Un roman mélancolique : L’allègement des vernis, de Paul Saint Bris

en espagnol

Ce premier roman de Paul Saint Bris (reçu en service de presse) peut bien sûr se lire comme un roman, un peu thriller, un peu documentaire, et beaucoup satire. Faut-il alléger les vernis de la Joconde ? On a droit à de savantes et utiles explications sur la restauration des tableaux, à un peu d’histoire de l’art (mais on en apprend plus sur Andrea del Sarto que sur Leonard de Vinci), et surtout à une description cynique et fort réaliste, non seulement de la direction du Louvre, mais plus largement du petit monde mesquin des conservateurs et des fonctionnaires de la culture : c’est assez réjouissant. On s’y moque même de McKinsey et de Macron. L’intrigue se déroule, plus ou moins crédible, avec des personnages parfois fort étranges, tels Homero, technicien de surface, danseur frustré et amoureux de la Joconde (qui contribue à une fin tout à fait irréaliste, mais ce n’est pas grave). C’est plutôt bien écrit, et même l’unique scène de cul (pp. 284-287) est plus inspirante que la moyenne (« il parcourut ses ovales et ses longueurs »).

Mais tout cela ne serait que moyennement intéressant n’était la personnalité d’Aurélien, le directeur du département des peintures du Louvre. Non pas tant ses états d’âme face à sa féroce présidente très « start-up nation » ou face au restaurateur machiavélique, que son inadéquation totale au monde d’aujourd’hui, au déferlement des images, à l’inculture, en particulier religieuse (rien à voir avec la foi : je suis athée, mais choqué que mes petits-enfants ne sachent pas qui est Jean-Baptiste), à la disparition projetée du livre en papier, à la projection d’un regard contemporain sur des oeuvres anciennes (« une succession de viols et de persécution des minorités, d’oppression patriarcale, de male gaze » p. 100), voire à la déstabilisation des sens causée par l’absence de soutien-gorge (p. 143).

Aurélien « était entré au Louvre pour sa propre protection, pour se mettre à l’abri d’un monde changeant » (p. 61), il « ne se sentait heureux que dans le silence du musée et la bienveillante compagnie des oeuvres » (p. 97). Il se voit comme un vestige. Je n’ai pas un centième de sa culture et de ses compétences, et j’ai fait bien des choses actives dans ma vie d’avant. Mais la lecture de ce livre me fait ressentir, comme lui, une certaine nostalgie d’un passé révolu (boomer, etc.), et c’est pour moi la qualité première de ce roman.

« Il y a un moment — et il vient assez vite — où vous ne savez pas qui est le groupe qui s’affiche en lettres rouges au fronton de l’Olympia. Vous n’en avez jamais entendu parler et vous vous en foutez royalement. Il y a un moment où le visage de l’égérie Chanel en quatre par trois dans le métro ne provoque aucun stimulus dans votre cerveau si ce n’est une admiration distraite pour la symétrie de ses traits. Vous ne le reconnaissez pas. Néant. Il y a un moment où des pans entiers du langage vous échappent. Il y a un moment encore où les jeunes générations vous semblent déguisées dans la rue. Vous les regardez, amusé, comme un sujet exotique plaisant et lointain. Arrive ce moment où vous vous rendez-compte que vous vous êtes lentement extrait du bruit du monde. Que vous vivez dans le confort d’une réalité parallèle, votre propre réalité, figée, façonnée selon vos goûts et vos envies, mais hermétique aux pulsions de la société. » (p. 76)

2 réflexions sur “Un roman mélancolique : L’allègement des vernis, de Paul Saint Bris

  1. François Chevret (la Survivance) dit :

    « Il y a un moment — et il vient assez vite — où vous ne savez pas qui est le groupe qui s’affiche en lettres rouges au fronton de l’Olympia. »

    J’habite près du Bataclan, dans le 11e parisien, et plusieurs fois, je me suis retrouvé à demander aux jeunes dans la file qui attendaient pour le concert du soir, ce qu’ils allaient voir. “Jamais entendu parlé !” Pareil pour le Printemps de Bourges, durant mes études aux Beaux-Arts de Bourges, j’allais tout voir (fausse cartes de presse, laissez-passé), j’étais curieux de tout. Ces dernières années, je me fais souvent la réflexion en découvrant les affiches programme dans le métro… je ne connais personne, PERSONNE. Mais je ne connais personne parce que le temps, l’attention que j’avais à 2O ans pour la musique, le rock, les concerts, tout est réduit à presque rien. Je lisais, Best, Rock et Folk, Libé, les Inrocks, terminé (je lis encore Libé). Donc ce n’est pas étonnant que je ne connaisse pas la tête d’affiche du Bataclan. Est-ce que je suis moins curieux, coupé de la vraie vie ? Pas sûr mais la question mérite d’être posée effectivement.
    Quelqu’un m’avait dit il y a quelques années, “Quand dans une fête, tu regardes les cd des mec de plus de 40 ans, tu trouvent beaucoup de compilations, c’est un signe, ils écoutent ce qu’ils ont écouté à 20 ans…”
    Nostalgie, je ne dirais pas ça, c’est juste que les centres d’intérêt se précisent et que la gestion du temps est différente. Pourquoi vouloir vivre comme quand on avait 20 ans ?
    Quand aux pulsions de la société… je suis pour quelques semaines dans un petit village du Berry, et pour parler avec mes voisins, j’ai le sentiment que les préoccupations, les centres d’intérêt sont très, très éloignés du milieu parisien.
    J’imagine que vous qui êtes entre Lisbonne et Paris, sentez le décalage.
    Bel été à vous

    ps : J’ai voulu réagir sur plusieurs de vos billets, je suis en accord parfait sur Eliott Erwitt, et scandalisé par l’expo de Diane Arbus et une scénographie qui vampirise l’ensemble.
    Je prendrais le temps d’ici la fin du mois pour écrire un commentaire.

    [Merci. Moi je viens de survivre aux JMJ …]

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  2. Je trouve que la nostalgie du personnage Aurélien est prétexte à l’écrivain pour observer le monde de sa touche ironique et de nous en faire part. Car la nostalgie n’est pas chose trop mauvaise en soi, si elle ne nous empêche pas de s’adapter à notre société contemporaine et s’émouvoir de la beauté qu’elle peut apporter. Sinon, boomer rime avec pleureur😃

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