We teach life, Sir.

Yazan Khalili, Apartheid monochromes, 2017, acrylique sur toile

En ces temps où il est vital de dire non au génocide, à l’apartheid, à la colonisation, en ces temps où ne pas résister à la lâcheté de nos gouvernants et ne pas dénoncer l’hypocrisie de nos médias dominants, toujours du côté des puissants, des occupants, serait criminel et complice (il faut lire les rares et courageux dévoilements de cette hypocrisie, dans le Diplo, ou sur le site Acrimed), en ces temps où militer, défiler, signer des pétitions, donner de l’argent paraissent à la fois indispensables et impuissants, en ces temps où il ne faut pas cesser de parler de la Palestine pour au moins conjurer l’horreur, où est la place de l’art ? Doit-il militer, bannière en tête ? Les artistes doivent-ils produire des oeuvres bien lisibles, dénonçant les crimes ? Doivent-ils être « au service de la révolution » ou, en l’occurrence, de la Résistance ? Un art trop militant, trop simpliste, trop au service d’une idée, aussi louable soit-elle, n’est-il pas un art un peu bâtard, faiblard et qui ne convainc guère ?

Yazan Khalili, de la série Cracks Remind me of Roadkills, 2014, diapositive

C’est une des questions que pose une exposition (jusqu’au 28 avril) dans le Nord du Portugal, à Guimarães (ville par ailleurs emblématique de la fondation de ce pays) inspirée par le poème de Mahmud Darwich « La terre nous est étroite ». L’exposition a été organisée sous l’égide du collectif Uncommon Ground, qui a déjà exposé l’archive d’Ariella Aïsha Azoulay et monté cette autre exposition sur la Palestine. Beaucoup de documentation, de livres, de cartes, de témoignages, et, le jour de l’inauguration, une longue discussion avec la remarquable écrivaine et journaliste Alexandra Lucas Coelho, dont la qualité des reportages en Palestine est incomparable (bien au-dessus du Monde …). Mais surtout, six artistes palestiniens, un japonais et un français sont réunis là ; leurs oeuvres datent évidemment d’avant la guerre actuelle, mais elles ne perdent en rien en force et pertinence. Pour eux, la meilleure manière d’éviter cette contrainte d’un art trop militant tout en restant pertinent et ciblé passe par l’ironie et le détournement. Comment montrer des choses simples, mais porteuses d’une telle charge critique qu’elles en deviennent radicales, explosives. Ces artistes disent l’apartheid, l’exil, l’espoir (même s’il semble impossible), l’histoire de l’épuration, et la résistance résiliente.

Taysir Batniji, S.T., 1998-2021, valise et sable

Yazan Khalili (tout en haut) ne montre que six plaques monochromes, une oeuvre minimaliste qui semblerait a priori si loin de cette réalité. Ce sont les couleurs des documents d’identité émis par les autorités d’occupation auxquels les Palestiniens ont droit, en fonction de leur lieu de naissance, de leur résidence et de leur situation : un système arbitraire de classification et de contrôle pour empêcher la libre circulation et l’égal accès aux services publics. Six panneaux monochromes pour dire l’apartheid : une évidence. Ci-dessus, une valise remplie de sable : avec une économie incroyable de moyens, Taysir Batniji dit l’exil. Pas besoin de grandes phrases, seulement cet objet dépouillé : « Ma patrie est une valise ». Lui qui ne peut pas retourner à Gaza depuis des années, lui dont une partie de la famille vient d’être assassinée sous les bombes, est toujours des plus mesurés dans son expression, un des maîtres du détournement (sa série des annonces immobilières pour maisons bombardées n’est pas ici, mais est présente dans nos esprits, évidemment) ; il montre aussi, de manière discrète, ce qu’est (ou plutôt ce qu’était) la vie quotidienne à Gaza, par sa vidéo « Gaza journal intime » et par ses (fort connues) photographies des « pères » dans leur boutique. Il vient de publier ce livre, Disruptions, des images de l’entrave, de la contrainte imposée par l’occupation à la communication intime, familiale.

Larissa Sansour, Nation Estate, 2012, film

Ironie et détournement, c’est aussi le propos du film de science-fiction de Larissa Sansour, Nation Estate (je me souviens de la censure par Lacoste au Musée de l’Élysée..) : l’état de Palestine existe enfin, mais n’est qu’un gratte-ciel cerné par les colonies, dans lequel vit tout le peuple palestinien, chaque ville à un étage (Jérusalem au 13ème, Ramallah au 14ème, Bethlehem au 21ème). Le tout est hyper moderne, très désigné, sous un système de contrôle d’identité et de comportement permanent. Et par les fenêtres, on voit Al-Aqsa, au loin, inaccessible. Elle dit l’impossible espoir.

Bisan Abu Eisheh, Playing House / Bayt Byoot, 2008-2011, objets et cartes, coll. Teixeira de Freitas

Les objets aussi parlent d’occupation. Taysir Batniji a assemblé des savons sur lesquels est gravée une phrase de la déclaration des droits de l’homme. Jean-Luc Moulène a photographié quelques objets palestiniens. Yazan Khalili, les yeux au sol, a repéré des craquelures dans le goudron ou la pierre qui ressemblent à la carte de Palestine, de la rivière à la mer (en haut). Bisan Abu Eisheh a fait un travail d’archéologue : sous l’occupation, l’archéologie est mise au service du sionisme pour construire une fiction justifiant la colonisation. Abu Eisheh, lui, fait l’archéologie de la continuation de la Nakba, des maisons palestiniennes constamment détruites par les autorités d’occupation, pour voler encore et encore plus de terre ; il se penche sur leurs vestiges et les expose dans des vitrines muséales. Voici donc des pierres et des carreaux provenant de maisons démolies, avec leur localisation : elles entrent au musée, personne ne pourra dire « je ne savais pas ». Lui dit l’histoire, celle de l’épuration ethnique.

Emily Jacir, de la série Where We Came From, 201-03, textes et photos, coll. Teixeira de Freitas

Si les cartes de Benji Boyadgian et les photographies de Ryuichi Hirokawa sont davantage documentaires, ce qu’on peut appeler la performance d’Emily Jacir nous rappelle aussi que nul ne peut être indifférent : en 2001-2003, Jacir, qui peut circuler plus librement grâce à un passeport étranger, accomplit (ou tente d’accomplir) les désirs de Palestiniens dont les déplacements sont limités (soit des réfugiés exilés ne pouvant revenir, soit des Cisjordaniens ou Gazaouis ne pouvant librement se déplacer) et qui lui transmettent un souhait : beaucoup aimeraient une photographie de la maison d’où leurs parents ou grands-parents furent chassés lors de l’épuration ethnique de 1948, avec la prière de transmettre une lettre aux occupants; d’autres lui demandent simplement aller arroser un arbre dont ils se souviennent, ou de retrouver des cousins perdus de vue. Elle dit la résilience, la résistance, le soumoud. Le voeu ci-dessus, le plus poétique, demandait à Jacir d’aller allumer une bougie au bord de la mer au coucher du soleil. Rien ne peut mieux symboliser la réplique de Rafeef Ziadah : « We teach life, Sir ».

La Palestine : tapis, citrons, occupation

Active Stills, Famille Tanboura, Beit Lahiya, 25/08/2014, trois morts dont deux enfants.

en espagnol

en portugais

L’exposition organisée par le collectif (Un)Common Ground (jusqu’au 26 février) au centre d’art Largo à Lisbonne (désormais hébergé temporairement dans une ancienne caserne de la Garde Nationale Républicaine, en attente de sa transformation en immeuble résidentiel) comprend trois parties : deux expositions, Frontières poreuses et Visions de paysages en voie de disparition (commissariat de Rula Khoury pour la première et de Debby Farber pour la seconde), plus un mur extérieur de photographies du collectif palestino-israélien Active Stills. Ce mur comprend une centaine d’images en tableaux ou en grand format sur les thèmes de la démolition des maisons, de l’expansion des colonies, des bombardements de Gaza, de la résistance, des checkpoints et des familles décimées. Ceci permet dès l’abord de saisir l’écart qui sépare une photographie documentaire, comme celle que pratiquent les membres d’Active Stills, d’une interprétation artistique et créative de la réalité, comme le font les artistes exposés à l’intérieur. Non que la frontière entre les deux soit étanche (comme, en France, en témoignent Bruno Serralongue ou Luc Delahaye, et bien d’autres), et d’ailleurs le travail sériel d’Active Stills sur les disparus le montre bien, avec des portraits de Palestiniens tués lors des bombardements de Gaza tenus en main par un parent survivant. Mais, dans un cas, la volonté documentaire et le témoignage militant priment sur l’esthétique, et le message est clairement délivré, sans recul, sans distance ; alors que dans l’autre cas, l’intérêt (le mien, en tout cas) naît d’abord de la forme et de la subtilité des images, derrière lesquelles on perçoit la sensibilité de l’artiste (c’est, par exemple, une des grandes forces de Taysir Batniji dont l’œuvre est biographique avant d’être politique, universelle plutôt que purement palestinienne).

Samira Badran, Memory of the Land, 2017, film d’animation, 12’50, capture d’écran

À l’intérieur, par exemple, il est aussi question de checkpoints, mais de manière bien différente. Samira Badran (dont j’avais admiré à Sharjah un travail sur ce même sujet) a réalisé un film d’animation, Memory of the Land, où un corps meurtri est prisonnier d’un checkpoint, soumis à la violence de l’occupation, se heurtant aux murs, aux barrières, aux tourniquets, tentant de s’échapper, en vain. Ce corps, réduit au bassin et aux jambes, acéphale, court en tous sens, son genou gauche est doté d’un oeil, le droit est blessé et sanguinolent, peut-être son cœur. Lui seul est coloré dans cet univers tout gris ; ses compagnons de misère semblent des fantômes. Les occupants geôliers s’expriment dans un langage inventé dont la violence sonore perce nos oreilles comme le corps du personnage est percé par leur violence physique. Pendant ces 13 minutes, on reste suspendu, le souffle court, l’horreur dans nos yeux. Quiconque est, une fois dans sa vie, passé par un checkpoint (certes, dans mon cas, comme un étranger privilégié) ne peut se détacher de ces images.

Jumana Emil Abboud, Smuggling Lemons (Galilee, Jerusalem, Qalandiya), 2006, vidéo, 20′, capture d’écran

C’est avec des citrons que Jumana Emil Abboud se confronte au checkpoint et témoigne contre l’occupation de son pays. Des citrons d’un jaune éclatant qu’elle a cueillis dans la ferme de sa famille en Galilée, qu’elle transporte dans la Vieille Ville de Jérusalem au milieu de la foule bigarrée et sonore (ci-dessus Porte de Damas), puis dans le taxi collectif qui longe le mur silencieux, hostile, le long duquel la caméra glisse, contrastant la brillance du citron et la grisaille du mur, jusqu’au checkpoint de Qalandyia. La caméra la suit entre les barreaux, face aux interdictions, dans l’attente du feu vert pour avancer ; les citrons se coincent sur le tapis roulant du détecteur, les images basculent, il est interdit aussi de filmer. Continuant à pied, elle dépose rituellement ses six citrons dans un terrain vague après le checkpoint, selon la même disposition que dans le jardin de ses grands-parents au début, unissant ainsi symboliquement les terres palestiniennes séparées par le mur, puis elle retraverse le checkpoint en sens inverse. Elle est vêtue de noir et porte des gibecières rouges dans lesquelles elle transporte ses citrons, comme les grenades d’un combattant. Dans ce film de 20 minutes, on passe des corps mouvants de la Vieille Ville au désert vide le long du mur, puis aux corps contraints du checkpoint ; on passe des bruits vivants de la ville au son monotone du moteur du taxi, puis aux aboiements aveugles en hébreu du checkpoint. Cette contrebande de citrons (elle offrira ensuite leur jus aux habitants de Ramallah) est dans la continuité de son travail sur les traditions palestiniennes, les contes de fées et l’évocation d’un temps où chaque famille palestinienne avait un jardin avec de la vigne, un citronnier, un figuier, un olivier et un grenadier.

Fatma Shanan, Carpets on a flat roof, 2017, vidéo, 13′ , capture d’écran

Et c’est avec des tapis que Fatma Shanan témoigne contre l’occupation. Des tapis que, dans sa ville de Julis en Galilée, des jeunes gens et des jeunes filles de la ville, comme dans une performance chorégraphiée, installent sur le toit de la maison de sa famille, dans la rue devant elle et dans son jardin, composant une mosaïque colorée et se réappropriant ainsi l’espace que leurs parents ou grands-parents ont perdu il y a 75 ans lors de la Nakba. Les motifs traditionnels des tapis et les corps des jeunes protagonistes composent comme un immense tapis que la caméra intègre comme un élément du paysage en s’élevant, portée par un drone. Fatma Shanan est avant tout une peintre et le tapis est un leitmotiv dans son oeuvre. Avec elle, les tapis n’ont plus seulement un rôle pratique et domestique, ils acquièrent un rôle culturel, identitaire, politique. Ils sortent de l’intimité de la maison pour être exposés dans ces espaces semi-publics, encore liés au foyer, mais visibles par l’étranger, par l’Autre, qu’ils défient, comme pour affirmer : « Nous ne resterons pas confinés dans la peur, mais nous franchirons les frontières qu’on veut nous imposer et nous occuperons l’espace public ; nous ne resterons pas des motifs folkloriques orientalisés, mais nous affirmerons notre identité ».

Miki Kratsman & Shabtai Pinchevsky, Anti-Mapping, Al-Jammama, 17/12/2018 13h27, photographie.

Ce sont des vues aériennes bien plus tragiques que proposent Miki Kratsman et Shabtai Pinchevsky. Kratsman (qui est par ailleurs président de l’organisation Breaking the Silence) est passé, comme évoqué plus haut, d’un travail de photojournaliste reportant, entre autres les intifadas, à un travail plus distancé, plus créatif, plus artistique (voir ce livre avec Ariella Aïsha Azoulay). Avec son ancien étudiant Pinchevsky, adepte de l’exploration des archives photographiques et de leur reconstitution, il présente ici des photos aériennes de trois des 500 (ou plus) villages palestiniens détruits par les troupes sionistes lors de la Nakba, dans un projet titré Anti-Mapping. Alors que, dans le reste du monde, on a accès, via Google Earth par exemple, à des photographies aériennes avec une résolution de 0,5 m2 par pixel, Israel interdit au-dessus de son territoire et de ceux qu’il occupe une résolution meilleure que 2,5 m2 par pixel. Kratsman et Pinchevsky ont donc contourné cette censure en réalisant leur propre « anti-cartographie » de ces villages : on peut donc y distinguer, dissimulés par la végétation, les vestiges indigènes, ruines de maisons ou de clôtures, traces de chemins abandonnés. Chaque image est taguée : coordonnées, altitude, heure et date de la prise de vue. Ci-dessus, à Al-Jammama, on peut distinguer des bâtiments, un mur, des traces de rues. Dans l’exposition, le spectateur scrute ces images, tentant d’y discerner une rupture dans la continuité de l’image, indice brun au milieu des aplats verts, un punctum du passé nié par l’histoire des vainqueurs qui font tout pour l’invisibiliser. Au-delà de l’aspect documentaire, c’est cette interaction délibérée avec l’image qui donne autant de force à ces images.

Miki Kratsman & Shabtai Pinchevsky, Anti-Mapping, Tantura, 03/01/2022 11h00, photographie

L’image ci-dessus concerne le village de Tantoura qui non seulement fut détruit, mais fut le site d’un des nombreux massacres de civils, deux cents d’entre eux sont enterrés dans une fosse commune sous le parking près de la plage ; massacre nié par Israel, l’étudiant qui le documenta le premier fut ostracisé, et ce n’est que récemment qu’ont commencé à émerger les souvenirs des soldats massacreurs. Dans cette image, aucune ruine n’est visible : l’invisibilité totale des Palestiniens, telle qu’organisée par l’état israélien.

Ryuichi Hirokawa, The Nakba Archives, Ain Hawd, 1970- , photographie

Le seul artiste venant d’ailleurs, Ryuichi Hirokawa (le photographe du massacre dans les camps de Sabra et Chatila), juxtapose les photographies actuelles de quatre des 500 villages palestiniens détruits avec celles de familles originaires de ces villages, désormais exilées et réfugiées dans des camps. L’un est entièrement rasé, rien ne subsiste ; un autre a encore des maisons en ruine sur des terrasses ; dans un troisième, des Juifs ont occupé la mosquée et y habitent. Le quatrième, ci-dessus, est l’exemple le plus édifiant : le village de Ayn Hawd, une fois ses habitants tués ou expulsés, est devenu une colonie artistique avec deux musées, 22 galeries et 14 ateliers pour artistes. Il a été créé par Marcel Janco, passé de Dada à la colonisation, et, comble d’ironie, il héberge un morceau du Mur de Berlin, un merveilleux symbole d’inconscience : on n’aurait pu trouver mieux que de transplanter dans un village détruit par la colonisation la ruine d’un mur détruit par la démocratie. Si vous visitez ce charmant village, on vous racontera son histoire, qui commence en 1949 : avant, bien sûr, rien.

Sharif Waked, Bathing Time, 2012, vidéo, 2’12, capture d’écran

Tout aussi absurde que l’importation du Mur de Berlin est l’action de l’association israélienne Starting Over Sanctuary, qui, pendant que les habitants de Gaza sont tués par l’armée de son pays, « sauve » les ânes de Gaza de l’abattoir : un sens des priorités édifiant (et comme ils ont trop d’ânes, certains ont été exportés en France). Sharif Waked, toujours ironique, nous montre un âne qui a échappé à ce trafic : il est devenu zèbre au zoo de Gaza, où ses prédécesseurs, les vrais zèbres, sont morts des suites des bombardements ou de famine. Faire venir un zèbre d’Égypte par les tunnels aurait été trop coûteux, le propriétaire du zoo s’est donc contenté de peindre un âne. Dans la vidéo de Waked, celui-ci prend une douche et les couleurs s’en vont. Une belle allégorie de l’état de la Palestine : faire comme si, comme si le blocus n’existait pas, comme si c’était un vrai zèbre, comme si c’était un vrai pays. Dans la même salle, Hanna Qubty joue sur la similitude entre arabe et hébreu dans une vidéo avec poisson peint en rouge et poisson peint en bleu autour du personnage du pessoptimiste (ou optissimiste ou peptimiste, selon les éditions) de Émile Habibi. Et les lampions de Mohamed Abusal éclairent au gaz les nuits de Gaza. À noter aussi quelques conférences (dont Shlomo Sand), la projection prochaine du film Tantura d’Alon Schwartz, et de nombreux ouvrages traduits en portugais.

Le régime israélien d’occupation, une archive photographique (1967-2007), Ariella Aïsha Azoulay

Ariella Aïsha Azoulay, Acto de Estado, Arquivo municipal de Lisboa, 2020, ph. de l’auteur

en espagnol 

en portugais   

En effet, dans ces textes-ci, comme dans ses livres par la suite, Ariella Aïsha Azoulay analyse la photographie comme un moyen de résistance, un espace dans lequel les participants (photographes, photographiés et spectateurs) ne se laissent pas réduire aux rôles auxquels le pouvoir du régime impérial voudrait les contraindre, et refusent d’être ségrégués entre citoyens et non-citoyens. En montrant comment, à travers ces images, les Palestiniens peuvent demander réparation pour les crimes commis contre eux, la photographie permet d’identifier et de rejeter les mécanismes de justification du régime : au lieu du « maître photographe » occidental, à la Magnum (voir Capa) qui serait l’auteur et le propriétaire de l’événement photographié, aux dépens des victimes passives, ces photographies, comprises comme des lieux d’interaction entre photographes, photographiés et spectateurs, qu’elles aient été prises par des Juifs israéliens ou par des Palestiniens, montrent le rôle actif des Palestiniens . Comme Azoulay le dit, ce corpus n’est pas une archive de la souffrance des Palestiniens, mais une archive du désastre causé par le régime qui dépossède les Palestiniens de leurs biens et tente de les déposséder de leur histoire. L’objectif de cette archive est de refuser les catégories imposées par le régime impérial (« terroriste », « émeute », « détention administrative », « checkpoint », « non-citoyen ») et de les rendre inopérantes; elle établit un cadre pour étudier le désastre causé par le régime impérial, non comme un fait accompli mais comme un état de choses évitable et réversible.

Anat Saragusti, lieu non spécifié, 1983

Plutôt que de détailler les violences, les prisonniers, les blessés, les morts, les humiliations, les destructions, les expulsions au fil de ces images, je voudrais simplement en montrer un aspect, celui du portrait volontaire, comme, justement, une interaction entre les acteurs de la photographie. Si l’homme torturé par le Shabak (photo B’tselem 1998) a le visage dissimulé, si certains cachent leur visage par prudence (Kratsman, Bethléem, 1993), d’autres choisissent de se montrer à visage découvert, comme Zakaria Zubeidi, un des chefs de la résistance à Jenine, dont les services israéliens ignorent alors les traits et qui, par fierté, demande au photographe Miki Kratsman de le prendre en photo (plus haut), geste peut-être imprudent mais digne et fier (Kratsman affichera un autre portrait de Zubaidi en pied à l’entrée de son exposition au Musée d’Israel). Autre interaction sur un pied d’égalité entre photographe et photographié pour témoigner aux dépens de la pudeur, Daoud Atyia, 19 ans, photographié quasi nu par Micha Kirschner en 1984, est invalide à la suite de blessures infligées par la police des frontières israélienne, il ne peut se tenir droit; et aussi cette jeune fille, photographiée par Anat Saragusti en 1983, qui lève sa blouse et ouvre son pantalon pour montrer la cicatrice de sa blessure par balle, geste impudique mais fier, assumé par la photographiée qui veut simplement témoigner, sans haine, sans revendication. J’ai déjà parlé de Madame Abu Zaheir (ou Zohrir), qui veut que ses blessures aux jambes soient photographiées, mais qui ne veut pas se dénuder devant le photographe, Miki Kratsman, un homme, juif de surcroît : elle négocie la prise de vue, déniant au photographe un rôle dominant, mais acceptant que la photographie (règlée par Kratsman, déclenchée par l’interprète, une femme arabe) soit diffusée, ayant fort bien compris la différence entre l’événement photographié et sa résultante. Fierté résistante ou volonté résiliente de témoigner, ces photographies sont des exemples de ce « contrat civil » entre les participants à l’événement photographique, aux antipodes de la classique domination photographique : c’est aussi cela que peut nous apprendre la Palestine.

Tenir tête : le Musée d’Art moderne et contemporain de la Palestine

Martine Franck, Ireland, Donegal, Tory Island, Tirage original, 1995

en espagnol

 

Ernest Pignon-Ernest avait été à l’origine de deux projets de musées dans des contextes de dictature et d’oppression, l’un pour le Chili au temps de Pinochet et l’autre pour l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid : des artistes solidaires offraient des oeuvres et, une fois la liberté rétablie, la collection serait installée dans le pays. C’était irréaliste, utopiste, mais ça a marché : il y a aujourd’hui un Musée Salvador Allende à Santiago et Pignon-Ernest fut reçu par Mandela quand il lui apporta la collection (une initiative similaire avait eu lieu au temps du FLN et certains tableaux sont au MAMA). Ernest Pignon-Ernst s’étant rendu en Palestine en 2009 pour rendre hommage à Mahmud Darwish proposa à son retour à Elias Sanbar (l’écrivain ambassadeur de Palestine à l’UNESCO) de créer sur le même principe un musée d’Art moderne et contemporain de la Palestine, qui, le jour venu, serait installé à Jérusalem, capitale de la Palestine (le Palestinian Museum à Bir Zeit près de Ramallah a été un partenaire de l’IMA en 2017). De nombreux artistes ont offert des oeuvres (quelques-uns comme Boltanski et Viallat, prudents ou timorés, ont préféré donnerune oeuvre pour la Palestine, une pour Israel, à égalité). La collection est, depuis 2015, temporairement stockée à l’Institut du Monde Arabe, qui, pour la troisème fois, en expose une sélection de 52 artistes avec plus de 70 oeuvres (jusqu’au 20 décembre).

Vladimir Velickovic, Paysage, huile sur toile, 2004

Cette exposition comprend deux volets : l’un est un hommage à Vladimir Velickovic, récemment disparu et qui fut un des premiers à participer à cette collection (ayant déjà participé au Musée de l’exil contre l’apartheid). Velickovic, peintre de la souffrance, de la violence infligée au corps humain, était parfaitement en phase avec ces luttes contre l’apartheid, tant sud-africain qu’israélien. Venant d’un pays qui n’existe plus, il soutenait un pays que certains veulent faire disparaître. Le Paysage tragique qu’il a offert à la Palestine est obscurci par la fumée des incendies ou des explosions, un feu rougeoie au lointain et, au premier plan, on discerne ce qui est peut-être un corps mutilé, torturé, des chairs à vif. Comme le dit Pignon-Ernest, davantage qu’une oeuvre simplement politique, c’est une évocation de la Passion, signe de la souffrance éternelle de l’homme.

May Murad, You can’t go back, 2019, acrylique sur toile

Le reste de l’exposition est une sélection des oeuvres de la collection faite par l’écrivain Laurent Gaudé qui a choisi de mettre en avant la couleur, les couleurs. C’est par la poésie de Darwich que Gaudé a découvert la Palestine, et il a voulu illustrer ici à la fois le combat et la beauté; alors que, comme il le dit, la Palestine évoque d’abord des images de guerre, de souffrance, d’occupation, plutôt en noir et blanc, il a souhaité lui redonner de la couleur. Certaines oeuvres sont liées à la Palestine, soit par leurs auteurs (ici Amaladin al Tayeb, Taysir Batniji, Steve Sabella, Samir Salameh, Hani Zurob, et, ci-dessus, la peintre originaire de Gaza May Murad), soit par leur thème (ainsi Jean-Michel Alberola, Alexis Cordesse, Gilles Delmas, Jacques Ferrandez, et, ci-dessous, Bruno Fert); d’autres, et c’est délibéré, seront demain des ouvertures sur le monde extérieur pour les Palestiniens qui visiteront le musée (comme le Picasso prêté à Ramallah en 2011). Il est symptomatique que, sur le mur d’entrée, sous le titre de l’exposition Couleurs du monde, soit accrochée une photographie de Martine Franck (en haut) montrant deux enfants sautant par dessus un mur; ce n’est pas le même mur, ces enfants sont irlandais, sur l’île de Toraigh, mais l’image s’impose ici à tous les visiteurs: un jour, le mur tombera, un jour les enfants y joueront.

Bruno Fert, Hawsha, N 32°47’33.25″ E 35°08’36.50″, 04.1948

Cette photographie de Bruno Fert a pour titre un nom, Hawsha, une coordonnée GPS, N 32°47’33.25″ E 35°08’36.50″ et une date 04.1948. Si vous entrez les coordonnées GPS, vous obtenez des noms différents, dans une autre langue : Ramat Yohanan, Zevulun. Hawsha est un des plus de 500 villages qui furent détruits par Israel en 1948 et dont les habitants furent expulsés dans la cadre de l’épuration ethnique alors planifiée (la Nakba). Bruno Fert, dans sa série Les Absents, photographie ces villages, leurs ruines (ici quelques pans de murs), habités par les fantômes des Palestiniens massacrés et expulsés. Comme l’a écrit Elias Sanbar « ces photographies dotent le regard d’une capacité à comprendre ». C’est grâce à ce travail de mémoire qu’ils peuvent tenir tête et que nous pouvons les soutenir.

Julio Le Parc, La Longue Marche, 1975, sérigraphie similaire à celle de l’exposition

Parmi les autres oeuvres, j’ai noté les eaux-fortes de Noriko Fuse, chaque mois traduisant une sensation, une lumière, une atmosphère, une Longue Marche de Julio Le Parc, une planche de Tardi dans Le Cri du Peuple, et un nid de Nils Udo. Un beau projet, que je ne verrai peut-être pas de mon vivant, mais, comme dit Sanbar, « la difficulté est un élément de la permanence ».

Whose Place? (Israël Palestine)

This Place, Hatje Cantz, Berlin, 2019

en espagnol

This Place est un projet que le photographe Frédéric Brenner (connu pour son travail sur les diasporas juives) a initié en 2006 afin que des photographes donnent « une autre image » d’Israël et de la Palestine : autre que les images de la propagande habituelle, autre que les images du conflit. Deux principes au départ du projet : aucun financement de l’état israélien, mais des fonds amenés principalement par des (riches) Américains juifs via leurs fondations (leur liste est dans les deux livres), la plupart d’entre eux, de ce que j’en sais, étant des « sionistes libéraux, éclairés »; et aucun photographe israélien ni palestinien, seulement des étrangers, pour éviter les « difficultés » pouvant surgir entre ces deux peuples et pour avoir un regard extérieur. Brenner a approché de nombreux photographes; certains ont refusé d’emblée, d’autres (dont une grande photographe française connaissant bien ce terrain) ont d’abord accepté, puis se sont retirés, ne se sentant pas assez libres. Au final, douze photographes ont participé, certains sans problèmes, d’autres (comme Josef Koudelka) en imposant leurs strictes conditions. La plupart des photographes ont fait plusieurs séjours, chaque fois d’un mois ou de quelques semaines; seul Nick Wapplington (si j’ai bien compris) est resté deux ans sur place, essentiellement avec les colons. La plupart ont photographié tant en Israël qu’en Palestine (mais aucun à Gaza, et seul, je crois, Thomas Struth dans le Golan occupé) : une approche « équilibrée » ?

This Place, Mackbooks, Londres, 2014

Pour rendre compte de ce projet, il y a d’abord eu (ci-dessus) en 2014 un catalogue chez MackBooks de 192 pages (en anglais seulement, seule la couverture est trilingue; épuisé, au moins 140€ sur les sites en ligne), de format moyen, avec, pour chacun des douze photographes, un entretien de deux à cinq pages où l’artiste explique son implication dans le projet et ses choix, plus une présentation par la commissaire Charlotte Cotton, et une courte postface de Frédéric Brenner. Vient de sortir (fin 2019) un livre format « coffee table » (en anglais seulement, idem; 280 pages, 48 euros) chez Hatje Cantz (en haut) où des sélections des travaux de dix des douze photographes sont présentés (une petite note explique que Gilles Peress n’a pas remis sa sélection et que Fazal Sheikh a refusé de participer du fait de la détérioration de la situation politique). Pour chaque photographe, il y a moins d’images (parfois beaucoup moins comme avec Wendy Ewald, qui passe de 14 projets à trois, de 33 pages à 22, et de 196 images à 33), il n’y a plus de page reprenant toutes leurs photos en plus petit format, mais des grands tirages, un par page, bien plus beaux que ceux de MackBooks. Mais il n’y a plus ou presque plus de textes des photographes : les interviews ont disparu. Seul Koudelka a pu conserver (à son insistance ?) un extrait de son interview initiale, et seule Ewald a droit à une explication un peu sérieuse de son travail; sinon, une image de Stephen Shore est commentée en deux pages par le chef cuisinier Yotam Ottolenghi (dont, curieusement, la biographie est la seule absente en fin de volume), Brenner, Lee et Wapplington ont chacun droit à moins de dix lignes; les autres : rien, pas un mot. Certes, il y a aussi des introductions (assez similaires à celles du premier livre) de Brenner et de Cotton (mais le texte de Cotton ne comprend plus la partie décrivant le travail de chacun des photographes), un entretien avec le curateur Jeff Rosenheim du Metropolitan Museum (qui collabora avec Brenner), et, heureusement, un excellent texte du photographe israélien Miki Kratsman redonnant un contexte politique à ce projet; de plus, en appendice, des détails sur les expositions (Prague, Tel-Aviv, Palm Beach, Brooklyn, Berlin, et, plus modestement, dans quatre petites universités Upstate New York [je n’en ai vu aucune]; mais contrairement à ce que promettait Charlotte Cotton dans le livre de 2014, pas en Palestine, ni d’ailleurs dans aucun pays arabe ou musulman) et un texte sur un séminaire américain dans une de ces universités autour du projet. Dans l’ensemble, on est donc passé d’un livre dense, documenté et complet, mais modestement illustré, à un « beau livre » avec un choix d’excellentes photographies, mais beaucoup moins de textes, d’explications, de contextualisation. Sur un sujet aussi complexe et passionné, on ne peut que le regretter, et j’avoue que, pour ma part, en écrivant cette critique, je n’ai cessé de naviguer entre les deux livres. Tous les photographes sauf Gilles Peress ont également publié un livre individuel sur leur travail (liste à la fin du billet).

Jeff Wall, Daybreak, 2011, 242.9×318.6cm, p.201

Si on regarde attentivement le travail de ces douze photographes (et si on lit leurs interviews), on voit très clairement une gradation, des plus « neutres » aux plus choqués par l’occupation. Les premiers, sans être ouvertement du côté israélien, prétendent faire un travail documentaire aussi « neutre » que possible (comme si on pouvait être neutre face à une situation d’oppression comme celle-ci) : j’y inclus Frédéric Brenner, Martin Kollar, Nick Wapplington et ses colons, les photos contemplatives de Jungjin Lee (très belles, mais qui pourraient avoir été faites n’importe où ailleurs) et les portraits de Rosalind Fox Solomon (eux aussi, comme de nulle part). Pas besoin de préciser que ce sont ceux qui m’ont le moins intéressé. Ensuite, je vois deux photographes qui, tout en se disant plutôt « neutres », ont néanmoins tenté de faire passer un message, un questionnement éthique plus ou moins subliminaire : Stephen Shore et ses photos d’Hébron qui rendent vraiment l’occupation visible (plus bas), et l’unique photo que fit Jeff Wall (ci-dessus) : au fond, une prison avec ses « détenus administratifs » palestiniens enfermés sans jugement; au premier plan, dormant à même le sol, des Bédouins, citoyens israéliens privés de tous droits, prolétaires agricoles saisonniers employés pour la cueillette des olives, dormant donc à l’air libre. « Mais qui est libre ici ? », c’est la question subtile que pose cette image, discrètement certes, trop discrètement sans doute.

Thomas Struth, Har Homa, Jérusalem Est, 2019, p.189

Tant Gilles Peress que Thomas Struth ont choisi plus délibérément de montrer dans leurs photographies ce que sont l’occupation et la colonisation, et tous deux le font le mieux à Jérusalem Est d’où les indigènes sont progressivement expulsés sous divers prétextes (dont, à Silwan, que tous deux photographient, des prétendues fouilles archéologiques et un futur parc d’attraction sur la « Cité de David »). Peress parle (fort bien) d’histoire, de couches historiques et de cartes superposées (en fin de billet, bras d’honneur à Silwan). Struth photographie la colonie de Har Homa (ci-dessus) qu’il décrit comme « provocante, déplaisante, avec ses bâtiments dévorant progressivement la terre ».

Joseph Koudelka, série Wall, Tombe de Rachel (« The wall is taking on the characteristics of a unilaterally imposed border, replacing the internationnally recognized Green Line »), p.108-109

Un des deux portefeuilles les plus puissants est celui de Josef Koudelka qui choisit de ne photographier que le mur, sujet qu’il imposa comme condition de sa participation; dans son texte (le seul préservé dans l’édition Hatje Cantz, p.90-91) il parle de crime contre l’humanité et de crime contre le paysage (un crime contre ce pays sacré), lui qui s’est souvent intéressé à l’impact de l’homme sur le paysage. Et les soldats israéliens ont cassé son appareil photo (ce que, dit-il, les soldats russes n’avaient pas fait en 1968 à Prague)…

Fazal Sheikh, série Desert Bloom, Latitude 31°21’7″N / Longitude 34°46’27″E, 9 octobre 2011 (« Eartworks in preparation for the planting of the JNF Ambassador Forest on the site of the erased homesteads of the Abu Jaber and Abu Freich families, al-Arakib, the Negev »), Mackbooks p. 114

L’autre ensemble très fort est celui de Fazal Sheikh, qui, justement, a refusé d’être dans le livre d’Hatje Cantz. Il a réalisé trois projets : Memory Trace sur les villages indigènes palestiniens détruits pendant la Nakba et ce que les Israéliens en ont fait, Independence / Nakba, une série de portraits de Palestiniens et d’Israéliens nés de 1948 à 2013, deux par an, et le projet inclus dans l’édition Mackbooks, Desert Bloom, une série de photographies aériennes du désert du Neguev. En contrepoint du récit selon lequel les Israéliens ont fait fleurir le désert, Sheikh montre les villages bédouins « illégaux » détruits pour laisser le champ libre aux forêts d’agrément que le National Park Service ou le Jewish National Fund (JNF) veulent planter à leur place. Il montre la destruction, l’expulsion, l’épuration ethnique de ces Bédouins. Donnant pour chaque photo ses coordonnées GPS, il invite lui aussi à regarder les cartes superposées via Google Maps, à voir à quoi ressemblaient ces villages bédouins il y a dix ou vingt ans, et à quoi ressemble aujourd’hui ce désert que les Israéliens (juifs) ont fait fleurir aux dépens des Israéliens bédouins. Cette série de photos aériennes dans les tons ocre du désert, avec à peine quelques empreintes visibles sur le sol, est poignante.

Nadia, Un colon, Jérusalem Est (Wendy Ewald, This is where I live, photographies par des femmes âgées, Office of Social Affairs, Jérusalem Est), p.51

 

Il faut enfin louer le travail de Wendy Ewald (que, je l’avoue humblement, je ne connaissais pas) : puisque Brenner avait exclu les locaux, juifs ou arabes, Ewald a décidé de les réintroduire dans This Place en montant 14 projets où elle confie des appareils à des membres d’une communauté et récupère ensuite les photos qu’ils ont prises, les édite et les présente. Ses douze projets concernaient : des femmes palestiniennes à Jérusalem Est (ci-dessus, un colon occupant une maison, photographié par la propriétaire de la maison : voilà le vrai visage de la colonisation, bien plus que les gentils portraits de Brenner ou de Waplington), la communauté gitane de Jérusalem Est, cinq écoles arabes (Nazareth, Haïfa, Hebron, la vallée de Jezreel et des Bédouins dans le Neguev), une école druze, deux écoles juives (dans un kibboutz et à Lod), deux académies militaires israéliennes, le marché (juif) à Jérusalem Ouest et une entreprise à Tel-Aviv (les seuls trois conservés dans le livre d’Hatje Cantz sont les femmes palestiniennes à Jérusalem Est, l’école d’Hébron et l’académie militaire féminine orthodoxe). Ce faisant, Wendy Ewald redonne la parole aux exclus du projet, elle les fait passer du statut d’objet photographié à celui de sujet photographiant; et, ce faisant, elle remet en question son rôle d’auteure photographe nécessairement orientée, pour se transformer en facilitatrice, en programmatrice plus objective (on notera que Valérie Jouve a suivi une démarche un peu similaire à Jéricho).

Stephen Shore, série From the Galilee to the Negev, Hébron, 25 mars 2011, p.138

En conclusion, ce projet n’est pas, comme il le prétend, l’équivalent de la Mission photographique de la DATAR; il n’est pas non plus, même sur des bases idéologiques inversées, l’équivalent du programme photographique de la FSA. Il évite soigneusement toute propagande trop frontale et tente de prétendre à l’objectivité, à la neutralité, à une fausse parité : mais peut-on être neutre face à l’occupation, face à l’oppression, face à l’épuration ethnique ? Les deux doivent-ils peser le même poids ? Certains des photographes ont dit non, plus ou moins fort, et c’est tout à leur honneur. Le livre d’Hatje Cantz, trop dépourvu de textes et de contexte, ne va pas, à mes yeux, dans leur sens.

Gilles Peress, Contact sheet Palestinian Jerusalem (Silwan), 2013, livre Mackbooks p.100

Si vous voulez approfondir, voici les livres (certains épuisés) de onze des douze photographes (Peress n’ayant pas, à ma connaissance, publié de livre spécifique sur ce travail, et n’ayant d’ailleurs inclus aucune de ces photographies sur sa page Magnum), et leurs sites:
Frédéric Brenner : an Archeology of Fear and Desire
Wendy Ewald : This is Where I live
Martin Kollar : Field Trip
Josef Koudelka : Wall
Jungjin Lee : Unnamed Road
Fazal Sheikh : The Erasure Trilogy
Stephen Shore : From Galilee to the Neguev
Rosalind Fox Solomon : THEM
Thomas Struth : Untitled
Jeff Wall : Daybreak
Nick Waplington : Settlement

Livre Hatje Cantz reçu en service de presse.

 

Qalandiya

Shada Safadi, Keep breathing, 2015, fabric print, 105x180cm

Shada Safadi, Keep breathing, 2015, fabric print, 105x180cm

en espagnol

Qalandiya, c’est d’abord un check-point, lieu de contrôle et d’humiliation, c’est, avec Hébron, un des deux endroits les plus emblématiques de l’occupation. Mais Qalandiya, c’est (c’était) aussi un aéroport, fermé par l’occupant, c’est un camp de réfugiés de la Nakba, et, maintenant, c’est un festival artistique riche de toutes ces histoires, et dont la troisième édition, This Sea is Mine (une citation de Mahmoud Darwish), vient de se terminer. Je n’ai pas tout vu, d’autant plus que les expositions et événements se déployaient non seulement à Jérusalem, Ramallah (Al-Bireh et Bir Zeit inclus), Haïfa et Bethléem, mais aussi à Gaza, Amman, Beyrouth et Londres, regroupant seize lieux différents. Je ne parlerai donc que des deux expositions que j’ai pu voir, deux sur quatorze.

Ryan Presley, Crown Land (to the ends of the earth), 2016, peinture polymère synthétique et feuille d'or sur un panneau de pin australien (hoop), 53x43cm

Ryan Presley, Crown Land (to the ends of the earth), 2016, peinture polymère synthétique et feuille d’or sur un panneau de pin australien (hoop), 53x43cm

Dans le centre d’art Al-Mamal, et dans quelques locaux voisins de la Vieille Ville de Jérusalem, la huitième édition du Jerusalem Show, Before and After Origins, était une composante centrale du festival (j’avais écrit ici sur l’édition de 2011). Autour du thème du Retour, cette exposition confrontait en particulier des artistes palestiniens (et golanis) avec des artistes australiens aborigènes ou sympathisants, deux colonisations, deux vols de terres, deux épurations ethniques, construisant ainsi une interaction entre deux histoires, entre deux résistances. C’est ainsi que Ryan Presley revisite l’image de Saint Georges terrassant le dragon, avec une jeune femme aborigène à cheval perçant de sa lance une hydre au fond d’un canyon cerné de gratte-ciels; à côté, une icone melkite du XIXe avec le « vrai » Saint Georges. Tom Nicholson imagine le retour à Gaza de la mosaïque de Shellal découverte là en 1917 par l’armée australienne, puis transportée en Australie où elle fut incorporée dans le War Memorial. Quant à Richard Bell, il avait reconstruit ici la fameuse tente-ambassade aborigène qui est depuis 1972 devant le Parlement de Canberra.

Wael Tarabieh, Epic of Gilgamesh : The Taming of Enkidu by Shamhat, 1996, coloured linocut print on paper

Wael Tarabieh, Epic of Gilgamesh : The Taming of Enkidu by Shamhat, 1996, coloured linocut print on paper

Aux côtés des Palestiniens, plusieurs artistes du Golan occupé étaient présents ici, avec une problématique quelque peu différente politiquement, mais une même résistance à l’oppression. Wael Tarabieh redessine avec des très élégantes linogravures la légende fondatrice de Gilgamesh (ici la prostituée sacrée Shamhat civilise Enkidu en l’initiant au sexe sous le regard bienveillant de Gilgamesh, son double); Randa Mdah traduit dans un petit bronze l’angoisse et la terreur de ses dessins sur la guerre; Aiman Halabi présente neufs portraits de dignitaires druzes que le temps, les intempéries et la guerre ont peu à peu effacés, et qui ne sont plus que des traces, des spectres, des souvenirs. Enfin Shada Safadi montre une très belle oeuvre de la série Promises, un corps de femme dont l’empreinte, d’abord recueillie sur une toile, a ensuite été gravée sur une plaque de plexiglas à taille humaine (en haut) : ce corps flottant, à la fois aérien et liquide, translucide et charnel, et dont l’ombre danse sur le mur, est une continuation de son travail sur la disparition, sur les promesses que nous faisons aux morts et que nous ne tenons pas, et sur notre familiarité et notre insensible glissement vers la mort. Dans une installation antérieure, plus grande, le visiteur, déambulant au milieu de ces corps suspendus, voyait son ombre se mêler à la leur, rejoignant leur royaume.

Jumana Emil Abboud avec Issa Freij, Hide your Water from the Sun, 2016, vidéo, capture d'écran

Jumana Emil Abboud avec Issa Freij, Hide your Water from the Sun, 2016, vidéo, capture d’écran

L’exposition à Jérusalem évoque la collection d’amulettes du médecin et folkloriste Tawfiq Canaan, laquelle est conservée de l’autre côté du mur au Musée de l’Université de Bir Zeit; c’est la recension par Canaan de 125 sources enchantées en Palestine qui a inspiré le travail et l’exposition de Jumana Emil Abboud au Centre culturel Sakakini à Ramallah, mon autre visite. Dans ces sources magiques apparaissent des démons, des djinns, des femmes, maléfiques ou au contraire protectrices, et d’autres créatures énigmatiques. Abboud a recueilli des objets, des dessins, des histoires qu’elle a mêlés à son propre travail, le déclinant sous diverses formes, dont la vidéo d’un petit spectacle avec des enfants, des photogrammes (visibles à travers la porte vitrée du bureau de Mahmoud Darwish, préservé tel quel) et surtout une vidéo faite avec Issa Freij où les deux artistes redécouvrent certaines des sources de Canaan, cachées, confisquées, la plupart ayant disparu ou se trouvant dans des colonies (l’accaparation de l’eau aux dépens des habitants étant évidemment un de leurs objectifs). Celle ci-dessus semble être la mère de toutes les sources, l’origine du monde, l’entrée dans un autre univers. Pour Abboud, cette réappropriation du folklore est un moyen de rétablir des liens avec sa patrie meurtrie, de retrouver son amour pour elle malgré les épreuves, et de construire une narration, une histoire, une résistance à l’élimination : les djinns ont été éliminés, expulsés, niés, et ce travail s’oppose à la tentative de l’occupant de faire de même avec les Palestiniens, il redonne de la force dans un temps et un lieu fragiles et menacés. Comme Shada Sefadi avec les morts, Jumana Emil Abboud affirme la présence des esprits parmi nous, car c’est ainsi seulement que nous pouvons continuer à vivre ici, semblent-elles dire.

Photos 1 & 4 de l’auteur.

Un film qui ne put être réalisé (Uriel Orlow et Deir Yassin)

Uriel Orlow, Unmade Film, The Staging

Le Centre Culturel Suisse est une étape obligée après le Jeu de Paume, l’artiste suisse Uriel Orlow y présente (jusqu’au 14 juillet) un film qu’il n’a pas fait, Unmade Film, un film qui s’est révélé impossible à faire, comme il y a des catastrophes impossibles à raconter, devant lesquelles le récit se rétracte, pour lesquelles les mots et les images sont impuissants, et qu’on ne peut approcher que par bribes. Souvenons-nous de ‘Tu n’as rien vu à Hiroshima‘, souvenons-nous du ‘désastre démesuré’ de Jalal Toufik et Walid Raad, souvenons-nous de l’obstination de Claude Lanzmann à refuser qu’on montre des images des camps. Orlow nous déroule ici l’impossibilité d’un film sur un autre désastre, et sa nécessité à ne l’approcher que par bribes, par fragments, par éléments de montage : les sections de l’exposition se nomment le repérage, la voix-off, le story-board, les arrêts sur image, la musique de film, le scénario, la mise en scène, les accessoires, tout ce qu’il faut pour faire un film, mais il n’y a pas de film, seulement l’impossibilité d’un film.

Uriel Orlow, Unmade Film, The Reconnaissance

Enfant, le petit Uriel venait en Israël pour voir sa famille, et rendait visite à sa grand-tante, survivante de la Shoah, hospitalisée pour troubles psychiatriques près de Jérusalem à la clinique de Kfar Sha’ul. Ce n’est que bien plus tard qu’il apprit que cette clinique avait été construite sur les ruines du village arabe de Deir Yassin, dont les habitants furent massacrés par les groupes para-militaires de l’Irgoun (dirigée par Menahem Begin) et du Lehi (dirigé par Yitzak Shamir, qui, par la suite, devint lui aussi Premier Ministre) sous l’égide de la Haganah, lors de la ‘guerre d’indépendance’ d’Israël, catastrophe (Nakba) qui vit la destruction de plus de 400 villages palestiniens et le nettoyage ethnique de leurs habitants. Après cette découverte, Orlow tenta de faire un film pour confronter cette réalité historique, celle des villageois palestiniens exterminés laissant la place à l’enfermement psychiatrique des survivants d’un autre ethnocide, mais il n’y parvint pas, bloqué, incapable d’avancer, de dire l’horreur, non seulement l’horreur de ce qui s’était passé là en 1948, mais surtout l’horreur de la négation constante de cette histoire, l’horreur de la falsification planifiée au service d’un mythe fondateur.

Uriel Orlow, Unmade Film, The Stills

Alors, suite à son échec, nous ne voyons ici que des photographies de repérage, ruines d’un village pas totalement détruit en 1948 et bâtiments inachevés que l’armée interdit de construire, que des ‘images de plateau’, photos prises à la dérobée à l’intérieur de l’hôpital, peuplées de chaises vides abandonnées, et qu’une vidéo, tournée dans la vieille ville dans un hammam menacé, avec des acteurs reprenant les gestuelles du Théâtre de l’opprimé du Brésilien Augusto Boal. Il y a aussi des dessins d’enfants racontant le sauvetage d’orphelins de Deir Yassin, et des fac-similés elliptiques de dossiers médicaux de victimes de la torture traitées dans un centre de réhabilitation (et on pense aussitôt à Fanon).

Uriel Orlow, Unmade Film, The Storyboard

Et, surtout, lieu le plus tragique de l’exposition, nous entendons un guide nous faire visiter l’hôpital, mêlant évocations historiques (ici était le puits, ici la maison du chef du village, ici la mosquée, …) et descriptions contemporaines (ici le réfectoire de infirmiers, ici le bâtiment des schizophrènes, …). Étendus au sol dans la pénombre qui peu à peu s’éclaircit, nous écoutons ce récit sans images, à la fois tragique et irréel, récit d’un voyage impossible, récit d’une histoire perdue, récit de fantômes. Et (dans la section sur le repérage) nous entendons aussi Pasolini (qui, cherchant un endroit ‘ayant maintenu son intégrité’, fut incapable de le trouver en Israël/Palestine pour y filmer son Évangile selon Matthieu), Smithson (dont les ‘ruines à l’envers’ pourraient fort bien décrire cet univers absurde) et quelqu’un qui pourrait être l’artiste (dont l’impossibilité de filmer fait écho à l’échec de Pasolini).

Uriel Orlow, Unmade Film, The Voiceover

Et cet échec de Uriel Orlow à faire un film n’en est que plus éloquent, plus révélateur. De même que nul ne peut guérir dans un hôpital ainsi hanté, nul ne peut vivre en niant l’histoire pour servir un mythe.

L’exposition a été présentée, sous une forme différente à la Fondation Al Ma’mal et le sera à Les Complices à Zurich, chaque fois avec un catalogue augmenté.
Lire Élisabeth Lebovici.

 

Chez soi : la photographe palestinienne Ahlam Shibli au Jeu de Paume

 

Ahlam Shibli, Trauma n.4, Corrèze 2008 2009

Ahlam Shibli, Selfportrait n.16, Palestine 2000

English translation

(Ce billet est mis à jour depuis le 7 juin avec des références nouvelles en fonction du débat)

Peut-être est-ce parce qu’elle n’a pas vraiment de ‘chez soi’, de foyer, de patrie, que l’œuvre d’Ahlam Shibli (au Jeu de Paume jusqu’au 1er septembre) est si forte et si émouvante : c’est un « foyer fantôme », une absence d’état, une histoire niée qui rodent entre ces murs. Il est tout à fait révélateur que la première série (car tout marche ici par séries, une photo seule ne prend son sens qu’intégrée, mise en relation, en cousinage) soit un autoportrait ; non point des photographies du visage de l’artiste, mais une évocation de son parcours, de son histoire, de ses racines, ses ‘territoires existentiels’, ses audaces, sa liberté de penser et d’agir, sa recherche de sens, son rapport au monde, mais le tout est comme rejoué, mis en scène avec deux jeunes enfants. On y voit, entre autres, une petite fille traçant sa route, partant à l’aventure, seule et déterminée. Cette série, un ‘retour sur les lieux qui lui ont montré qui elle est’, est un peu la colonne vertébrale, la clef de l’exposition au sein de laquelle chacune des séries se répond.

Ahlam Shibli, Death n.37, Palestine (Camp de réfugiés de Balata), 12 février 2012

Tout au bout de l’exposition se trouve, comme en écho, la série Death: comment, pour un peuple qui a tout perdu sauf sa dignité, qui a perdu sa terre, son foyer*, dont l’existence est niée par l’occupation, dont l’histoire est réécrite par l’idéologie colonisatrice, dont les fils sont bafoués, emprisonnés, tués, comment donc l’image de la mort est omniprésente, la mort à chaque tournant, la mort sous les bombes aveugles, la mort au combat, dans un ‘attentat-suicide’, en prison, au checkpoint, la mort des résistants, de ceux qui, n’ayant plus rien que leur corps, n’ont d’autre solution que d’investir leur propre vie. Ahlam Shibli fait émerger ici un genre iconographique, le portrait du ‘martyr’, du combattant tué en opérations, un genre iconographiquement très convenu (pose martiale, arme à la main, mise en scène héroïque). Elle n’est pas la première à explorer ce thème, après l’Israélien

Ahlam Shibli, Death n.40, Palestine (Naplouse), 14 février 2012

Miki Kratsman déterminé à redonner un nom, une identité à ces résistants niés par le pouvoir, anonymisés et stéréotypés par l’occupant (et exposant le portrait de Zakaria Zubeidi, chef des Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa à Jénine, et alors le combattant de l’ombre le plus recherché par l’armée israélienne, au Musée d’Israël à Jérusalem**), après les Libanais Hadjithomas et Joreige faisant surgir la détérioration des images-fantômes dans l’espace public, après le Palestinien Amer Shomali redonnant sa féminité à une icône de la résistance, après le Libanais Rabih Mroué démontant l’aura médiatique conférée au kamikaze et son incapacité à l’assumer, mais elle le fait de manière plus profonde, plus politique aussi. Elle confronte les portraits dans l’espace public, célébration obligatoire et récupération politique, et ceux dans l’espace intime, familiarité de la mort et ancrage privé dans l’histoire. Le bébé porte le nom de son oncle, mort au combat, et les enfants jouent devant le portrait de leur père, kamikaze disparu, comme devant un autel domestique familier ; chaque photo est accompagnée d’une légende précise, factuelle, nommer est une autre tentative d’empêcher la négation de l’histoire. Le ‘chez soi’ est ici bien précaire, l’armée israélienne détruisant le plus souvent la maison de la famille du ‘terroriste’ : pour construire sa patrie, celui-ci doit voir sa maison détruite, dit Shibli, en jouant sur les mots ‘homeland’ et ‘home’ (à l’inverse des Trackers arabes ci-dessous).

Ahlam Shibli, Death n.33, Palestine (Camp de réfugiés de Balata), 16 février 2012

On peut bien sûr refuser de voir ces photographies, refuser la réalité qu’elles représentent, on peut s’enfermer dans un négationnisme communautaire et pétitionner et manifester pour que l’exposition soit censurée. On peut, en bon propagandiste de l’indignation univoque, vouloir (une fois de plus) empêcher qu’on montre à quel point est mortifère cette idéologie de conquête, de mépris et d’occupation ; on peut, comme toujours faute d’arguments sérieux, invoquer l’islamisme et Merah. L’important n’est pas dans ces soubresauts réactionnaires*** (nous en avons eu bien d’autres ces derniers temps dans les rues de Paris), l’important, c’est de reconnaître ces interrogations, d’accepter qu’une artiste dérange et questionne ces représentations. Ahlam Shibli dit avoir commencé cette série après avoir entendu Julia Kristeva parler du besoin d’avoir des croyances, des prophètes et de les reconnaître comme tels : c’est là l’essence même du judaïsme, mais c’est aussi, pour l’Autre, la nécessité, pour résister et être reconnu, de tenter de générer ses propres icônes. Aux antipodes d’un travail militant ou d’un témoignage documentaire, c’est la réinvention d’une réflexion critique sur le regard subjectif, une distance assumée face à son sujet, aussi poignante que soit la déchirure des sans-foyers.

Ahlam Shibli, Trackers n.1, Israel Palestine 2005

Peut-être la série Trackers devrait-elle être aussi choquante aux yeux de certains pro-palestiniens que la série Death semble l’être aux yeux de certains pro-israéliens, puisqu’elle montre ceux qui sont passés du côté de l’ennemi, ceux qui collaborent, ceux qui, pour avoir droit à une maison (home), détruisent leur patrie (homeland) en se mettant au service de l’armée et en pourchassant leurs propres frères. Mais Ahlam Shibli (dont la série Goter est absente ici) ne porte aucun jugement : fréquentant longtemps les gens qu’elle veut photographier, vivant avec eux, elle établit des rapports de confiance et, photographiant des scènes ordinaires, elle témoigne des ambiguïtés, des douleurs sous-jacentes, des hontes tues et des fiertés inavouées, des compromissions cachées et des avantages acquis, sans dénoncer, sans s’indigner, sans stigmatiser. Dans le cimetière d’un village arabe, les tombeaux de soldats de l’IDF côtoient ceux de feddayin.

Ahlam Shibli, Trackers n.44, Israel Palestine 2005

À cette aune d’étroitesse d’esprit, la série Trauma (en haut) devrait soulever l’ire des anciens combattants français puisque, suite à une résidence en Corrèze, l’artiste joint (ou plutôt montre comment se joignent) la résistance à l’occupation et la colonisation, parfois chez les mêmes personnes, passées du statut d’opprimé à celui d’oppresseur, de victime à bourreau (et c’est là aussi une dialectique israélienne) : dans les listes de nos monuments aux morts, les noms des militaires décédés dans les guerres coloniales en Indochine ou en Algérie suivent les noms de ceux morts en déportation, et nul ne s’en émeut. Là encore, il s’agit de rendre compte d’une réalité indéniable, avec un point de vue critique certes, mais sans mettre personne au pilori. À nous d’y réfléchir.

Ahlam Shibli, Eastern LGBT n.13, International 2004 2006

Révélatrice d’ambiguïtés, Ahlam Shibli nous montre aussi, dans la série Eastern LGBT, des travestis ou transgenres qui ont dû fuir leur pays conservateur et intolérant (Pakistan, Palestine, Somalie,…) pour un Occident (Barcelone, Londres, Zurich, Tel-Aviv) où leur sexualité serait acceptée plus aisément, mais où, une fois établis, ils ne coupent néanmoins pas les ponts avec leur communauté d’origine, menant réellement une double vie : une très belle photo montre l’un d’eux se changeant et se maquillant dans un couloir glauque avant d’aller en boîte de nuit, son seul havre, le seul lieu où il/elle puisse être lui/elle-même. Eux non plus, exclus sociaux, n’ont pas de foyer, eux aussi restent entre deux, eux aussi n’ont plus que leur corps pour s’exprimer, et la photographie leur redonne une dignité et une identité.

Ahlam Shibli, Dom Dzieka n.4, Pologne 2008

Toujours intéressée par les écarts, les marges, les précarités, les déracinements, les transplantations, Ahlam Shibli nous présente, dans la série Dom Dziecka (maison d’enfants) The house starves when you are away, des orphelins ou enfants abandonnés polonais qui recréent là un monde à eux : dépourvus de foyer familial, ils s’en reconstruisent un autre, collectif, à leur initiative, quasiment sans que les adultes interviennent, un monde d’entraide et de convivialité (le contraire de Sa Majesté des Mouches, en somme).

Ahlam Shibli, Dom Dziecka n.27, Pologne 2008

Face aux gesticulations communautaristes (très parisiennes : l’exposition vient de Barcelone où nul n’a tenté de la censurer, et elle va au Portugal, où, très probablement, nul ne le fera), il est important que les spectateurs réalisent que le travail d’Ahlam Shibli est, non pas une apologie du terrorisme comme des propagandistes obtus voudraient le faire croire, mais une réflexion critique sur les ambiguïtés dont nul n’est exempt, sur la manière dont les hommes réagissent face à l’absence ou à la destruction de leur foyer, et s’adaptent aux contraintes qui en résultent. Les visiteurs du Jeu de Paume auront certainement l’intelligence de le comprendre, et de s’élever contre les tentatives de censure de cette exposition.

[Addendum le 11 juin: Des organes de presse ici et  ont repris les éléments de langage de la propagande du CRIF et de ses soutiens selon laquelle cette exposition ne serait consacrée qu’aux auteurs d’attentats-suicide : ‘ »Death » montre des habitants des territoires occupés palestiniens, qui vivent au quotidien avec les photographies des membres de leur famille morts ayant commis un attentat-suicide » (Le Monde, corrigé depuis) et « murs tapis de photos à l’effigie des «martyrs» disparus: terroristes s’étant fait sauter » (Slate); le CRIF, lui, dit  que l’exposition montre « comment les familles ou la société palestinienne entretiennent la mémoire des terroristes qui ont été tués lors d’attentats-suicide perpétrés en Israël« .
Il suffit d’analyser même succinctement les données disponibles (sur les cartels ou dans le catalogue) pour voir que le CRIF détourne la vérité (pas la 1ère fois, me direz-vous) : sur les 68 photos de la série Death (rappelons-le, une des six séries de l’exposition), 10 sont des vues d’ensemble sans ‘martyr’ identifié. Parmi les personnes nommées sur les 58 autres photos (certaines à plusieurs reprises), 11 sont des prisonniers, 31 ont été tuées soit au combat, soit par des raids de l’armée israélienne, et 9 sont morts dans des attentats-suicide, d’après les légendes des photographies.
Et on ne parle que de ces neuf là. Mais pour le CRIF et ses amis, c’est tellement plus facile de réduire la résistance palestinienne aux kamikazes …]

  • On se souviendra que c’est là le mot employé dans la Déclaration Balfour…
    ** Une preuve de plus que le public d’Israël, en première ligne, accepte les questionnements que l’art peut générer, souvent bien plus que des lobbyistes français enfermés dans leurs préjugés communautaires.
    *** La première réaction est venue, semble-t-il, de cet individu au nom usurpé, bien loin de l’éthique du Silence de la Mer.

Textes accompagnant certaines photographies :
Trauma #4 : Tulle, 7 juin 2008. Cérémonie de dépôt de gerbe au cimetière de Puy Saint-Clair en hommage aux combattants des Forces françaises de l’intérieur (FFI), parmi lesquels des Francs tireurs et partisans (FTP) tombés lors de l’offensive de la résistance à Tulle, 7 et 8 juin 1944.
Death #37 : camp de réfugiés de Balata,12 février 2012. Toile représentant le martyr Kayed Abu Mustafa dans le salon familial. On y lit « La panthère de Kata’ib Chuhada’ al-Aqsa, Mikere » (« Mikere, des Brigades des martyrs d’al-Aqsa »). dans la pièce se trouvent la mère de Mikere, son petit neveu et ses deux enfants.
Death #40 : Vieille ville, quartier d’al-Qarioun, Naplouse, 14 février 2012. Dans la famille du martyr ‘Ala’ Ghalid. Sa soeur, venue de Tulkarem, a accouché à Naplouse et passe trois jours auprès de sa mère. Elle a donné à l’enfant le prénom de son frère martyr. Ghalid faisait partie des groupes de résistance armée Faris al-Leil (Chevalier de la Nuit). Il fut le premier à poser des bombes contre l’armée israélienne dans son quartier et dans celui d’al-Yasmina. Il a trouvé la mort le 27 mars 2007 lors d’un affrontement avec cette même armée.
Death #33 : Camp de réfugiés de Balata, 16 février 2012. Photos du martyr Khalil Marshoud, qu’est en train d’épousseter sa soeur dans le séjour de la maison familiale. Sur l’affice, cadeau des Brigades Abu Ali Mustafa, il est présenté comme le secrétaire général des Brigades des martyrs d’al-Aqsa à Balata.
Dom Dziecka. The house starves when you are away #4 : Dom Dzieka Trzemietowo, 7 octobre 2008, mardi après-midi. Gracjan Schmelter et Tomasz Brzadkowski posent devant l’appareil photo avec une sculpture devant l’entrée de l’orphelinat.
Dom Dziecka. The house starves when you are away #27 : Dom Dziecka Lubień Kujawski, 17 mai 2008, samedi soir. Pour le dîner, les enfants sont répartis en petits groupes et chaque groupe est responsable de son propre repas. Przemek K. sert Adrian Z., Damian Z., Łukasz Z., Dawid C. et Marcin W.

Quelques critiques de l’exposition :
Actuphoto
Paris-Art
Mouvement (excellent)
Art in America (sur l’expo à Barcelone)
– Time Out
– Slash
– France TV
– 
ANSA

Autres lectures pertinentes pour vous enrichir l’esprit, contrairement aux bas-du-front d’en face :
– cette interview
– un beau texte (en Italien) sur un blog de La Repubblica à propos de son exposition à Modène
– ces textes sur Afterall.org : Christian Höller et sur Death (payant)
– cette réflexion sur l’altérité des martyrs
– cette évocation des fantômes qui hantent le Jeu de Paume et que le CRIF fait revivre
– le catalogue de l’exposition, avec toutes les photos de la série Death
– la présentation par Ulrich Loock.

[Addendum le 18 juin (jour prédestiné ?): Lire absolument l’éditorial d’André Rouillé (dont je ne suis pas toujours fan, mais, là oui !) sur les tentatives de censure et les menaces envers le Jeu de Paume à propos de l’exposition d’Ahlam Shibli contre laquelle les propagandistes pro-israéliens ont massivement déployé leur lobby, mais sans grand succès : ils voulaient la censure, ils ont eu un panneau explicatif. Cet article pose remarquablement bien la question de la politique et de l’art en Israël (il mentionne mon amie Sigalit Landau) comme en France, et les dangers pour la culture de laisser faire de telles pratiques fascisantes. Bravo !]

[Addendum le 19 juin : les milieux culturels et artistiques ont été bien lents à se mobiliser sur ce sujet (L’Humanité le rappelle), comme s’ils avaient d’abord eu peur d’affronter le lobby, mais ça y est, ils se mobilisent enfin : tribune de MJ Mondzain, pétitions,.. Il était temps, certains se sentaient un peu seuls dans ce combat contre la censure.]

Photos courtoisie du Jeu de Paume et de l’artiste.
Tout commentaire propagandiste, raciste ou insultant sera supprimé. 

Le silence du paysage

Yazan Khalili, On Love and other Landscapes, 2011, n°1

J’avais découvert ce travail de Yazan Khalili il y a 15 mois dans une bibliothèque ténébreuse de la Vieille Ville de Jérusalem. C’était sous la forme d’un grand livre qu’il fallait prendre la peine d’ouvrir et de feuilleter, tournant les lourdes pages une à une ; c’était une histoire qui ne se livrait qu’au spectateur patient, qu’il fallait découvrir lentement, seul ou à deux, pas plus. 92 pages, 91 photos de paysages palestiniens, parfois légendées, parfois silencieuses, racontaient la fin d’une histoire d’amour, une road-movie triste dans un pays occupé. Aujourd’hui, ces photographies, On Love and other Landscapes, sont présentées aux murs de la galerie Imane Farès (jusqu’au 30 mars).

Yazan Khalili, On Love and other Landscapes, 2011, n°3

Le livre aussi est là, mais maintenant on se déplace le long des murs, on découvre l’histoire en marchant : il faut grimper une marche, suivre un décrochage, contourner des poteaux, obstacles dérisoires. Mais l’appréhension est différente ici, plus aisée, plus scopique, moins ‘implicante’ : on regarde, on fait un pas de côté, on regarde l’image suivante, la magie des lourdes pages à tourner précautionneusement dans la pénombre s’est évanouie, on a une expérience plus classique de spectateur, et non plus de découvreur, d’explorateur. J’écrivais alors «tourner les pages du livre est une véritable expérience émotionnelle, sensible, physique aussi (différente, je crois, de ce qu’on ressentirait si les photos étaient affichées aux cimaises en séquence, disponibles, immédiatement visibles) », et je le constate aujourd’hui. Revoir ce travail à Paris est un moment de mélancolie, loin de la Vieille Ville occupée, loin du Mur, loin de la Palestine.

Yazan Khalili, On Love and other Landscapes, 2011, n°38

C’est une histoire d’amour, évidemment triste. Elle l’a quitté et, le quittant, elle lui a laissé les photographies qu’elle avait prises, photographies d’où il est toujours absent (elle dit « ce doit être parce que je sentais déjà que je n’allais plus t’aimer »), alors que lui, amoureux aveugle, ne photographiait qu’elle, son corps, son visage. Mais ces photos d’elle, qu’il lui a données en échange, nous ne les verrons pas, elles resteront secrètes, perdues à jamais. Nous ne voyons donc, depuis leur voiture, que ce superbe paysage aride, ces collines blanches, ces oliviers, ces ciels nuageux romantiques, ces petits villages, parfois une colonie au loin, rarement un drapeau, et jamais le Mur, qu’elle ne veut plus photographier, qu’elle aurait voulu ne jamais photographier, dont elle veut se défaire comme elle se défait de lui : sa vie sans lui et le paysage sans le Mur, est-ce possible ?

Yazan Khalili, On Love and other Landscapes, 2011, n°71

Il dit « certains photographient pour se souvenir, elle photographiait pour oublier ». Il a perdu ses repères, ne sait plus trop quand elle l’a quitté, en quelle saison ; elle est partie (étrangère, libre de voyager), il est resté (indigène, reclus, privé de permis de circulation), il pense qu’il n’aurait jamais dû prendre une photo d’elle. Que faire avec ces paysages d’où il a disparu, alors qu’il était là, bien là, que faire avec cette négation de son existence, cet effacement de sa présence ?

Yazan Khalili, On Love and other Landscapes, 2011, n°5

C’est sans doute là que ce travail devient plus large qu’une histoire d’amour mélancolique, touchant à l’identité et à sa négation, comme si le narrateur s’identifiait métaphoriquement avec son peuple, confronté aux tentatives de faire disparaître son identité. L’effacement de la présence des Palestiniens sur leur terre fait écho à l’effacement de la présence de l’artiste aux côtés de son ex-femme. L’incapacité de se faire entendre devient un silence militant. Au delà du politique, c’est aussi, bien sûr, un travail sur la mémoire et son incarnation photographique : peut-on oublier une photo, peut-on se souvenir grâce à une photo ? (on pense à l’invisible photographie de la mère de Barthes dans le jardin d’hiver, bien sûr). Et peut-on défaire une photo comme on sait défaire le souvenir d’une histoire d’amour qui finit mal ?

Lire cette intéressante mise en perspective du travail de Yazan Khalili.

Basma Alsharif, Home Movies Gaza, 2013, vidéo

En bas, Basma Alsharif présente une vidéo de son retour à Gaza après dix ans d’absence, oscillant entre une réalité heurtée et des images fortement retravaillées. Mais est-ce là son chez-soi, à elle si nomade ? Et l’image peut-elle rendre compte de la douleur, de la catastrophe ?

Photos courtoisie de la galerie et des artistes.

 

Un État palestinien, enfin !

Larissa Sansour, Nation Estate, 2012

English translation

Un État palestinien, c’est ce que vous pourrez enfin découvrir au 43 de la rue de Montmorency (jusqu’au 20 octobre). Oh, il n’est pas très étendu, seulement un petit kilomètre carré au sol, mais il regroupe toute la population palestinienne, les millions de réfugiés, désormais définitivement expulsés de chez eux et regroupés (pour ne pas dire concentrés…) dans un gratte-ciel de plusieurs dizaines d’étages, entouré de toutes parts par l’infâme Mur et cerné de projecteurs et de miradors israéliens.

Larissa Sansour, Nation Estate, Main Lobby, 2012

Au sous-sol du gratte-ciel, bien sûr, la Mer Morte ou ce qu’il en reste; la Méditerranée, au dessus de laquelle un hélicoptère israélien patrouille, est au 14ème. Les expulsés de chaque ville sont logés étage par étage : pour aller de ville en ville, au lieu des blocages et des humiliations aux checkpoints israéliens, on prend l’ascenseur (dans lequel la publicité vante le tourisme à Gaza), net progrès. Enfin, the high life !

Larissa Sansour, Nation Estate, Jerusalem floor, 2012

Sur chaque palier, des reconstitutions de ce qui fut : au 4ème le Dôme du Rocher de Jérusalem, au 12ème la place de la Mangeoire de Bethléem. Ce n’est que par la fenêtre qu’on peut apercevoir la réalité, le pays désormais inaccessible, cet univers figé et dépossédé. On peut même faire pousser un olivier dans son salon, ultime souvenir du pays qui n’est plus. C’est un monde aseptisé, froid, comme si cet enfermement avait fait s’étioler la vitalité bordélique qu’on rencontre aujourd’hui à Ramallah ou à Naplouse.

 

Larissa Sansour, Nation Estate, Manger Square, 2012

Larissa Sansour travaillait sur ce projet pour le Musée de l’Elysée lorsque le sponsor Lacoste tenta de la censurer : le Musée décida alors, face à la vague de protestation d’annuler le prix, mais, contrairement à ce qui fut alors annoncé, il n’organisera pas d’exposition de son travail en compensation. Mais les Palestiniens ont appris à rebondir, et ce travail est donc montré aujourd’hui à Copenhague et à Paris. Un film très science-fictionnel et sept photographies à l’atmosphère irréelle (plus le poster ci-dessus et une maquette de la tour) montrent le retour d’une jeune femme (l’artiste, vêtue d’un habit façon Star Wars) chez elle, dans la tour, à l’étage ‘Bethléem’, où elle se confectionne un plat traditionnel (la nourriture joue un grand rôle dans son travail, d’ailleurs). Ce travail s’intitule Nation Estate, ce qui veut aussi dire l’immobilier-nation (comme dans ‘real estate’).

Larissa Sansour, Nation Estate, Mediterranean, 2012

Face à l’impasse politique, seul l’humour peut sauver, et ce peut être une arme bien plus redoutable que les pierres ou les mots : c’est sans doute ce qui a effrayé Lacoste et qui effraie aujourd’hui les tenants de la colonisation. Bien sûr l’art est politique, et il faut être bien naïf -ou, plus souvent, bien machiavélique- pour prétendre le contraire.

Larissa Sansour, Nation Estate, Olive Tree, 2012

Larissa Sansour avait déjà réalisé une autre pièce de science-fiction politique, Space Exodus, une revisite palestinienne au XXIème siècle de l’Exodus; il y a d’ailleurs dans la galerie de très jolis palestinautes.

Lire Pierre Haski et Omar Kholeif. Ici, portfolio avec quelques photos supplémentaires.