Soutien à Deborah de Robertis

Je n’éprouve qu’une sympathie très modérée (et c’est un euphémisme) envers le vandalisme contre les oeuvres d’art, de la lacération d’un Velazquez à l’aspersion d’un van Gogh avec de la soupe. Peut-être parce que j’ai tendance à sacraliser les oeuvres d’art, mais une chose qui me gêne surtout est l’objectification de l’œuvre vue là comme un simple support pour donner un retentissement publicitaire à l’action, son instrumentalisation au service de causes (par ailleurs fort louables) mais qui n’ont rien à voir avec l’art, du vote des femmes aux urgences climatiques. Aussi, ma première réaction à l‘action du 6 mai au Centre Pompidou Metz dans l’exposition sur Lacan fut d’abord très mitigée. Au passage, j’ai vu l’exposition plus tard, le 11 mai.

Photo réalisée avant la performance de Deborah de Robertis, dans l’exposition Lacan devant L’Origine du monde (1866), de Gustave Courbet, et, au fond, des œuvres de Betty Tompkins et d’Agnès Thurnauer, au Centre Pompidou-Metz, le 6 mai 2024. Le floutage a été réalisé par l’artiste. Source Le Monde

Puis j’ai lu et compris : contrairement à, je crois, tous les actes de vandalisme précédents (sauf peut-être celui où Pinoncelli pissa dans la Fontaine de Duchamp), l’action de Deborah de Robertis et de ses amies est directement liée au monde de l’art. Et plus spécifiquement aux violences sexuelles dans ce monde. Un sujet quasi tabou, contrairement à bien d’autres milieux : cinéma, universités, théâtre, etc. Nombreuses sont les jeunes artistes et élèves d’école d’art soumises à de telles violences sous couvert de chantage pour réussir leur carrière (et ça arrive aussi à quelques jeunes gens, en nombre moindre). On lira avec intérêt les témoignages (anonymes) du collectif My Art Not My Ass. Et c’est cela que, de par son expérience personnelle, Deborah de Robertis a voulu dénoncer, à sa manière, provocatrice, violente, brutale, sans concessions (elle a trop fait de concessions plus jeune, dit-elle).

Deborah de Robertis, Miroir de l’Origine, 50x70cm, oeuvre présente dans l’exposition Lacan au Centre Pompidou Metz (enlevée après le 6 mai)

Alors, oui, c’est choquant que l’Origine du Monde ait été taguée, c’est choquant qu’une photographie de VALIE EXPORT ait été apparemment irrémédiablement endommagée, c’est choquant que la broderie d’Annette Messager « je pense donc je suce » appartenant au co-commissaire de l’exposition Bernard Marcadé (l’autre commissaire est son épouse Marie-Laure Bernadac) ait été volée. Mais ce qui est bien plus choquant, ce sont les violences subies par Deborah de Robertis. Ce qui est plus choquant c’est la manière dont la bien-pensance, y compris la plupart des féministes bon teint, l’a critiquée. Ce qui est plus choquant, c’est que Mediapart, qui se dit en pointe sur le sujet des violences sexuelles, ait censuré ce texte sur le blog de Deborah de Robertis pour empêcher la divulgation des noms des sept hommes qu’elle dénonce, tous hommes de poids dans le monde de l’art : Bernard Marcadé, François Odermatt, John Sayeg, Jean-Yves Langlais, Fabrice Hergott, Juan d’Oultremont, Alain Servais (ont-ils fait de même pour Judith Godrèche et d’autres ?) Et ce qui est réconfortant c’est que, seule dans toute la presse, je crois, la courageuse Roxana Azimi ait fait une enquête, ait contacté ces hommes qui nient, minimisent ou refusent de répondre (et il y en a deux que je connais assez bien dans le lot). Ce qui est plus choquant, c’est que le compte Instagram de Deborah de Robertis ait été censuré, sa page Facebook « shadowbanned », ses vidéos supprimées sur Vimeo (un extrait ici de sa vidéo avec Bernard Marcadé) : imagine-t-on une telle censure de Judith Godrèche ?

Capture d’écran de la vidéo (aujourd’hui censurée) de Deborah de Robertis sur sa performance devant Olympia de Manet au Musée d’Orsay

Je connais Deborah de Robertis, je précise à toutes fins utiles n’avoir jamais eu de relation sexuelle avec elle, et j’ai participé à sa demande, il y a huit ans, avec une douzaine d’autres personnes, à son action devant Olympia au Musée d’Orsay (je suis visible, et crédité, dans sa vidéo, aujourd’hui censurée, elle aussi, mais un extrait est visible ici). J’écrivais alors, et je n’en retire aujourd’hui pas un mot :

L’Origine du Monde taguée au Centre Pompidou Metz

« Il n’est pas facile d’approcher correctement le travail de Deborah De Robertis : trop de bruit, trop de scandale, trop de désir, trop de voyeurisme, trop d’envie de possession justement, alors que nous devrions nous laisser posséder. Il est trop facile de se contenter d’admirer la beauté (indubitable) de son corps sans plus réfléchir, trop facile de ne voir là que publicité narcissique, trop facile de s’indigner de cette indécence dans un lieu public, trop facile en somme de la regarder au lieu de l’écouter. Mais c’est qu’il est trop difficile de nous défaire de nos préjugés (moi, en tout cas), d’aller au-delà du désarroi que l’on peut ressentir devant son travail, de poser sur elle, sur sa parole et ses actions, un regard critique aussi respectueux, interrogateur et déconstructeur que celui que nous posons sur Courbet ou sur Gina Pane ; le strabisme mental entre stéréotypes bien ancrés et pièges du désir mal assumés n’est pas chose aisée. Pour ne pas la nier, la réfuter, l’exclure, la censurer, il faut une capacité de recul, de distance, de respect, presque une ascèse dont je ne suis pas sûr d’être capable. Atteins-je ici les limites de la (de ma) critique ? »

Annette Messager, Je pense donc je suce, 1991, broderie, 39,5×31,5cm, capture d’écran de la vidéo de Deborah de Robertis filmant Bernard Marcadé sur le lit conjugal.

Je me souviens alors de la réaction négative de la commissaire du Musée d’Orsay la plus en pointe sur le féminisme. Je lis dans l’article d’aujourd’hui de Roxana Azimi les réactions tout aussi négatives des douairières de l’art féministe Carole Douillard, Agnès Thurnauer, ORLAN. Mais aussi bien des réactions de soutien : GenevIève Fraisse, Éric Fassin, Martial Poirson, Isabelle Alfonsi, Mélanie Matranga, Dale Berning Sawa, et même Apolonia Sokol pas très courageuse (« J’espère que la défendre ne me nuira pas »). Et Daniel Schneidermann, toujours pertinent. Et même (un peu) Léa Salamé ..

J’apporte mon soutien plein et entier à Deborah de Robertis.

5 réflexions sur “Soutien à Deborah de Robertis

  1. studiocdouillard dit :

    douairière : « Veuve, aristocrate profitant de la rente de son défunt mari ». Monsieur Lunettes Rouges, connaissez vous mon travail? Connaissez vous mon parcours et les luttes que je mène depuis le début de mon engagement artistique ? Je défend contrairement à celle que vous soutenez, non pas le conservatisme dont vous semblez affubler celles qui ne seraient pas d’accord avec ces agressions, ou le comportement des hommes dont elle a souffert (nous avons toutes à faire avec le masculinisme et vous ne connaissez pas, non plus, mon parcours à ce propos), mais le respect de mes paires et surtout de leurs œuvres. Engagée depuis longtemps dans un travail qui se base notamment sur l’analyse d’archives, féministes mais pas seulement, et d’un héritage historique artistique qu’il me semble fondamental de protéger (pour ne rien oublier) et d’actualiser toujours, je viens par exemple de publier un entretien avec les pionnières de la performance californienne. Ces pionnières qui ont eu à contrer les agressions des hommes elles aussi, avant nous. Le conservatisme est dans votre propre regard, cet œil qui se permet de juger sans connaître, sans explorer. D’autre part je n’ai jamais été mariée (pour le mieux!) ni ne bénéficie d’un heritage qui me permettait de vivre comme vous sans doute, en bourgeoise confortable…

    [Oui, vous avez raison. Papesse aurait mieux convenu que douairière.

    Quant à votre jugement sur Deborah de Robertis au moment de sa mise en examen, laquelle, selon votre déclaration à Roxana Azimi, « n’a toujours agi que pour elle-même » et a un « comportement provocateur et victimaire« , vous êtes parfaitement libre de l’énoncer, mais, pour reprendre vos mots : « Connaissez-vous [s]on travail? Connaissez-vous [s]on parcours et les luttes [qu’elle] mène depuis le début de [s]on engagement artistique ? » Clairement pas. L’avez-vous rencontrée ? Avez-vous échangé avec elle ? J’en doute.

    Quant à ma vie « bourgeoise confortable » à vos yeux, j’ai du mal à percevoir en quoi cet argument ad hominem pourrait être pertinent dans ce débat, mais bon … ]

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    • studiocdouillard dit :

      Deborah de Robertis dit avoir agi, au musée Pompidou Metz, pour dénoncer le sexisme dans l’art », alors qu’elle n’a toujours agi que pour elle-même… Sans doute le marasme médiatique actuel, la publicisation de toutes les pires médiocrités, ne lui laissait-il pas suffisamment de place ? Pourquoi les commissaires de l’exposition sur Lacan ont-ils décidé de l’inviter finalement… ? Menaçait-elle de faire un scandale si elle n’y figurait pas ? Elle a donc fait du forcing pour faire partie de l’exposition avant de produire ce « happening » semble t’il prévu de longue date… Comme celles d’une ado perpétuellement impertinente, ses actions ne se résument qu’a un comportement provocateur et victimaire, « me too », balance t’elle sur les oeuvres, comme un éternel « moi aussi je veux être vue ! ». Une sorte d’acte de hargne, a mille lieues de l’engagement Intellectuel, politique et esthétique des artistes dont elle a dégradé le travail : Gustave Courbet, Annette Messager, Rosemarie Trockel, Louise Bourgeois, Valie Export… Digne de l’extrême droite. Indigne des luttes des femmes contre les violences qui leur sont faites. La pertinence et le sérieux de nos positions artistiques – encore plus quand il s’agit de féminisme – semble pourtant plus que nécessaire et indispensable. En ces temps où l’indignité gagne tous les mondes… Me too a bon dos et c’est infect d’instrumentaliser cette cause collective à des fins médiatiques égotiques. D’autre part, il ne suffit vraiment pas de faire scandale pour être artiste, encore moins bon artiste. La subversion n’est pas un gadget ou un hochet, mais un engagement politique et esthétique solide, qui se doit de nourrir un « ensemble », pas juste un ego en manque. PS : Ceci n’est pas une performance. #feminism #valieexport #bodypolitics #notowomenagainstwomen

      [Un pape, ça a un dogme , ça définit ce qui est acceptable du point de vue du dogme, ca donne des brevets de bon comportement, ça excommunie quand on n’est pas dans la ligne de ce dogme, ça voue aux gémonies quiconque conteste l’interprétation du dogme. Une papesse aussi, ça se voit bien ici. Heureusement qu’il y a des hérétiques pour résister à cette interprétation exclusive.]

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  2. studiocdouillard dit :

    ci dessus donc le texte que j’ai publié sur Instagram juste après l’action au musée, donc avant que le texte de DdR soit publié sur Mediapart. C’est dans ce texte que Roxana Azimi a prélevé deux phrases qui à mon sens auraient mérité une mise en contexte, je n’ai pas été informée en amont de cette « reprise ». Quant à vos réflexions encore une fois, pardon mais elles sont ridicules, papesse de? Je n’ai que 53 ans ahah, et peut être serais je une papesse à 80 ans? Je préférerais être une sorcière… bien plus proche des origines kabyles qui heureusement sont mon héritage bien plus que celui d’un défunt mari ;-), je suis très honorée donc que vous me prêtiez ce nom un peu désuet et ringard, qui ne correspond en rien à mes activités, par exemple la fondation d’Economie Solidaire de l’Art, cela vous dit quelque chose? Confort bourgeois oui car je pense que vous jugez depuis un conformisme et un confortable cocon intellectuel qui ne prend pas beaucoup de risques, un peu comme une douairière ? Quant à DdR contrairement à ce que vous pensez (sans avoir répondu à mes questions, belle pirouette la aussi) oui j’échange avec elle justement, oui je connais depuis le départ ses actions qui tant qu’elles n’avaient pas agressé d’œuvres ne posaient pas trop de questions, et je connais aussi très très bien son précédent avocat, vos accusations sont donc infondées. Je refuse en tout cas clairement d’être instrumentalisée ni par vous ni par quiconque. Metoo oui, bien sur! La mise à plat de tous les rapports de forces qui structurent nos sociétés, et je vous rappelle d’ailleurs que je les subis bien plus que vous depuis la naissance, de fait, doit être faite, sans en passer par un saccage d’œuvre de femmes (pourquoi ne pas s’attaquer à la pléthore d’hommes artistes qui exposent?) cela serait plus constructif pour le combat de @noustoutes.

    [Je vous ai laissée vous exprimer. Merci de ne pas continuer avec vos insinuations.]

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  3. studiocdouillard dit :

    ps : je ne lui recommande évidemment pas de détruire des œuvres produites par des hommes… mais si son combat est le sexisme alors pourquoi s attaquer aux femmes ? Tant de questions non réfléchies, non pensées, non articulées…

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  4. François Chevret (la Survivance) dit :

    L’article du Monde est affligeant pour cette artiste.

    Chantage, scandale, menace, on a droit à tout sauf à l’essentiel qui est son travail

    « Deborah de Robertis dit avoir agi pour dénoncer le sexisme dans l’art alors qu’elle n’a toujours agi que pour elle-même »

    Et quand au fait de voler un travail d’Annette Messager… !!!!???? Comment être crédible devant tant de ridicule !!!!!! On va voler le travail d’une artiste, d’une femme plasticienne qui a passé sa vie à dénoncer le patriarcat et le pouvoir des hommes. Mais on est où ?????? On va saloper le travail d’Orlan ou de Valie export.

    Et puis quelle prétention de vouloir parler au nom de toutes les femmes artistes, comme si toutes avaient du se « prostituer » pour exister artistiquement. Je connais bien Valérie Belin qui était à Bourges avec moi aux Beaux-Arts, elle a un travail remarquable et n’a pas du se faire “tripoter dans un square” pour que le monde de l’art la reconnaisse. Que cette fille parle en son nom…

    Quand à la conclusion de Apolonia Sokol « J’espère que la défendre ne me nuira pas » cela en dit long sur tous ces artistes pour qui la visibilité à pris le dessus.

    Mais le plus grand scandale, ce n’est pas le travail de cette artiste, c’est plutôt la place que lui donne un journal comme le Monde. Une double page !!!!!! Ce n’est pas rien une double page, combien d’artistes ont la chance d’avoir cette visibilité ? Assez peu au final.

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