Elliott Erwitt pour les Nuls

Elliott Erwitt, La péninsule Valdés, Argentine, 2001

en espagnol

Le risque pour toute rétrospective est de simplifier, de gommer les aspérités, de donner une image trop lisse de l’artiste. Quand, de plus, l’artiste lui-même a tout fait pour paraître aussi peu complexe que possible (« je veux que les gens réagissent émotionnellement, pas avec leur cerveau »), alors on a affaire à une exposition comme celle d’Elliott Erwitt au Musée Maillol (jusqu’au 24 septembre ; exposition sous-traitée à un prestataire externe, Tempora) : tout y est si simple, la couleur est séparée du noir, les chapitres y sont bien organisés avec les titres choisis par lui (Entre les sexes, Plages, Enfants, Abstractions, Villes, Chiens, l’ambigu « Regarding Women », et les spectateurs au Musée), et pour faciliter la visite, il y a de si mignonnes empreintes de pattes de chien au sol que vous suivez docilement, au milieu d’une série de salles aux murs exagérément colorés. D’ailleurs l’ingénieux scénographe a droit à un essai dans le catalogue, dans lequel on peut aussi confirmer qu’Élie Barnavi n’est pas un critique d’art (par contre, l’essai d’Isabelle Benoît sur le jeu chez Erwitt sauve la mise). C’est annoncé en préface : « ne pas alourdir l’ouvrage d’un appareil critique » …

Elliott Erwitt, Kissimmee, Floride, USA, 1997

Bien sûr qu’Erwitt est un photographe du quotidien, aimable, humaniste, espiègle, distrayant, qui nous montre des baisers dans des rétroviseurs, des baguettes sur le porte-bagage d’un vélo, ou un triptyque fameux de jambes humaines et canines : des photographies où on peut toujours lire une belle histoire, anecdotique, mais rarement tragique. Des photographies posées, spectaculaires (l’impromptu est rare, mais il faut nous faire croire que si, qu’il a saisi cet homme sautant au vol, par hasard), remarquablement bien composées, et sur lesquelles il n’y a pas grand-chose à dire : seulement sourire et être gentiment ému.

Elliott Erwitt, Pittsburgh, Pennsylvanie, USA, 1950

Et pourtant ! Juif russe né á Paris en 1928 (il aura 95 ans demain), élevé en Italie avant de partir aux États-Unis, est-il si simple, si anodin ? Discret, sans aucun doute, et taciturne. Mais, au détour de ses photos, après tant de sourires entendus, apparaît soudain une image qui parle de racisme (plus haut), de pauvreté (à Hérat ou à Venise), qui dénonce un conformisme (les oies blanches hongroises). Çà et là apparaît une certaine violence, celle d’une société qui nous endoctrine (que ce soit par la religion ou par le consumérisme, en haut). Mais pas de vagues : ce petit garçon noir sourit et son pistolet n’est qu’un jouet, ne pas parler ici de racisme et de violences raciales. Et je me souviens d’une image très violente à la MEP en 2010, un homme qui criait dans la foule new-yorkaise, bouche ouverte au milieu des têtes, illuminé auquel nul ne prêtait attention, gouffre buccal aspirant tout l’espace : elle n’est pas montrée ici.

Aristide Maillol, Femme assisse à la draperie, sanguine sur papier à la forme, 1930. Elliott Erwitt, Île de Sylt, Schleswig-Holstein, Allemagne, 1968. Aristide Maillol, Dina de dos, pastel, fusain et craie sur papier d’emballage, 1942. Photo de l’auteur

On passe plus vite devant ses photographies publicitaires, bien léchées, en couleur. Un des plus beaux moments de l’exposition est, au dernier étage, cette rencontre de fesses allemandes bien trop blanches sur l’ile de Sylt avec les sanguines de Maillol. En résumé, une exposition un peu trop bien faite, un peu trop digeste …

Laisser un commentaire