Sommaire de Juillet 2005

22 Billets en Juillet 2005

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62 152 visiteurs depuis le 3 Avril 2005

2 juillet: 18 ans (Chrystel Lebas)
2 juillet: Berlinde de Bruyckere
3 juillet: Anselm Kiefer
3 juillet: Boston et l’impressionnisme
4 juillet: Open Systems (Les années 70)
6 juillet: Frida Kahlo
7 juillet: Le triomphe de la Peinture (Saatchi Gallery)
9 juillet: Translation (Palais de Tokyo)
10 juillet: Brèves de fin de week-end
11 juillet: Big Bang (1)
13 juillet: Mourir pour l’art ? (Antony Gormley)
14 juillet: Big Bang (2)
19 juillet: Manolo Valdès
23 juillet: Montcuq
23 juillet: Identité et Nomadisme
25 juillet: Rodin à l’Ecole du Louvre (1)
26 juillet: Rodin à l’Ecole du Louvre (2)
27 juillet: Rodin à l’Ecole du Louvre (3)
28 juillet: Rodin à l’Ecole du Louvre (4)
29 juillet: Rodin à l’Ecole du Louvre (5)
30 juillet: Rodin à l’Ecole du Louvre (conclusion)
31 juillet: Robert Couturier

Robert Couturier

Au Musée Maillol (Dina Vierny) jusqu’au 12 Septembre.

Reproductions des œuvres retirées à titre conservatoire, suite à une demande du représentant des ayants-droit.


Robert Couturier a cent ans, mais ce n’est pas là la seule raison qui doit vous inciter à voir cette exposition. Il fut un élève de Maillol, et est le dernier représentant de cette génération. Bien sûr on s’émerveille sur son inventivité, sur sa jeunesse éternelle, malgré son âge, serait-on tenté de dire. Les trois sculptures représentées ici ont été faites, respectivement à 88, 94 et 78 ans.
Mais au-delà de cette « curiosité », Couturier est un novateur, sculpteur de lignes et de plans plus que de volumes et de masses. Il pratique un art très dépouillé, simplifié à l’extrême.
Regardez ce Torse féminin, simple morceau de bois sans doute trouvé sur une plage. Il y a creusé un nombril, qu’il a souligné d’un trait, il a brûlé l’ombre des poils pubiens, peut-être accentué le sexe et c’est tout : le socle équilibre et magnifie cette célébration impudique du corps féminin, « merveille inépuisable de l’univers ».
Couturier, qui, bien sûr, a commencé avec le plâtre, le marbre et le bronze, a aussi très tôt travaillé le bois, s’inspirant des formes naturelles et les réinventant.

Ce Petit Christ est une de ses sculptures les plus minimalistes, où une simple brindille tordue traduit toute la douleur du crucifié. Anti-sculpture partant du réel et le transformant.
Et ce Dos d’une blonde, en plomb lumineux, modelé à partir d’un déchet en plastique, suggère le volume évidé du corps, la tresse de cheveux attirant le regard, puis le dirigeant vers les énormes fesses en équilibre sur un petit cube.
Dans cette sculpture dépouillée, minimaliste, les armatures sont parfois visibles, l’aspect « mal foutu », qui plut à Maillol, est mis en avant. La diversité des matériaux, l’alphabet de formes diverses, l’inventivité font de Couturier un sculpteur un peu à part (merci à Vertigone de m’avoir suggéré cette exposition).
Frank Horvat a photographié une vingtaine de ces sculptures de manière très sobre, le catalogue est superbe (les photos ci-jointes en sont extraites, mais j’ai dû les éclaircir un peu pour pouvoir les publier ici).

Et, quand vous serez au musée Maillol, profitez du fait que la Cuisine communautaire, de l’artiste conceptuel Ukrainien Ilya Kabakov, est actuellement ouverte au sous-sol du Musée, ce n’est pas toujours le cas. Cette cuisine est une vraie chapelle du soviétisme, avec ses litanies, ses ex-voto, ses lutrins, son chemin de croix, ses lampes liturgiques, que vous saurez reconnaître dans les ustensiles accrochés ici et là.

Rodin à l’Ecole du Louvre (conclusion)

Bilan multi-facettes de cette semaine de cours sur Rodin. Dans la substance, la forme, et aussi, disons, la dimension sociale.

D’abord, évidemment, j’ai beaucoup appris. Je n’avais de Rodin qu’une honnête connaissance, et, au-delà des histoires et des techniques, ces cours m’ont permis de me poser quelques questions essentielles sur Rodin, sur son approche, sur la création, que j’ai tenté de refléter dans les billets précédents. Certains conférenciers ont été plus techniques, plus factuels, d’autres plus littéraires, plus lyriques, et l’équilibre était excellent. Nous avons pu écouter certaines des plus grandes spécialistes de ce sculpteur et de cette époque, et je repars avec une bibliographie impressionnante (si j’en ai l’énergie et le temps, un jour).

Excellente organisation du cours, ce qui n’est sans doute pas évident avec ce type d’étudiants. Une critique et une suggestion :
– la visite au Musée Rodin était trop courte, mais surtout elle reprenait trop en détail certains des éléments déjà vus en amphi, au lieu de nous faire voir les œuvres ; alors que les conférences, elles, n’ont pratiquement jamais fait double emploi, cette visite était trop souvent une répétition des mêmes informations devant l’œuvre. J’aurais préféré, avec les mêmes contraintes de temps, n’aller voir que quelques œuvres et passer du temps devant chacune, en les regardant vraiment, en voyant concrètement ce qu’est le modelé d’un torse, comment les ombres jouent sur la Porte, en comprenant de visu qu’on doit regarder différemment un plâtre et un bronze. De toute façon, ce cours ne peut qu’inciter à retourner de nouveau au Musée.
– Ma suggestion serait d’inclure parmi les intervenants quelqu’un qui ne soit pas historien d’art, mais écrivain ou plasticien contemporain, qui nous donnerait sa vision de Rodin, de manière plus émotive, plus informelle : par exemple une Annette Messager nous parlant des fragments. Et, même si les historiens d’art ont leurs réserves, une projection du film de Nuytten aurait été un complément intéressant.

Sur le plan pédagogique, on est vraiment dans la logique professorale à la française : le professeur parle, les élèves écoutent et prennent des notes. Peu d’échanges, peu de questions (même s’il y a du temps réservé pour cela, l’ambiance n’y est pas favorable, le temps presse), pas d’échanges informels à la fin du cours, en somme une ambiance très scolaire. C’est sans doute ma principale réserve face à cet enseignement (et mon hésitation si, dans quelque temps, j’envisageais de le suivre de manière plus impliquée). En même temps, je suis bien conscient que nous ne sommes pas des doctorants, mais de simples amateurs, et que c’est un cours, pas un séminaire. L’expérience la plus interactive fut la passionnante visite à Meudon avec Hélène Marraud.

Rodin_baiser

Dernier sujet, plus léger. Il y aurait une étude à faire, ou une nouvelle à écrire, sur « L’interactivité séductrice lors des cours d’été de l’Ecole du Louvre« . Peut-être Clarisse Duclos, en charge de ces cours (et lectrice fort expressive des textes littéraires illustrant les conférences d’Anne Pingeot), qui, m’ayant démasqué, s’en enquerrait auprès de moi, pourrait-elle en être le maître de mémoire ou le sponsor. Dans un univers aussi majoritairement féminin, où l’intérêt commun favorise les contacts, la situation s’est réchauffée de jour en jour. Les visites aux musées, le déplacement pour cause de travaux dans un nouvel amphithéâtre plus compact, aux sièges plus resserrés, et la bonne humeur générale finissent par venir à bout des timidités. Les approches sont parfois feutrées, voire banales (sur l’art, les cours, l’EDL), parfois plus directes («Anne Pingeot a parlé de la Piscine de Roubaix, je pensais justement y aller dimanche, voulez-vous que nous y allions ensemble ?»). Elles vont presque toujours dans le sens de l’âge (du plus âgé vers le plus jeune), mais pas dans le sens habituel du sexe, ou devrais-je dire, du genre : l’art et le nombre rendent audacieuses. Certes, une majorité est là pour Rodin et pour rien d’autre ; un petit nombre « passe le temps », mais une minorité semble bien avoir comme objectif de conjuguer esthétisme et découverte sur différents plans.

Les jeunes étrangères qui passent l’été à Paris, Mexicaines intenses, Italiennes pleines de curiosité, Japonaises aventureuses, tout en restant sur leur quant à soi, sont heureuses d’avoir des conseils, des incitations, voire des invites tant qu’elles ne sont pas trop appuyées. Leur fréquentation, leur proximité peuvent d’ailleurs servir de bouclier à l’homme innocent et honnête face aux assauts qu’il risquerait de subir de la part de femmes du monde à la Kauffmann (lire ici, en bas de page). N’ayant pas dissimulé l’agrément certain que je trouvais à la conversation fort intelligente d’une toute jeune femme aux traits évocateurs de l’Orpheline de Delacroix, qui a l’âge qu’avait Camille quand elle fit tourner la tête de Rodin, j’ai ainsi pu échapper à des avances que je trouvais un peu pressantes, et elle de même. Rassurez-vous, tout cela reste très soft et l’Ecole du Louvre n’est en rien devenu un lupanar.

J’espère que ces quelques chroniques (qui m’ont demandé un peu de travail nocturne, comme il se doit pour un étudiant) vous ont non seulement plu, mais aussi donné l’envie d’aller suivre un tel cours l’été prochain ou pendant l’année ; vous m’y retrouverez sans doute.

photo provenant de insecula.com

Rodin à l’Ecole du Louvre (5)

Rodin fut-il un précurseur ? Peu sur le plan plastique, beaucoup sur le plan conceptuel. C’est ce que je retiens de la conférence Rodin : une leçon à suivre ou à éviter de Catherine Chevillot ce matin.
Maillol
Après lui, les sculpteurs reviennent à un canon de beauté plus défini, moins heurté. Maillol (ci-contre La Méditerranée) en est l’archétype : sculpture lisse, moins modelée, sans accidents, où la lumière glisse sur la surface dépourvue d’aspérités, avec un parti pris géométrique, fait de formes simples, bien délimitées.
Les dos de Matisse (actuellement visibles dans Big Bang), de 1908 à 1930 représentent fort bien cette évolution, cette simplification des formes.
De ce point de vue, Rodin est l’aboutissement extrême du réalisme, pas le précurseur du cubisme. Mais en même temps, ses concepts de répétition, d’assemblage, sa réutilisation de fragments ou d’éléments allogènes, annoncent Brancusi (qui fut assistant de Rodin, et partit au bout de quelques semaines, en déclarant « Rien ne pousse à l’ombre des grands arbres ») ou Picasso.

Antoinette Le Normand-Romain, dans la dernière conférence sur la Donation de Rodin à l’Etat ou le Musée-école, revient sur ce sujet.
Rodin_giacometti
Bien que Giacometti n’ait jamais rencontré Rodin, c’est peut-être lui le plus « inspiré »: refus de l’anecdote, utilisation de mains, de pieds, de socles, de voiles. La descendance de l’Homme qui Marche de Rodin (marbre au fond sur la photo), c’est bien sûr celui de Giacometti (voyez les deux réunis dans une exposition à Barcelone l’an dernier), mais aussi Duchamp ou les futuristes italiens.

Et Madame Romain apporte une réponse à ma question sur la Porte de l’Enfer: Rodin n’avait montré au public que la version dépouillée, en plâtre en 1900, mais quelques mois avant sa mort, le premier conservateur du Musée Rodin a pris l’initiative d’assembler la porte, sans que Rodin, déjà très malade, ne puisse donner son avis. Quand le Baron Matsukata commande le premier bronze de la porte, Léonce Bénédicte n’hésite pas, c’est la version complète qu’il ordonne de fondre. A aucun moment, la question ne semble s’être posée de fondre la version dépouillée, en partie par commodité (pas de moule) et en partie, sans doute, par conformisme. Comme, légalement, on ne peut plus fondre qu’un seul original de la Porte (7 ont déjà été fondus, dont un pour Arno Breker, le sculpteur de Hitler), peut-être devrait-on lancer une initiative populaire et une souscription pour désormais fondre la Porte dans sa version dépouillée, épurée, plus conforme, semble-t-il, à la vision de Rodin.

Deux devoirs de fin de cours pour les passionnés :
– Quand Rodin s’est installé à l’Hôtel Biron, résidence d’artistes et actuel Musée Rodin, il a pu y croiser (outre Rilke, qui fut son secrétaire) Cocteau, Matisse et Isadora Duncan. Même si elle n’est pas avérée, imaginez leur rencontre.
– La société Cantor avait son siège au World Trade Center ; son fondateur, Mr. Cantor, avait été un grand collectionneur de Rodin. Une dizaine d’œuvres de Rodin ont disparu, dont un bronze des Trois Ombres. Imaginez le retour en enfer de ces trois ombres après le 11 septembre.

Le dernier après-midi du cours, visite du Musée Henri Bouchard, dont je vous vanterai les charmes dans un prochain billet.

photos provenant respectivement de insecula.com et du site du Musée Rodin

Rodin à l’Ecole du Louvre (4)

Rodin annonce-t-il l’art conceptuel ?
Antoinette Le Normand-Romain, conservatrice du Musée Rodin, s’offusquerait peut-être de cette question après sa conférence sur La figure partielle chez Rodin, mais, avant de vous récrier, considérez les quelques éléments qui suivent.
Rodin_eve
D’abord, contrairement à la philosophie du Salon pour qui incomplet veut dire inachevé, Rodin est un sculpteur de fragments. Pour lui, le fragment, main, jambe, pied, est plus signifiant que le tout ; il collectionne les « abattis » et les ré-assemble au gré de ses créations. On retrouve les jambes de l’un avec le torse de l’autre. Ces « fragments » ne sont d’ailleurs pas seulement des pieds ou des têtes : à une autre échelle, la Porte de l’Enfer est aussi une œuvre matrice composée de fragments, qu’il va réaliser et vendre séparément, du Penseur à Ugolin. A partir des années 90, il ré-emploie le travail fait précédemment. Il utilise aussi parfois des éléments externes qu’il combine avec ses propres statues (ci-dessous, Nu féminin debout dans un vase antique) : est-on très loin d’un collage ou de certaines sculptures de Picasso ?
Chez Rodin, le sujet importe peu, il n’y a souvent pas d’histoire à raconter : il est symptomatique que la majorité de ses œuvres ne reçoivent un titre qu’au moment d’être vendues.
Tout cela dénote une conception étonnamment moderne de la création.

Rodin_nu_vase

D’autre part, l’accident est un élément déterminant de son œuvre. Non seulement on y voit la trace du travail, raccords grossiers, coulures non effacées, mais surtout, Rodin n’hésite pas à présenter des statues abîmées, cassées, dont il manque des morceaux. La première est l’Homme au Nez cassé, dont tout l’arrière a disparu, l’ébauche en terre ayant gelé pendant un hiver rigoureux et Rodin ayant alors réalisé le plâtre tel quel : on s’offusque, on le refuse au Salon (qui vient pourtant d’accepter un Mercure d’Isidore-Hippolyte Drion, dont un bras a été cassé, mais le sculpteur est mort de froid, s’étant dépouillé de ses couvertures pour sauver sa statue du gel : Mourir pour l’art ?). Et Rodin se complaît dans l’exploitation de ces accidents : si un de ses assistants (Camille Claudel / Isabelle Adjani dans le film), cassant le phylactère des Trois Ombres, leur casse aussi les mains, il les laisse tels quels. Nombreuses sont ses statues sans tête, sans bras. Cette place laissée au hasard, à l’accident, au manque, nous étonne. On peut aussi y voir, je crois, un signe étonnant de modernité. Peut-on penser non seulement à Picasso, mais même à Pollock ?
De plus, de manière tout à fait délibérée, Rodin ne taille pas lui-même le marbre : il confie une esquisse, une ébauche à un des « praticiens » de son atelier, il lui laisse une certaine autonomie, il interagit avec lui au cours de la taille, l’œuvre évolue encore, reste ouverte et mouvante jusqu’au bout.
Non seulement il laisse ses modèles trouver la pose qui leur convient, souvent sans les diriger, mais quand il voit le ventre de son modèle pour la Grande Eve (ci-dessus) s’arrondir, il regarde cette grossesse comme un autre « accident », et laisse la statue telle quelle, avec un ventre mal fini, là où n’importe quel autre sculpteur de cette époque aurait complété la statue avec un autre modèle.

Une photo nous montre Rodin dans son atelier, en complet veston, les mains dans les poches, pendant que ses praticiens en blouse, s’affairent, taillent, sculptent, déplacent des marbres : à partir de 1900, Rodin conçoit, supervise (et encore, il est probable qu’il ne revoit pas lui-même tous les bronzes finis, mais délègue aussi cette tâche), mais ne se sert plus guère de ses mains : une caricature de l’époque montre des visiteurs au Salon : « C’est un beau Rodin ; de qui est-il ? » Est-on très loin d’un Morellet ou d’un Rutault, concepteurs d’œuvres qu’ils ne réalisent pas toujours eux-mêmes ? Mais ne proclamons pas trop vite Rodin ancêtre des artistes conceptuels : il me semble que, dans son cas, la logique de cette approche n’est pas esthétique, philosophique, mais plus simplement économique et pratique. Et quand Sacha Guitry vient le filmer dans son atelier pour « Ceux de chez nous », Rodin, devant la caméra, fait semblant de tailler. Néanmoins, …

Conférence suivante d’Antoinette Romain, clairement l’experte française de Rodin, sur Camille Claudel.
Rodin_claudel
Personnalité extraordinaire, amours conflictuels, fin tragique, tout pour faire une grande héroïne de livre et de film, une icône féminine. J’y souscris tout à fait, et n’ai pas grand-chose à ajouter sur ce plan.
Sculptrice très douée, taillant elle-même le marbre, aux œuvres expressives et inspirées : sans aucun doute.
Mais, à mes yeux, Camille Claudel, avec tout son talent, reste une artiste symboliste, marquée par le XIXème siècle. On ne retrouve pas chez elle les fulgurances modernes de Rodin, elle n’annonce pas, sur le plan artistique, le XXème siècle, alors que sa vie de femme libre et tragique est, au contraire, très « moderne ».
Comme après mon billet sur Frida Kahlo, je m’attends à quelques réactions de mes lecteurs (lectrices), n’hésitez pas.
Les œuvres de Camille Claudel habituellement présentées au Musée Rodin sont absentes pour 14 mois, dans une exposition à Québec, qui ira ensuite à Detroit, puis, sur une plus petite échelle, à Martigny.
Rodin_pleureuse
Enfin, visite guidée du Musée Rodin, trop rapide. Leur site montre des photos bien meilleures que les miennes, voici simplement une petite Pleureuse, cachée dans un recoin, rarement vue. Sachez qu’il y a aussi trois Van Gogh (dont le Père Tanguy), que pourtant Rodin n’aimait guère, un Renoir, un Manet,.. Mais il faut revisiter ce musée calmement, un jour de moindre affluence et de moindre chaleur, ou bien, la nuit

photos insecula.com, sauf la Pleureuse, photo de l’auteur

Rodin à l’Ecole du Louvre (3)

Autant certains des conférenciers de ce cours sont assez scolaires, autant Anne Pingeot semble, elle, animée d’un souffle historique et littéraire, peut-être moins didactique, mais autrement plus excitant. Nous avons eu droit ce matin à une conférence titrée « Qu’est-ce qu’une porte pour un sculpteur symboliste« , où elle a brillamment apporté un éclairage créatif sur la Porte de l’Enfer (et, de manière un peu moins fascinante sur quelques œuvres apparentées d’autres sculpteurs symbolistes).
Rodin_porte
La Porte de l’Enfer est un superbe exemple de la fécondation de la sculpture par la littérature. Le plâtre du Musée d’Orsay est placé au fond de la nef, de côté, au pied des escaliers géants qu’on voit par transparence dans le mur du fond, comme un symbole de la descente aux enfers, des différents cercles de la Divine Comédie. «Laissez toute espérance, vous qui entrez ici». C’était d’ailleurs le texte du phylactère que tenaient les Trois Ombres, avant que Rodin, allant vers un style plus dépouillé, ne l’enlève (et leurs mains avec).
Egalement à l’intersection de sculpture et littérature, autour du baiser de Paolo et Francesca, cette sublime ellipse de leur coup de foudre: «Ce jour là, nous ne lûmes pas plus avant».
Ma question, qui est restée sans réponse, est pourquoi la version reconnue de la Porte de l’Enfer, celle qui est à Orsay (en plâtre) et à l’Hôtel de Biron (en bronze) est-elle la version complète, alors que la seule version que Rodin ait montré au public (en 1900) est la version la plus dépouillée (vue hier à Meudon). Qui prit cette décision ? Y eut-il débat ?

Ensuite, conférence de Catherine Chevillot : Rodin et le monument public : la sculpture presque par terre.Rodin_balzac
A part quelques bustes (dont un hyper-classique d’Alembert à l’Hôtel de Ville de Paris), Rodin a eu dix commandes publiques, dont seules cinq furent acceptées et réalisées de son vivant (Bourgeois de Calais, Bastien-Lepage, Claude Lorrain, Sarmiento et Victor Hugo). Or, au XIXème siècle, la commande publique monumentale est LE critère de succès d’un sculpteur. Rodin se plie à cette logique, mais, en même temps, souvent ne se résout pas à faire des œuvres « acceptables » par les commanditaires : son Balzac en est l’exemple typique, œuvre trop forte pour les petits esprits de la Société des Gens de Lettres, effrayés par le non-réalisme et la puissance de cette statue.
Rodin, visionnaire loin du vérisme, veut représenter la vérité intérieure, sans les apparences et les attributs, sans narration ni anecdote. Il souhaite aussi mettre en scène ses statues, dans un souci quasi-architectural, soit qu’elles soient très proches, à hauteur d’homme, soit au contraire qu’elles se détachent sur le ciel (ce qui n’est pas le cas, par exemple du Balzac boulevard Raspail, ci-dessus, que, volontairement, je vous montre perdu dans les feuillages).

photos provenant du site http://www.insecula.com

Rodin à l’Ecole du Louvre (2)

Deuxième jour de cours, assez dense. Surtout grâce à la visite d’atelier, des liens commencent à se former, on se parle, on partage une voiture au retour de Meudon. Les deux groupes se mélangent peu, d’un côté les 18-25 ans étudiants, souvent étrangers (du Japon, d’Italie, d’Espagne), complétant leurs études dans leur pays ou voulant découvrir ce qu’est l’Ecole du Louvre pour leurs études futures ; de l’autre côté les 60 ans et plus, visiblement adeptes de ce genre de conférences, dont un bon nombre ont fait tout le cycle d’été, en général beaucoup plus studieux, appliqués, posant des questions. Je navigue avec plaisir entre les deux groupes. Apparemment personne ne lit lemonde.fr, ou en tout cas, personne n’est venu me parler de mon blog.

Première conférence de Claire Barbillon : Le canon et la problématique du corps.
Rodin_aphroditeRodin_belle_heaulmiereClaire Barbillon nous donne une rapide revue du canon, norme, formule conduisant au beau, au fil des siècles, de l’Egypte ancienne à Vinci au XVIIIème siècle. Pour Rodin, il faut, pour former les artistes, s’inspirer de la nature et de l’anatomie plutôt que des antiques, mais l’artiste accompli, lui, est fasciné par l’harmonie de la statuaire antique.
Rodin oscille entre Phidias et Michel-Ange. Le modèle de Phidias (et du Titien) représente l’idéal antique d’une divine sérénité, le beau idéal, le nu appolinien, sans imperfection, équilibré et harmonieux. Michel-Ange, lui, comme Rubens, est l’emblème de l’expression des sentiments, du nu dionysiaque, charnel, désirable, violent et contraint. Rodin penche davantage du côté de l’expressionnisme, il écrit : "plus un être est laid dans la nature, plus il est beau dans l’art"(voir ci-dessus Celle qui Fut la Belle Heaulmière) ; ce qui est laid dans l’art, c’est l’inexpressif, le joli, le faux.
En fait, Rodin est très ambigu, dialectique, ses théories sur le beau sont assez différentes de sa pratique.

Deuxième conférence d’Edouard Papet : La mission de l’art n’est pas de copier la nature : le moulage sur nature au XIXème siècle.
Rodin_abattisEdouard Papet nous fait un exposé très complet sur le moulage d’après les corps vivants (à la différence des masques mortuaires) sa technique et son histoire. Ces moulages sont utilisés à des fins médicales, ethnologiques (la Vénus hottentote), et bien sûr artistiques. Ils encouragent l’habitude le fragmentation du corps en éléments, en "abattis" (ci-contre), ils favorisent le mimétisme, l’illusionnisme, voire le fétichisme, mais la règle est alors qu’ils doivent rester des documents de travail. Quand Rodin est soupçonné d’avoir inclus un tel moulage dans l’Age d’airain, c’est un scandale dont il doit se défendre.
Le débat sur le moulage et la sculpture annonce celui sur la photo et la peinture, quelques décennies plus tard : l’art se défend de son mieux contre ces nouvelles techniques qui risquent de le réduire au pur réalisme, à la simple représentation.
Deux moulages particulièrement émouvants, dont je n’ai malheureusement pas de photo :
– à Meudon, on peut voir un moulage post-mortem de la main de Rodin, qui tient une des dernières statuettes en terre qu’il ait réalisée ;
– Madame Sabatier, modèle vraisemblable de la Femme Piquée par un Serpent évoquée hier, a fait l’objet d’un moulage, encore plus érotique (si c’est possible) que la statue ; à la hauteur de la poitrine, on voit de petites fissures dans le plâtre du moulage : le modèle, censé rester immobile, a dû respirer au moment où le plâtre prenait. Trace éternelle du souffle d’un instant.
Pour les passionnés : faire un moulage de votre visage est, semble-t-il, assez pénible. Vous pouvez acheter des éditions de moulage chez Lorenzi, 19 rue Racine, à Paris.
Rodin_porte1Visite l’après-midi à l’atelier de Rodin à Meudon (qui n’est hélas ouvert au public que d’Avril à Septembre, du vendredi au dimanche, l’après-midi). Une conservatrice passionnante, Hélène Marraud, nous montre la collection des plâtres de Rodin. Les plâtres sont l’expression la plus proche du premier jet de l’artiste, on y voit ses recherches et ses hésitations. Il est frappant qu’après 1900 (et le succès de son pavillon à l’Exposition Universelle), Rodin ne crée plus, ou plus exactement, il réutilise ce qu’il a déjà créé, changeant d’échelle, modifiant l’orientation, la verticalité, combinant les jambes de l’un avec le torse de l’autre, comme un immense jeu de construction à partir des éléments déjà créés, parfois avec des raccords grossiers, souvent en ne cachant pas la trace de son travail (par exemple les traces de couture des deux parties du moule de La Douleur).
Rodin_dfenseRodin_robe_balzacParmi les plâtres les plus remarquables :
– Ci-dessus, la porte de l’Enfer telle qu’il l’a montrée en 1900, sans les figures, dépouillée, épurée, réduite (alors que le plâtre du Musée d’Orsay et le bronze du Musée Rodin représentent la version complète);
– A gauche, le monument pour la Défense de Paris, refusé (car trop révolutionnaire) pour ce qui est aujourd’hui l’esplanade de la Défense et replacé (en 1920) à Verdun, où le soldat mourant évoque la piéta de Michel Ange;
– A droite, le moulage de la robe de chambre de Balzac, vide, en attente du corps de l’écrivain;
– et, dans la maison même, la splendide Aphrodite classique représentée au début de ce billet, destinée à Pierre Louÿs.

photos de l’auteur, sauf La Belle Heaulmière : http://www.artchive.com

Rodin à l’Ecole du Louvre (1)

Cours d’été d’une semaine sur Rodin, père des passions et des larmes, à l’Ecole du Louvre.
Les cours de l’Ecole du Louvre rassemblent aussi bien des « vrais » étudiants voulant devenir conservateurs ou professionnels de l’art, que des « amateurs », plus âgés, dames du monde ou préretraités, qui souhaitent parfaire leurs connaissances en histoire de l’art. N’appartenant pas à la deuxième catégorie (ni préretraité, ni dame du monde), mais séduit par l’idée d’aller, une fois oisif, compléter mon éducation artistique, je me suis dit que, comme je dois de toute manière être à Paris cette semaine, un cours à l’essai cet été serait un bon test de la réalité de mon désir et de sa solidité.

Donc, Rodin : cours tous les matins de 9h30 à 13h, et visite de musées trois après-midis.

Ce matin, dans l’amphithéâtre Cézanne, environ 80 personnes, essentiellement des femmes, pas plus d’une douzaine d’hommes ; quelques étrangers. Les âges varient de 25 à 70 ans, pratiquement personne ne se connaît, la réserve, voire la timidité règnent, peu de contacts à l’interclasse devant la machine à café. Ambiance studieuse, chacun prend des notes, beaucoup de notes : quand je remplis une page, ma voisine, elle, en écrit 4 ou 5. Le professeur parle et les élèves recueillent la manne professorale ; c’est très bien, mais, après mon passage dans une université américaine (comme étudiant et comme enseignant, il y a 30 ans), j’avais un peu oublié cette approche pédagogique. Pratiquement pas de questions, pas de discussion.

En amont de Rodin, premier cours de Anne Pingeot sur les « scandales sculptés » du Musée d’Orsay. Madame Pingeot (bien sûr, tout le monde pense à Mazarine et à son père, mais personne ne dit rien) est une grande spécialiste de la sculpture du XIXème siècle. Son exposé est vif, s’appuie sur de nombreuses références historiques et littéraires, elle donne des coups de projecteur éclairant telle ou telle œuvre, plus qu’une vision d’ensemble. Elle permet de comprendre à quel point la commande publique était importante pour un sculpteur de cette époque, et, donc, pourquoi une œuvre scandaleuse, trop audacieuse était osée, risquée : oeuvres refusées aux salons ou par la commission d’achat des musées. Ceci dit, si l’Etat est passé à côté de la peinture au XIXème (et en particulier de l’impressionnisme), il a, par contre, plutôt bien accompagné la modernité en sculpture.
Clesinger
Le scandale peut venir du sujet, trop ouvertement sexuel (Femme mordue par un serpent de Clésinger, ou La Danse de Carpeaux) ou politique (Ratapoil de Daumier), mais aussi trop grand réalisme (cellulite de la Femme de Clésinger, chair du dos d’une des figures de La Danse dans laquelle s’enfoncent sensuellement les doigts d’un autre personnage).

Parmi toutes les directions qu’Anne Pingeot nous évoque, quelques pépites à découvrir plus avant, un jour :
– le moulage d’après le corps comme interdit absolu, dénotant le mauvais sculpteur (Rodin dût s’en défendre pour l’Age d’Airain);
– le plâtre comme état de l’œuvre le plus près de la volonté initiale du sculpteur, de son travail initial en terre ou en cire, plus que le bronze;
– dire plus en enlevant, en dépouillant, travailler plus concentré, un des grands talents de Rodin;
– diverses tentatives de reconstitution du tutu de La Danseuse de 14 Ans de Degas, seule sculpture qu’il ait accepté de montrer;
– et le magnifique Age Mûr de Camille Claudel, où la jeune femme éplorée est abandonnée par l’homme mûr, emblème de leur relation, et que, pour cette raison, Rodin empêcha longtemps qu’on coule dans le bronze.

Le deuxième cours était d’Emmanuelle Heran sur la formation de Rodin. L’artiste ne naît pas ex nihilo, il se définit aussi par sa formation, même anecdotique : à l’âge de cinq ans, Rodin, voyant sa mère cuisiner des beignets de Chandeleur, malaxe des bonshommes en pâte qu’elle fait cuire et qui ressortent de la poêle tordus, torsadés.
Rodin_eymard
Son éducation artistique se fait à la Petite Ecole, ancêtre des Arts Décos, où la pédagogie est assez novatrice (dessin de mémoire, dessin en plein air).

En 1863 (il a alors 23 ans) Rodin connaît une crise grave : refusé aux Beaux-Arts, son père victime d’une paranoïa aiguë, sa sœur entrée dans les ordres et mourant peu après, il passe par une crise mystique, religieuse. Le buste du Père Eymard, prêtre au visage tourmenté, hanté par l’esprit, qui le conseille alors, est une oeuvre déjà étonnante, prémonitoire. Voyez l’intensité de ce visage, il annonce déjà les grands Rodin de la maturité.

La formation de Rodin s’appuie sur les grands dogmes en vigueur à l’époque : copier d’après des plâtres ou des gravures, copier dans les musées, sans relâche, et faire le voyage d’Italie, où il découvre Michel-Ange. Il passe alors du modèle antique, frontal, droit, à un modèle Renaissance, contourné, torsadé, jambe pliée, torsion. Il prépare des collections d’ « abattis », bras, mains, torses prêts à être réemployés. Michel_angeRodin_age_airain
A l’Esclave Mourant de Michel-Ange répond la figure inversée du Vaincu (renommé plus tard L’Age d’Airain), considéré comme une des premières (1876) sculptures « de qualité » de Rodin, où il s’affirme enfin, après des années de travaux un peu trop faciles, un peu mièvres, en particulier dans l’atelier de Carrier-Belleuse. Toute sa vie, Rodin apprend, conserve, collectionne, collationne, mais jamais il ne pastiche, ni n’est servile, il trouve sa propre voie.

photos provenant du site insecula.com

Identité et Nomadisme

Reproduction de l’œuvre de Chen Zhen retirée à titre conservatoire, suite à une demande du représentant des ayants-droit.

Débat qui transcende l’art : citoyens du monde, briseurs de frontières, « heimatlos« , étrangers partout, où sont nos racines, d’où sommes nous ? Qui est l’étranger ? Comment éviter d’être un des « imbéciles heureux qui sont nés quelque part » (Georges Brassens, voir ici), tout en n’étant pas totalement déraciné ? Le nomade a-t-il un sens plus fort de son identité que le résident ? L’artiste est-il toujours un nomade, même immobile ?
Les hasards d’un week-end en Toscane ont mené mes pas au Palazzo delle Papesse à Sienne, centre d’art contemporain dont les expositions passées semblent avoir été de grande qualité (dont Pudique, Publique, d’Annette Messager : je ne peux, hélas, jouir que du catalogue).
Dans la ville du Palio (voir aussi ici) et des Contrade, où chacun appartient à une paroisse, où nul n’a d’existence sociale en dehors des Contrade, et où cette structure sociale apporte sécurité et conformisme, où l’identité est collective et le nomadisme exclusion, cette exposition résonne étrangement.

A l’entrée du Palais, on est accueilli par d’énormes ballots de jute colorés, suspendus au plafond, qu’on touche, entre lesquels on navigue (manquent les odeurs, hélas). Medhat Shafik, Egyptien vivant en Italie, y dépeint l’errance, les provisions du voyageur, mais aussi l’échange, le commerce.
Sienne_soh
L’entrée de l’exposition Identité et Nomadisme est, elle, marquée par un portique en soie d’un bleu diaphane tendue sur des armatures, image en trois dimensions de l’entrée de la maison familiale du Coréen Do-Ho Suh. C’est une œuvre qui étonne, qui fait reculer de prime abord, puis dont on saisit la magie au milieu des fastes de l’architecture siennoise. Comme les prêtres voyageant avec un autel portatif pour dire la messe où qu’ils soient, Suh le nomade, qui vit à New-York, transporte avec lui l’équivalent coréen de ses dieux lares, son portique portatif, pour contrer son déracinement.
Une des pièces les plus minimales et les plus denses de cette exposition est Staying on the move (titre emblématique) de l’Albanais du Kosovo Sislej Xhafa. Pour cette exposition, ce dernier a fait emballer et expédier par un déménageur le contenu de son appartement new-yorkais au musée de Sienne : au milieu d’un fatras de cartons et de caisses, vous devinez une vieille armoire sculptée qui vient sans doute du pays qu’il a dû fuir, mais rien n’accroche l’œil (par contre, à mes yeux, la photo de lui en footballeur portant un drapeau albanais affaiblit l’installation) : inanité des possessions matérielles, faiblesse des attaches, mobilité entre les continents.
Les meilleures pièces dans cette exposition viennent d’artistes pour qui le nomadisme, le déracinement, l’émigration sont la colonne vertébrale de leur vie.

Chen Zhen, migrant aujourd’hui parti derrière les nuages, montre 10 pièces d’Un Village Sans Frontières, œuvre éclatée: chaque pièce est une chaise d’enfant, venue de pays lointains et décorée de bougies colorées dont l’agencement représente une petite maison. Elles occupent les quatre points cardinaux de la salle. Aujourd’hui, les 99 chaises de Chen Zhen sont chez des collectionneurs dans le monde entier, on en regroupe quelques-unes ici et là, au hasard d’expositions, comme une famille éclatée dont les membres ne peuvent jamais être tous ensemble.
On retrouve aussi Zineb Sedira, Algérienne vivant à Londres (et vue à Africa Remix) avec une vidéo, Mother Tongue, regroupant trois générations (sa mère, elle-même et sa fille), trois langues (Arabe, Français et Anglais), trois pays, trois cultures : l’artiste y est médiatrice entre sa mère et sa fille, incapables de communiquer entre elles par les mots.
Mais des artistes plus sédentaires savent aussi fort bien parler du nomadisme. Les vidéos de Chantal Akerman sur la frontière américano-mexicaine (From the Other Side) sont bien connues. Sienne_kentridge

William Kentridge
montre une tapisserie représentant une carte d’Espagne sur laquelle deux énormes silhouettes noires avancent, l’un, chargé de bagages poussant un vélo, l’autre (une femme?) le suivant, portant une chaise, élément a minima du foyer. Entre leurs jambes apparaît le détroit de Gibraltar, lieu de tous les passages.
D’autres pièces parlent davantage de l’identité, de sa construction, comme la vidéo Why I Never Became a Dancer, de Tracey Emin racontant son adolescence à Margate et dansant frénétiquement pour nous, 20 ans après.
L’Espagnole Nuria Carrasco nous livre une vidéo hilarante et dérangeante Quien Eres ?, où, caméra au poing, elle sonne chez des gens, filme et ne dit rien, jusqu’à ce qu’on lui ferme la porte au nez. Elle nous montre des réactions de surprise, de peur (des enfants, des immigrés), de grogne, mais aussi des ouvertures, des réactions flattées (c’est pour la télé ?), quelques efforts pour engager la conversation, des invites : on imagine Nuria Carrasco jeune et jolie ; la vidéo aurait pu être assez différente avec un immigré patibulaire derrière la caméra.
Sienne_al_ani
Enfin une superbe vidéo de l’Irakienne vivant à Londres Jananne Al-Ani, dont on ne voit pas le visage, seulement la longue chevelure noire, luxuriante et ses deux mains qui la brossent sans fin. Bien sûr, cette vidéo évoque l’Islam, l’interdit de représentation du visage et le voile, mais c’est, à mes yeux, surtout une évocation érotique, obsessive, rituelle ; on pense à Marie Madeleine, mais aussi au titre du livre de Melissa P.
Cette exposition est visible à Sienne jusqu’au 25 Septembre ; il est bien dommage qu’elle ne voyage pas ensuite.
En sortant, allez au Palazzo Squarcialupi pour visiter l’exposition Hugo Pratt (jusqu’au 2 Octobre). Mon compagnon de voyage, plus féru que moi de l’univers de Corto Maltese (et plus expert) devrait en parler bientôt, j’espère ; l’exposition est attendue à Paris cet automne. A l’entrée, dans une interview, Hugo Pratt dit: « Je suis un bâtard de pure race. C’est bien d’être bâtard, d’appartenir à plusieurs races, à plusieurs cultures ». Quelle meilleure passerelle entre ces deux univers?

photos provenant du catalogue de l’expo
Pardonnez la rareté des nouveaux billets sur ce blog depuis 10 jours, mais, après un long week-end et un voyage impromptu en Californie, les nouveaux attentats à Londres, dont l’un (Warren Street) de nouveau tout près du bureau, ont quelque peu désorganisé l’emploi du temps de l’auteur. Le rythme de parution devrait être plus régulier pour les 15 prochains jours au moins. Merci.

Montcuq

J’avais négligé de vous informer qu’en Mai dernier, Fraise des Bois m’avait invité à rejoindre son blogouvernement, aux côtés de nombre de blogueurs éminents.
Zoe_walker
Ce blogouvernement se réunira lors d’un séminaire estival le 18 Août à Montcuq près de Cahors, et ce séminaire est bien sûr ouvert à tous. Comment passer du réel au virtuel: voir l’annonce ici.
Les ministres faisant leur travail, vous trouverez informations détaillées sur Montcuq ici, possibilités d’hébergement sur place ici, et autres informations exhaustives ici.
Alors, espérant pouvoir y aller, pour n’être pas en reste, j’ai cherché des prétextes artistiques, rares à Montcuq même, mais abondants aux alentours:

Arques_boutet

  • à Cahors au Musée Henri Martin
  • aux Arques au Musée Zadkine (qui y vécut).
    Ces deux musées et le Musée Rignault à Saint-Cirq-Lapopie (un peu plus loin) présentent aussi cet été la collection du galeriste Jean Pollak. Ca semble valoir le détour !

    Arques_cache
    Et surtout le village des Arques, à 30 km de Montcuq, abrite des résidences d’artistes aux travaux fort attirants, autour du thème du territoire et du vivant:

  • Canon d’amour de Zoë Walker
  • Sanglier enterré, « embitumé » d’Antoine Boutet
  • Vêtement-sculpture de Véronique Boudier
    Le blogouvernement et sa cohorte pourraient bien s’y déplacer.

    PS: Le billet suivant évoque les « imbéciles heureux » de Brassens. Justement:
    Maudits soient ces enfants de leur mère patrie
    Empalés une fois pour toutes sur leur clocher,
    Qui vous montrent leurs tours, leurs musées, leur mairie,
    Vous font voir du pays natal jusqu’à loucher.
    Qu’ils sortent de Paris, ou de Rome, ou de Sète,
    Ou du diable vauvert ou bien de Zanzibar,
    Ou même de Montcuq, ils s’en flattent, mazette,
    Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part.