Sommaire de Juillet 2006

20 billets écrits ce mois-ci.

1185 visiteurs uniques quotidiens en moyenne ce mois.

L’expression la plus fréquemment utilisée dans les moteurs de recherche pour venir ici était, ce mois-ci, de nouveau, Bettina Rheims (??).

1er Juillet : Sur le Pont des Arts (Francis Gazeau)
3 Juillet : Le Grand Sommeil (Claude Lévêque)
4 Juillet : Paysage ? (Thibaut Cuisset)
5 Juillet : Brian Jungen
6 Juillet : La chute (Bas Jan Ader)
7 Juillet : Le bleu et le rouge
8 Juillet : Au Carmel (Lili Almog)
9 Juillet : Bêtes de plage (Theo Jansen)
10 Juillet : Le mieux, c’est le papier peint (Thomas Demand)
11 Juillet : L’Amiral Nelson, la Vénus de Milo et Alison Lapper (Marc Quinn)
13 Juillet : Mounir Fatmi
23 Juillet : Pluie d’été (Sophie Ristelhueber)
26 Juillet : Impressions d’Arles
27 Juillet : La Demeure du Chaos
28 Juillet : Géricault
29 Juillet : Kader Attia
30 Juillet : Corbu
30 Juillet : Par Toutatis !
31 juillet : Maillol
31 juillet : Les fous catalans
31 juillet : L’homme aux mille masques

Les fous catalans

Sf1Qu’ont donc de spécial ce pays, cette langue pour avoir produit, en plus de ses princes et de ses bourgeois, un contingent disproportionné de génies proches de la folie ? Quelle autre culture au monde, quel autre petit peuple ont-ils engendré en moins d’un siècle deux personnages comme Dali et Gaudi, deux révolutionnaires briseurs de mythes et de traditions ?

Dali, je ne sais l’observer qu’avec un peu de distance. La visite de son musée à Figueres est théâtrale et réjouissante, mais c’est en lisant Catherine Millet que je commence à apprécier ce peintre, à aller au delà des apparences.

Mais Gaudi, je m’en délecte. La Sagrada Familia est un temple expiatoire, qui ne peut donc être financé que par les dons des fidèles (et des visiteurs). Ni subvention de la ville ou de la Région, ni abondement du diocèse ou du Vatican : une éthique pure et dure, qui fait que, après 125 ans, l’église est loin d’être finie. Chantier en cours, qui nous rappelle nos péchés, notre peu de foi, notre matérialisme, comme un reproche perpétuel. La_pedrerajpeg C’est un bâtiment phare, emblématique, chargé de symboles; on y passe des heures à regarder chaque détail, chaque colonne en forme d’arbre, chaque chapiteau, chaque gargouille; et puis on recule et on voit l’ensemble. Une façade célèbre la vie, la nature et la naissance, une autre montre la Passion, la douleur et la mort; une troisième est dédiée à la Vierge et la plus belle, celle de la gloire décrira la marche des hommes vers la vie éternelle.

L’homme aux mille masques

Au Musée Barbier-Mueller de Barcelone, jusqu’au 3 Septembre.

En face du Musée Picasso (très instructif pour les jeunes années, moins représentatif que celui de Paris pour la maturité de l’artiste, mais hébergeant jusqu’au 15 Octobre une partie de la collection du Musée d’Antibes, actuellement fermé), en face, donc, l’antenne barcelonnaise de cette excellente collection genevoise de masques, dont on avait pu voir les joyaux à Paris il y a un an, est d’ordinaire plutôt dédiée à l’art pré-colombien.

Mais elle montre actuellement une petite exposition très sobre, remarquablement présentée et éclairée, sur l’influence des arts premiers, et en particulier des masques, sur Picasso. Au delà des généralités habituelles, c’est une vraie étude stylistique (et parfois historique) qui est présentée ici. Elle présente côte à côte et met en rapport des oeuvres de Picasso de 1906 à 1971, et des masques de diverses origines présentant des similitudes stylistiques, mais pas nécessairement une inspiration directe.

J’ai en particulier découvert l’importance de l’art ibérique, qui, autant que l’art nègre, a influencé les Demoiselles d’Avignon. Voici, côte à côte, une tête en pierre ibérique du IVème siècle avant J.-C., volée au Louvre en 1907 par le secrétaire d’Apollinaire, Géry Piéret, qui la revendit à Picasso, et une tête en bois sculptée en 1907 par Picasso : la ressemblance des mèches de cheveux, des yeux, de l’oreille est frappante.

J’y ai appris que Derain fut l’initiateur de cette ouverture aux arts primitifs : ayant visité en mars 1906 le British Museum, il en sort émerveillé par « l’art nègre » et les ouvertures qu’il y voit (« l’expression n’est pas dans l’objet, mais dans le moyen »). Il l’écrit à Matisse, à Vlaminck, puis entraîne Picasso au Musée du Trocadéro au printemps 1907, alors que celui-ci est en train de travailler sur les Demoiselles d’Avignon : il y découvrit les arts africains et océaniens, quelques mois après son contact avec l’art ibérique.

Dans le tableau, les trois femmes de gauche montrent cette même influence ibérique, alors que les deux femmes de droite, aux formes plus brutales, plus agressives, ont, elles, une influence africaine beaucoup plus marquée : nez en « quart de brie », ombres-scarifications sur la joue.

A voir aussi à Barcelone cet été, la collection d’art médiéval (surtout roman) du Musée d’Art de Catalogne, au Palais National (mais il faut grimper en haut de la colline de Montjuich dans la fournaise), et, en bas, Henry Moore et Joanna Vasconcelos au Caixa Forum.

Moralles Enfin, au MACBA, à côté de la rétrospective très acide de Peter Friedl (jusqu’au 3 Septembre) (et de deux autres expos moins intéressantes, l’une, déjà vue à Cologne, sur George Brecht, très daté, et l’autre sur les pochettes de disques), j’ai admiré, dans la collection permanente le travail sériel de Hans-Peter Feldmann ( 100 ans, Tous les habits d’une femme) et les photos anthropo-florales de Fina Miralles (ci-contre, Recouvrement du corps avec de la paille): une femme en paille pour l’homme aux 1000 masques…

Photo de l’affiche de l’exposition Picasso et les masques enlevée le 8 mai 2007 suite à la demande des ayants-droit du photographe originel Edward Quinn.

Les reproductions d’oeuvres de Picasso ont également été enlevées.

Maillol

Reproductions des œuvres retirées à titre conservatoire, suite à une demande de l’ADAGP représentant les ayants-droit de l’artiste.  Il faut quitter la fraîcheur du bord de mer, s’enfoncer dans un vallon, imaginer Dina Vierny faisant quotidiennement ce trajet à pied pendant la guerre, arriver enfin, échapper à la fournaise, descendre quelques marches. Il est enterré là, dans sa métairie, son refuge loin du monde, son ermitage quand il était las du tumulte de sa maison rose à Banyuls. Sur sa tombe, La Méditerranée, titre ambigu, donné plus tard à cette statue pour laquelle sa jeune femme posa, elle dont il disait « Un jour, j’ai soulevé sa chemise et j’ai trouvé du marbre ». Il n’y a personne, tout est si calme, si antique.

A l’intérieur, un petit musée, quelques oeuvres, comme une chapelle sans commune mesure avec le temple parisien que Dina Vierny lui a bâti.

Par Toutatis !

Au Musée gallo-romain de Fourvière, à Lyon, jusqu’au 7 Janvier.

De la religion gauloise, on ne sait en général guère plus que ce qu’on a lu chez Astérix : pas faux, mais un peu limité. De cette visite, on apprend qu’en effet ils aimaient les banquets, dont la finalité était rituelle, qu’en effet ils avaient peur que le ciel leur tombe sur la tête, car ils avaient des connaissances avancées en astronomie, et toute une cosmogonie, vision d’un monde en constante rotation et qui un jour serait anéanti. On apprend qu’ils révéraient les chênes, sur lesquels le gui était un signe du divin.

Pendeloque_vasseny Il leur était interdit de mettre le savoir religieux par écrit, la tradition devait se transmettre oralement, et la représentation des dieux ne se faisait le plus souvent que dans des matières précaires, décomposables : nous avons très peu d’images de leurs dieux (ci-contre Lug, le dieu-lyre, sur un pendentif trouvé dans une tombe de femme à Vasseny), et ce que nous savons d’eux vient pour l’essentiel d’auteurs romains.

Au delà de la beauté des objets présentés ici, je me prenais à rêver à cette autre racine de notre culture, moins lumineuse que la gréco-latine, enfouie plus profondément en nous, mais qui mériterait qu’on explore, à côté d’Oedipe, l’influence de Toutatis sur nos psychés contemporaines : proximité de la nature, cataclysme de fin du monde, oralité, dieux dont l’esprit survit mais la matière est mortelle,…

Corbu

 Couvent de La Tourette, à Eveux sur l’Arbresle, près de Lyon.

Reproductions des œuvres retirées à titre conservatoire, suite à une demande de l’ADAGP représentant les ayants-droit. Je n’ai pas de compétence particulière en architecture, ni de culture approfondie en la matière, mais, visitant ce couvent de Le Corbusier (où je me suis souvenu avoir fait une retraite adolescent), j’en suis ressorti avec des opinions très confuses.

D’un côté, je suis plein d’admiration pour le talent, la vision de cet homme, sa capacité à insuffler de l’esprit au béton, son aptitude à dépouiller, à réduire à l’essentiel, à tout remettre à taille humaine. La première photo montre la crypte de l’église, la beauté simple de ces formes colorées.  La fenêtre d’une cellule dans la seconde cadre le paysage comme un tableau.

Mais j’en suis reparti d’abord atterré par le caractère peu pratique du bâtiment, mal construit, mal isolé, mal commode. Pour Le Corbusier, c’étaient là des détails bassement matériels qui ne devaient pas interférer avec sa vision de la beauté. Il a même tenté d’interdire tout symbole religieux, tout crucifix, toute statue dans le couvent, car contraires à son esthétique ! Et, réfléchissant à ses unités d’habitation, aujourd’hui quasiment désertées, on ressent encore plus son caractère dogmatique, totalitaire, voulant imposer aux gens des manières de vivre. Dans un des documents achetés au couvent, je lis cette citation de Roland Castro : « Le Corbusier est un mauvais urbaniste, un urbaniste qui ne comprend rien à la ville. S’il est indéniablement un immense artiste et un grand architecte, sa pensée est catastrophique. » Un de ses projets était de raser toute la rive droite de Paris pour y construire des gratte-ciels et des autoroutes. Il a engendré les cités dortoirs des années 60 et la kirielle de problèmes sociaux qui en a résulté.

Je discutais avec les étudiantes en architecture qui assuraient avec talent les visites guidées au couvent : dans leurs écoles, aujourd’hui encore, on ne critique pas Corbu, on ne relève pas ses erreurs et on adule son talent. Architecture et société, un mélange bien délicat.

Photos de Jacqueline Salmon (FLC SPADEM) d’après cartes postales.

Kader Attia

Au Musée d’Art Contemporain de Lyon, jusqu’au 13 Août.

Une seule oeuvre de Kader Attia peut induire des réactions allant de la jubilation à l’énervement, de l’éclat de rire à la honte, de l’émerveillement à l’indignation. Alors, imaginez, huit installations au même étage, un concentré trop intense, d’où vous ressortez un peu groggy, la mâchoire ankylosée, l’oeil exorbité.

Attia06Tout n’est pas excellent (la vidéo Marie-Thérèse ou le mythe du cargo est, à mon goût, un peu lourde), et tout n’est pas original : le Wall Painting à l’entrée est une variation des précédents, les caissons lumineux vandalisés ont déjà été vus souvent;  le très beau Moucharabieh fait de menottes policières entrelacées fait écho à son installation de matraques pour Notre Histoire. Quant aux araignées en baleines de parapluie (ci-contre), il y en a tant, plus d’une centaine, que ça en devient oppressant.

Attia03 Kader Attia est toujours excellent quand il détourne, quand, partant d’objets ou de concepts quotidiens, il leur insuffle de l’irrévérence, il en fait quelque chose de révolutionnaire, devant lequel le spectateur ne sait plus s’il doit rire ou pleurer, tant il est estomaqué. Ce pouvoir de surprise, de subversion en fait un digne enfant de Dada, avec une posture de dérision plus moderne, plus politique. Dans une pièce, Fridges, 150 vieux réfrigérateurs de toutes tailles composent un paysage urbain, une cité de banlieue, son Sarcelles natal. trois fois rien, à peine l’indication de rangées de fenêtres peintes sur les frigos, et vous voilà littéralement soulevés, sans voix, sans souffle.

Kader_attiaJ’ai beaucoup aimé cette porte coulissante avec ces couteaux qui menacent de vous déchiqueter à chaque passage: cauchemar, jeu vidéo, dents de la mer. La porte s’ouvre automatiquement à votre passage, le mécanisme est bien réglé, vous en êtes quitte pour un frisson. J’en ai rêvé la nuit suivante; quel artiste peut encore vous faire rêver (cauchemarder, en fait) aujourd’hui ?

Enfin l’installation The Loop, avec DJ pendu par le fil de son micro à une sphère à facettes de discothèque, Attia01_1derviche tourneur et break dancers cependant que le nom de Dieu est interminablement répété sur un disque rayé me semble, au delà de la réflexion sur appartenance et identité, être une oeuvre tendant vers le mystique, le religieux. Tu ne proféreras pas le nom du Seigneur en vain, disent les uns, cependant que d’autres parviennent à la transe en s’enivrant de la musique de Son Nom jusqu’à l’extase.

Après Lyon, cette expo va à Grenoble, au Magasin, du 15 Octobre au 7 Janvier (un catalogue sera alors publié). Par ailleurs, j’ai aussi pu voir cet été quelques oeuvres de Kader Attia à Zurich chez de Pury & Luxembourg, dans l’expo Take a Walk on the Wild Side, avec Abdessemed, Delvoye et quelques autres (Jérôme Sans en est le commissaire).

Le musée lyonnais présente aussi une rétrospective assez complète de Bettina Rheims (assez similaire à celle de Bruxelles) et, plus intéressant, un ré-accrochage de la Composition pour violons et voix masculines de John Baldessari, également jusqu’au 13 Août. 

Photos 1 & 2 provenant du site du Magasin; photo 3 de l’auteur; photo 4 provenant du site du Palais de Tokyo.

Géricault

Au Musée des Beaux-Arts de Lyon, jusqu’au 31 juillet.

Gericault__vieille_italienne La vie de Géricault ne fut guère lisse : jeune héritier planqué, il échappa à la conscription, son remplaçant fut tué, et Géricault expia sa lâcheté en commençant comme peintre militaire; on l’a soupçonné d’homosexualité (il semble avoir peint peu de femmes, préférant, dit-il, peindre des chevaux ou des lions…), mais il eut un enfant bâtard avec sa tante, qu’il ne reconnut pas. Il fut interdit d’accès au Louvre du fait de sa violence colérique. Sa posture sociale semble avoir oscillé entre conformisme et rébellion, entre l’Empire, la Restauration et les libéraux (joliment qualifiés sur un texte de l’expo "d’extrême gauche de l’époque" !). Partant du classicisme, c’est un des premiers peintres romantiques et ses tableaux ont un souffle, un élan à nuls autres pareils. C’est un peintre de la violence, celle des brigands, des bouchers ou des soldats.

C’est aussi un peintre de la mélancolie. Lui-même dépressif, orphelin de mère à 17 ans, il nous séduit aujourd’hui par ses portraits de gens du peuple, par leur intériorité, leur tension, et encore plus par ses portraits de fous. Gericault_folle Trois sont présentés ici, trois monomanes, celle du jeu, celui du vol et, ci-contre, celle de l’envie : tous trois le regard torve, par en-dessous, tous trois portes ouvertes sur la folie à cette époque qui ne s’y intéresse guère.

Enfin, c’est l’occasion de découvrir Géricault dessinateur, et en particulier de voir les travaux préparatoires (et les dessins de cadavres) du Radeau de la Méduse, peinture politique, allégorique, que je vais m’empresser d’aller revoir au Louvre : déclin, régénération et métissage, quoi de plus actuel ?

Plus savant ?  lisez ceci. Plus lyrique ? lisez cela.

La Demeure du Chaos

Vous vous souvenez du tollé en Février.

Demeure_chaosSerais-tu heureux d’habiter en face, me demandait-on alors. Eh bien, je suis allé voir sur place, et, vu la manière dont les oeuvres sont présentées, leur agencement, le cadre, ma réponse serait oui. Bien sûr, ça se remarque, mais c’est tout à fait supportable et j’aime bien le côté violent de l’ensemble . En tout cas, pas de doute, ce serait honteux de démolir ça. Décision de la Cour d’Appel le 16 Septembre.

Impressions d’Arles

Rencontres photo d’Arles, jusqu’au 27 Août ou 17 Septembre, selon les sites.

Wang_1 Il y fait très chaud, et c’est une gageure de vouloir tout voir en un jour. D’autant plus que le plus intéressant est dans les Ateliers SNCF, à l’écart, qu’on visite en fin de journée, liquéfié. Sur 21 sites, j’en ai manqué 5, fermés ou trop lointains : épuisement total.

Le sous-titre pourrait être Raymond Depardon et ses amis, et c’est tout à fait ça : un choix subjectif, parcellaire de la photo contemporaine, très axé sur le photo-reportage. On peut s’en plaindre et crier au copinage, juger que c’est le terrain de Perpignan plutôt que d’Arles. Ma déception est venue des choix très convenus, très sages qu’a fait Depardon: beaucoup d’hommages, pas mal d’exclusions et, sauf dans les halls de découverte des Ateliers SNCF, peu de jeunes talents excitants.

Voilà donc mes impressions, en vrac au fil de mes visites, avec quelques photos que j’ai pu inclure ici (le site a beaucoup de photos).

De très beaux paysages camarguais de Josef Koudelka au Cloître Saint-Trophime: des photos horizontales, allongées, s’étirant en longueur, plates comme ce pays. Elles sont pleines de silence, de mystère; le minéral, l’animal et le végétal s’y marient, s’y emmêlent, en deviennent indistincts, fusionnels. On peut lire ici et là des corps, des seins, des rides dans un paysage qui en devient anthropomorphe.

David Goldblatt, une autre valeur sûre, à l’Eglise Sainte-Anne, déroule son reportage sur l’apartheid ordinaire en Afrique du Sud, sur l’horreur invisible et la résistance discrète; ses photos en couleur, elles, montrent la réalité d’aujourd’hui, les scènes de rue et le clivage, devenu économique plus que racial.

Faurer L’exposition sur la photo américaine dans les collections françaises, à l’Espace van Gogh, est dérangeante, car pleine des partis-pris de Depardon : seulement deux photos de Paul Strand, et pas les meilleures, trois photos de Diane Arbus (excellentes) cachées dans un recoin, ni Stieglitz, ni Dorothea Lange : 80% de l’expo est dévolu à Ansel Adams, Edward Weston, Weegee et Walker Evans. Ce sont de très bons photographes, mais ça ne suffit pas. J’ai heureusement découvert Helen Levitt, ses graffiti et ses enfants masqués, et aussi cette étonnante photo de Louis Faurer dans la cour de l’Hôtel Margerey à New York dans les années 50s, où seuls ressortent les chromes luisants des grosses Cadillacs noires.

A côté, Robert Adams nous tient encore une fois un beau discours écologique et anti-nucléaire en nous montrant les supposées victimes potentielles, toutes blanches, middle-class, vivant confortablement dans leurs banlieues (qui se trouvent proches d’une usine nucléaire qu’il dénonce): ceux-là mêmes qui soutiennent le militarisme nucléaire US. Nos vies et nos enfants : un discours qui date et qui tombe à plat. Dommage qu’un si grand photographe se fourvoie ainsi dans ses contradictions. Celà reste un beau portrait de la classe moyenne américaine dans ses banlieues proprettes.

 De Sophie Ristelhueber, dans l’appartement de fonction désaffecté du Directeur de la Banque de France, des photos collées sur le papier peint (ci-contre).

Reproductions des œuvres de Sophie Ristelhueber retirées à titre conservatoire, suite à une demande de l’ADAGP représentant l’artiste. Ce sont des cratères de bombes, mais, dit-elle, tout est vrai et tout est faux. Les images viennent de vidéos sur l’Irak, qu’elle a visionnées à Londres, puis retravaillées à l’ordinateur en rajoutant des photos d’elle sur d’autres théâtres, Liban et Palestine. Leur présentation dans ce cadre compassé ne les rend pas irréelles, mais en fait au contraire un élément banal de la vie quotidienne, comme aux infos de 20h.

Sarah Moon nous fait rencontrer Barbe Bleue dans le Fil Rouge à la Chapelle Saint Martin du Méjan, combinant photos et vidéos de manière ensorceleuse. Lisa Serfati dans l’Eglise Saint Blaise montre ses adolescentes quasiment extra-terrestres; la plus belle est une jeune noire, la seule qui ne soit pas en plan rapproché, accroupie entre deux palissades bleu-vert. Dominique Issermann projette 300 photos de mode et de people dans l’Eglise des Frères Prêcheurs, dont de superbes portraits de Gainsbourg et de Léonard Cohen.

Après ces photographes réputés, partant à la recherche de jeunes talents, on espère beaucoup du prix HSBC, à la Commanderie Sainte Luce. Las ! Marina Gadonneix photographie des studios de télévision vides, pâle imitation de Shigeru Takato; et Clark et Pougnaud reconstituent des tableaux de Hopper et autres. Bof !

C’est donc aux ateliers SNCF qu’on trouve son bonheur. Non point tant avec les compagnons de route de Depardon, à l’Atelier de Mécanique, même si l’hommage à Gilles Caron, disparu au Cambodge en 1970, et à Don McCullin, son compère, est émouvant, et si le récit des frasques de Daniel Angeli avec Johnny Halliday est distrayant.

Allez surtout au Magasin des Ateliers voir les nominés et les lauréats des divers prix. Wang Qingson a obtenu le Prix Dialogue de l’humanité; il nous montre le chemin chaotique de la Chine vers la modernité. Suivez-moi (en haut du billet) est la photo d’un prof éberlué devant un immense tableau noir couvert d’inscriptions diverses; Fotofest montre cinq femmes dansant nues (Matisse ?) devant une centaine de photographes armés d’énormes téléobjectifs phalliques. Et Dortoir montre un entassement, une promiscuité, où l’intimité des couples se dissimule derrière des rideaux de gaze transparents; au premier plan, une femme violon de Man Ray.

Le Prix No Limit a été attribué au très beau travail de la Libanaise Randa Mirza, qui revisite des maisons abandonnées depuis la guerre civile (Édifice de la Mémoire) et où réfugiés divers ont laissé leurs traces, photos, slogans, poupées cassées, livres déchirés. Des strates de souvenirs, de passages, qui sont quasiment les seuls vestiges de la guerre civile au Liban.

Carlavandeputtelaar La lauréate du Prix Découverte est Alessandra Sanguinetti pour sa série sur deux cousines argentines qu’elle suit au fil des années. Mais mon coup de coeur a été pour Carla van de Puttelaar et ses nus superbes (ci-contre); si j’étais une femme, je voudrais qu’elle fasse mon portrait. Et Walid Raad (non exposé) a eu le Prix de l’Aide au Projet.

D’autres encore, Philippe Chancel et ses reportages sur la Corée du Nord, où tout semble mis en scène pour lui (mais le tableau des vols à l’aéroport est vide), Malik Nejmi entre la France et le Maroc, Geert Goiris et ses photos d’ailleurs, et, parmi les tout jeunes (Photo Folio Gallery), Marikel Lahane, Olivia Beasley et ses displays de vitrine, Kerim Aytac et ses signes d’ombre, Khaled Aboumrad. Là sont les photographes de demain, ceux qui inventent, qui repoussent les frontières. Le reste était vraiment trop convenu, trop souvent comme une visite de musée. 

Catalogue très complet, mais énervant: la quasi totalité des photos reproduites sont coupées en deux par la pliure du livre.