Un peu trop de Jean Hélion

Jean Hélion, Le Peintre piétiné par son modèle, 1983, acrylique sur toile, 200x145cm, FRAC Picardie

C’est un peintre assez méconnu que présente la grande exposition du Musée d’Art moderne (jusqu’au 18 août), et une des raisons de la méconnaissance de Jean Hélion est qu’il est assez difficile à classer, à figer en un lieu donné : allers-retours entre la France et les États-Unis, physiquement et aussi culturellement, mais surtout aller-retour entre figuration et abstraction. À peine croyez-vous avoir à peu près compris son style et sa position, que ce nomade perpétuel décide de tout laisser tomber et de s’évader vers autre chose, d’explorer une autre voix. Ça fait une exposition longue, dense et complexe, où, parfois, on décide de revenir en arrière trois salles plus tôt pour tenter d’établir une cohérence, un lignage. Grande liberté, certes, mais pas facile à suivre. Beaucoup d’images ici et .

Jean Hélion, Composition orthogonale, 1929-30, huile sur toile, 146x97cm

Et donc, les débuts d’Hélion sont figuratifs : il veut « faire crier aux objets … des choses qu’ils ne faisaient que murmurer ». Mais, rencontrant Torres Garcia, il s’intéresse au cubisme et, en 1929, se met à peindre des toiles abstraites très inspirées par Mondrian : une abstraction sèche, rigoureuse, orthogonale. Cette Composition orthogonale est sa première toile abstraite.

Jean Hélion, Figure tombée, avril-septembre 1939, huile sur toile, 126.2×164.3cm, Centre Pompidou

Les influences de Calder, puis de Arp le font évoluer vers des couleurs plus dégradées, des lignes plus courbes, des formes en équilibre devenant peu à peu anthropomorphes. On a là une très belle rétrospective de cette période. Après dix années de cette peinture plutôt ascétique, il peint, en 1939, sa dernière toile abstraite, Figure tombée.

Jean Hélion, Édouard, 1939, huile sur bois, 33×25.5cm, coll. Clovis Vail

Dès 1939, il commence à peindre ces têtes stylisées, découpant ses personnages en formes volumétriques simples et colorées, quasi mécaniques, souvent des hommes avec un chapeau équilibrant leur visage. Soldat, prisonnier de guerre, évadé, reparti aux USA où il deviendra bientôt le gendre de Peggy Guggenheim, il se place alors à contre-courant de la tendance abstraite qui domine.

Jean Hélion, À Rebours, janvier-février 1947, huile sur toile, 113.5x146cm, Centre Pompidou

Ensuite, ses toiles se complexifient, les personnages y apparaissant en entier, toujours comme étrangers les uns aux autres, juxtaposés, inexpressifs, souvent avec parapluie et costume cintré. Et, à vrai dire, il y en a trop : ces toiles sont terriblement répétitives et on se lasse vite de ce remplissage des salles. Parfois, comme ici, la couleur flotte, les lignes se dissolvent, on échappe à l’aplat trop banal, et cette disruption est bienvenue. Parfois il y a un renversement, un chamboulement, comme dans cette construction duale, tête-bêche de À Rebours où, entre une toile abstraite et son amante nue renversée, le peintre fait avec ses doigts un geste qui pourrait être un coeur ou une vulve, en écho à la forme des jambes et du pubis de la femme. Au passage, sachant l’admiration que Hélion portait à la Vierge de Jean Fouquet (qu’il voulait exposer à côté d’un Mondrian pour « rendre sensible l’espace »), on est frappé par la similitude des seins si parfaitement sphériques qu’ils en deviennent irréels.

Jean Hélion, Terre labourée, 1961, huile sur toile, 73x92cm, MAM Paris

Mais la litanie de choux, de citrouilles, de crabes, de têtes de poisson, de chrysanthèmes, toiles souvent moyennes, voire bâclées, lasse rapidement. Si les grands triptyques sont intéressants par leur sujet plus que par leur peinture, si la peinture de Mai 68 ne séduit guère, on trouve, çà et là, des fulgurances, comme cette Terre labourée : une exploration de la matière brute, une nouvelle abstraction, presque.

Jean Hélion, Trois nus et le gisant, 1950, huile sur toile, 130x162cm

D’autres grandes toiles du même ton retiennent l’attention comme cette composition qu’on peut croire féministe, mais qui reste assez drôle (en 1950, il a été marié trois fois …) ; sa dernière toile en 1983 (en haut), quand il devient aveugle (comme Piero, comme Degas) montre Le Peintre piétiné par son modèle : fin de la peinture, point final.

Catalogue avec Homme à la joue rouge, 1943, huile sur toile, 65×49.5cm, coll. Claudine Hélion

En résumé, il y en a un peu trop, et il faut passer vite devant certaines toiles, mais on redécouvre ce peintre méconnu et très divers. Catalogue bien fait avec de nombreux essais intéressants.

2 réflexions sur “Un peu trop de Jean Hélion

  1. Angelini Catherine dit :

    Le psychanalyste belge Pierre Malengreau est l’auteur d’un essai fraîchement publié, en Belgique à La Lettre volée, où il met en question l’art de Jean Hélion et de Francis Ponge, sous le contrôle de Lacan. « La métaphore traversée » est un petit livre passionnant que je recommande aux amateurs.

    [Merci]

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