Past and Present Disquiet : des musées en exil

Vue de l’entrée de l’exposition

Les musées en exil sont ceux des peuples persécutés, des dictatures dont les opposants sont exilés, des pays qui pratiquent l’apartheid, voire le génocide. Les musées en exil sont le signe d’une solidarité internationale où des artistes, des critiques, des historiens, des curateurs, des collectionneurs refusent d’accepter cette situation, refusent que règnent la dictature et le racisme, et s’organisent contre ces crimes. Les musées en exil témoignent, tout comme le boycott, de la résistance culturelle contre des états voyous. L’exposition Passé Inquiet au Palais de Tokyo (jusqu’au 30 juin), dont les commissaires sont Rasha Salti et Kristine Khouri, du Visual Arts Study Group de Beyrouth, présente de manière très documentée, quatre de ces musés en exil. L’un naquit après la victoire de l’Union Populaire au Chili en soutien à Allende et fut le seul des quatre à d’abord ouvrir dans le pays ; après l’assassinat d’Allende, les 600 oeuvres sur place furent cachées, et certaines spoliées, mais un mouvement international s’organisa pour constituer un musée de la Résistance. Après le rétablissement de la démocratie, les oeuvres revinrent au Chili et sont aujourd’hui dans ce musée.

Vue de l’exposition

Moins heureux fut le sort de la collection constituée en soutien aux sandinistes, qui n’est plus visible aujourd’hui, vu la dérive du régime Ortega. La constitution de la collection Art contre apartheid fut initiée par Ernest Pignon-Ernest en réaction au jumelage de sa ville de Nice avec Le Cap, et par Antonio Saura, alors en exil en France. Elle fut rapatriée en Afrique du Sud après la fin de l’apartheid, un temps exposée au Parlement et aujourd’hui conservée par cette université.

Carton d’invitation de l’exposition de 1978

Enfin, l’exposition détaille la constitution d’un autre musée en exil, contre un autre racisme, contre un autre apartheid. D’abord constituée sous l’égide de l’OLP, avec une grande exposition à Beyrouth en 1978, elle fut ensuite en grande partie détruite par l’armée israélienne occupant et bombardant Beyrouth, et disparut alors. Claude Lazar fut un des artisans importants de cet effort culturel de solidarité avec le peuple palestinien. L’exposition montre non seulement l’histoire de ces collections, mais aussi celle des réseaux artistiques de solidarité, où on retrouve des noms communs à plusieurs de ces musées. C’est une exposition sur l’inquiétude, comme le dit son titre, sur la solidarité et sur la résilience.

Il n’y a pas à proprement parler de catalogue reprenant les très nombreux documents montrés dans l’exposition, mais un livre d’essais en anglais autour de ce thème, très instructifs. Articles en anglais intéressants à lire dans The Markaz Review, Palestine Studies, et Ibraaz. Cette exposition, conçue en 2015, a déjà été montrée au MACBA à Barcelone, à HKW à Berlin, au MSS Allende à Santiago, au Musée Sursock à Beyrouth, au Musée Zeit au Cap, et a partout recueilli des éloges. MAIS, en France …

Kufia: Matite Italiane per la Palestina

… une membre du CA des Amis du Palais de Tokyo a démissionné avec fracas en protestant parce que le Palais de Tokyo avait une posture orientée (« wokisme, anti-capitalisme, pro-Palestine, etc. »), diffusant « sans contradiction, des propos racistes, violents et antisémites », avec « sans mise en perspective, des points de vue biaisés et mensongers sur l’histoire de ce conflit », autrement dit parce que le point de vue sioniste n’était pas présenté dans cette exposition. Sur Instagram, un certain nombre de personnes du milieu de l’art l’ont applaudie : cette galerie, celle-ci, et de manière plus surprenante pour moi, celle-là, ce Parcours, cet artiste et d’autres que je n’ai pas remarqués. L’article fort bien documenté du Monde sur cette tentative de censure pointe aussi des raisons financières qui pourraient être à l’origine de ce coup d’éclat. Une pétition contre cette accusatrice a été signée par un très grand nombre de directeurs d’institutions artistiques et d’artistes, révoltés par cette offensive réactionnaire. Une telle tentative de censure n’a eu lieu dans aucun des autres pays où l’exposition a été montrée, même pas en Allemagne, c’est dire …

Claude Lazar : Combattant palestinien regardant une oeuvre de Claude Lazar lors de l’exposition de Beyrouth en 1978

Et donc, l’inquiétude n’est pas seulement quant au passé, comme le dit le titre de l’exposition : l’actualité en Palestine, mais aussi des manœuvres comme celle-ci font qu’elle est toujours bien présente. Le ventre est encore fécond, disait Brecht, et la solidarité, sous cette forme ou d’autres, est toujours une nécessité.

Note déontologique : J’ai fait partie il y a plus de dix ans du CA des Amis du Palais de Tokyo, où j’ai côtoyé Mme Hegedüs.

2 réflexions sur “Past and Present Disquiet : des musées en exil

Laisser un commentaire