equateur, n’a pas 30 ans et c’est une magicienne. Elle fait apparaître et disparaître le réel, elle vous ébahit, vous en met plein les yeux et vous ne voyez rien. Elle joue avec les mirages, avec la disparition du réel, avec l’illusion des sens. Quatre pièces d’elle sont montrées ici.

La première pièce, au CREDAC, est indiquée sur votre plan, intitulée Mirage(s) 2. ligne imaginaire (équateur), mais vous ne voyez rien, absolument rien, sinon un grand mur blanc. Il faut vous coller au mur, regarder de biais pour apercevoir sur le mur une ligne imperceptible, quasi invisible. Longeant le mur, comme le sol en pente de la salle remonte, vous perdez la ligne, il faut vous accroupir, remettre vos yeux à son niveau pour la retrouver. Si vous ne vous pliez pas à sa loi, à son horizontalité inexorable, vous la perdez ; il vous faut finir presque à terre pour la suivre jusqu’au bout, jusqu’au mur final. Estefania vient d’Equateur, pays traversé par une ligne invisible éponyme. Plutôt que des géographes conceptuels, nous avons là une artiste qui dévoile la vraie structure du réel, et qui engage physiquement le spectateur dans sa démarche. Ah oui, ce n’est qu’une ligne tracée à la gomme.

penafiel-pontecorvo.1181772543.jpgSa deuxième installation, toujours au CREDAC, est une salle aux murs noirs, à peine éclairée. Vous hésitez à y entrer, encore une implication physique demandée au spectateur, encore un risque à prendre. Tout au fond, sous la lumière blafarde, au sol, un empilement de photos quasi identiques, les 25 photogrammes d’une seconde d’un film. Elles montrent une femme, méditerranéenne, au regard intense, prise à la dérobée dans une ville au paysage indistinct, regardant presque timidement dans notre direction, par en-dessous. penafiel-regardrebeca-1.1182211274.jpgIl s’agit d’une séquence du film mythique (en tout cas mythique pour ma génération) de Pontecorvo, La Bataille d’Alger, film interdit, film contesté, film cible de nombreuses manifestations d’extrême-droite, film utilisé par les Américains pour former leurs cadres anti-terroristes, en Irak et ailleurs. Cette femme, si je me souviens bien, est une militante FLN, mais je vais revoir le film pour l’occasion. Dans ce cachot aux murs noirs, dans cette semi-obscurité, nous voilà revenus il y a 50 ans ; la disparition de l’image souligne la disparition des prisonniers aux mains de l’armée, la mort omniprésente. L’œuvre s’intitule d’un regard l’autre (à demain Rébecca, j’espère que tu n’oublieras pas).

Ce sont donc là deux œuvres toutes deux à peine visibles, l’une blanche et l’autre noire, l’une historique et l’autre géographique, l’une linéaire et l’autre caverneuse, toutes deux nous impliquant, nous donnant le sentiment d’un risque.

penafiel-incendie-2.1181772521.jpgpenafiel-cherchant-1.1182211289.jpgQuai Malaquais, Estefania Peñafiel nous montre une autre disparition, un autre signe de violence : elle a tiré des centaines de photos d’incendies sur lesquelles immeubles, forêts, maisons, voitures brûlent allègrement. Ces photos de feu d’un rouge intense (ci-contre) sont présentées dans une salle sombre sur une table sous un projecteur de lumière rouge. Rouge sur rouge : vous ne pouvez donc rien voir. Ces incendies, cette violence sont niés, abolis, escamotés, rendus invisibles. Je lis qu’elle a, ailleurs, présenté une des fameuses photos des Sonderkommandos de Birkenau sous une lumière blanche si forte, si éblouissante, qu’il était impossible d’en discerner un quelconque détail (Fiat Lux). Disparition de l’histoire.

Enfin elle a inscrit ici et là, sur des vitres, avec des empreintes à peine visibles, des mots qu’on devine à peine, parce qu’un cartel nous y invite, des mots difficiles à lire, encore plus difficiles à relier entre eux. Il faut s’y astreindre, fouiner, déchiffrer, tenter de comprendre. Ce sont, là encore, des vestiges, des sédiments de l’histoire, des bribes de récits d’artistes à de professeurs de l’ENSBA sur Mai 68. Que reste-t-il de ce mois là aujourd’hui ? Tout s’efface, tout s’estompe, Estefania tente dérisoirement de maintenir un peu de mémoire, mais ces vitres seront nettoyées, mais ces mots seront effacés. C’est Mirages (4) l’ex-école. penafiel-armenie.1181772441.jpgElle avait réalisé un travail similaire de mémoire sur l’Arménie (ci-contre) : des noms évoquant le souvenir de familles rescapées du génocide, gravées sur les vitres d’une maison de Yerevan, mais ne se révélant que sous un certain éclairage (Mirage(s) 3. l’Arménie).

J’ai trouvé dans son travail une gravité, une profondeur, une maturité uniques, mais aussi une capacité à jongler, à ébahir, à tromper tout à fait réjouissante. C’est son nom que je retiendrai dans cette promotion.

Photos 1 et 4 volées par des complices de l’auteur (on n’est pas chez Gonzalez-Torres). Photos 2 et 3 fournies par l’artiste, photo 5 provenant de ce site.