Kandinsky, père de l’abstraction ?

A la Tate Modern, à Londres, jusqu’au 1er Octobre.

Reproductions des œuvres retirées à titre conservatoire, suite à une demande de l’ADAGP représentant les ayants-droit de l’artiste.  C’est une exposition éminemment didactique, pas très divertissante, le genre d’expo dont on achète le catalogue en se disant qu’il est incontournable, mais on le laisse sur une étagère sans trop le lire. Kandinsky a révolutionné l’art du XXème siècle, et est un des pères, sinon le père de l’abstraction. Cette expo nous le démontre en neuf salles et 80 toiles. On y voit fort bien comment son style évolue, comment il décompose peu à peu les couleurs plus que les formes. A 30 ans, en 1896, il découvre les meules de Maonet, et réalise soudainement qu’un tableau est de la couleur et de la composition plus qu’un motif. En même temps, écoutant Lohengrin, inspiré par l’abstraction musicale, il décide de l’appliquer à la peinture. Il quitte alors Moscou pour Munich.

Mais son chemin vers l’abstraction sera étonnamment long : chez lui, pas de fulgurance à la Picasso ou à la Duchamp, pas de révélation soudaine. Au contraire, et c’est ce que j’ai découvert dans cette exposition, un très lent processus de maturation qui va prendre 25 ans. Décomposant les couleurs, il va toucher au fauvisme, au pointillisme (ainsi la foule devant la Ludwigskirche de Munich, de 1908, ci-dessus); il va aussi apurer les formes, dessinant les crinolines comme de simples cônes tronqués brisés par des touches de couleur. Peu à peu, ses maisons deviennent de simples cubes, ses perspectives se bousculent, ses formes se simplifient; mais ses tableaux restent représentatifs, leur titre désigne encore leur sujet (ci-dessus, Paysage montagneux avec église, de 1910, et ci-contre, Cosaques, de 1911)).

 Ce n’est qu’en 1909 qu’il ose intituler une toile « Improvisation », même s’il y dessine encore des arbres, un champ. Il va dès lors produire des Impressions, des Improvisations et des Compositions, (ci-contre Composition VI, de 1913)comme il les définit dans son traité sur le Spirituel dans l’Art (1911). Avec la première guerre mondiale, il revient partiellement à la figuration, la trouvant plus appropriée pour retranscrire ses émotions, son désespoir. Son bref retour en URSS est une période peu productive : trop spirituel et individualiste, pas assez rationaliste, il n’est pas dans la ligne du nouvel art soviétique.  Quand il émerge de la crise qui le secoue alors, et quitte Moscou pour Berlin, en 1921, c’est un peintre abstrait et seulement abstrait : il lui aura fallu 25 ans pour le devenir (Cercles sur noir, de 1921).

C’est ce cheminement, ces hésitations, ces prudentes expérimentations qui font l’intérêt de cette expo et de son excellent catalogue.

22 réflexions sur “Kandinsky, père de l’abstraction ?

  1. RODZ dit :

    Ce qui m’a toujours frappé, c’est qu’à la même période (plus ou moins), on voit la naissance de deux expressions artistiques radicalement différentes (deux interprétations de l’art). Il y a d’un côté Kandisky, qui s’en va remettre de la spiritualité dans la toile (comme expliqué dans son essai) et de l’autre, il y a Marcel Duchamps, qui vient se moquer de la bourgeoisie et détruire une certaine idée de noblesse dans l’acte de faire de l’art. Après avoir ri un bon coup à l’étude des travaux de Duchamps (cynisme, humour ect…), je m’en suis toujours retourné vers « la vision » de Kandisky. Il s’y passe quelque chose. Et ces deux courants sont nés au même moment dans une même société occidentale..

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  2. Kandinsky: 1866-1944
    Duchamp: 1887-1968
    Je ne me permettrais aucun commentaire supplémentaire ou détaillé Cher Rodz !

    On pourrait dire que l’abstraction est née de Pères connus, mais allez savoir lequel est vraiment le premier.
    Pour moi c’est Malevitch: 1878-1935.
    En fait le vrai ancêtre de l’art abstrait est Turner.
    Je viens de voir au Kunshalle de Bâle une exposition, Lee Lozano, qui fit parti de la scène NYkaise de l’aprés WW2, allant de la figuration à l’abstraction, une Grande Dame, elle fait souvent penser à Louise Bourgeois, en moins sophistiquée, ce dernier jugement étant à prendre au sens le plus positif du terme. Je suis sur la rédaction d’une Note, mais allez googler sur Kunsthalle Basel, du plaisir.

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  3. Chers amis, j’ai visité pas mal de musées d’art contemporain, celui de Paris, par exemple, ou de Bâle, et j’ai écouté souvent les étudiants des Beaux-Arts parler, et il m’a souvent semblé qu’on estimait qu’un style de représentation était en soi supérieur à un autre, indépendamment des artistes. Est-ce une mauvaise compréhension ds étudiants des Beaux-Arts qui croient que plus on a avancé, plus on a progressé dans l’art même, ou pense-t-on réellement que l’évolution des arts manifeste une sorte de progrès naturel général ? Kandinsky paraît être bien du début à la fin, alors même qu’il a changé de style. C’est ce qui me rend perplexe.

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  4. Cher Ramiel, si vous lisez l’allemand, je peux vous donner une petite liste de livres à lire, pour les livres francophones, débrouillez-vous tout seul.
    Margritte, Buren, vous apprendraient des tas de choses, quant aux étudiants, laissez les terminer leurs études, que diable !
    Ce n’est pas le vieux con qui s’exprime, 60naire mais pas 68ard, j’écoute volontiers les très jeunes, dans le cercle, nous avons tous à apprendre et prendre les uns des autres. Que ceux de l’extérieur écoutent et deviennent membres invités ou permanents, Art World is free, non ?

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  5. Non, je ne lis pas l’allemand, et malheureusement, comme on me demande des conférences sur des écrivains, et que j’ai des élèves en français, j’ai un programme de lecture déjà chargé. Je resterai un peu en marge, pour la peinture, je crois.

    Oui, Turner est fantastique. C’est à cause de ses phases : l’art abstrait. Je veux dire : au début, c’était abstrait. Et puis des formes apparaissaient.

    Mais c’était des envolées de couleurs, des brumes. Les formes de Kandinsky mûr ne correspondent pas à quelque chose qu’on connaît, mais elles sont bien délimitées, non ?

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  6. ch dit :

    « On pourrait dire que l’abstraction est née de Pères connus, mais allez savoir lequel est vraiment le premier.
    Pour moi c’est Malevitch: 1878-1935. »

    oui mais l’aboutissement qu’est le Carré blanc sur fond blanc annule la peinture en lui substituant l’absolu de la forme et de la couleur. (Et pourtant cette expérience de l’anéantissement pictural a eu un destin très concret, dans l’architecture). Donc, Kandinsky serait bien l’inventeur de l’abstraction en peinture, l’objet étant devenu consciemment une gêne pour l’émotion de la palette.

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  7. Néanmoins, chez Kandinsky, je me répète, mais les figures sont bien délimitées : les contours sont nets. Le peintre se libère par rapport au monde connu, celui des perceptions sensorielles, mais en soi, il reste lié aux formes, même s’il les invente. Je veux dire : d’un point de vue pictural, il reste rigoureux dans le dessin. Même assez classique.

    Si on compare sa période pointilliste avec le dernier tableau de l’article ci-dessus, on s’aperçoit, même, que plus il a avancé, plus les formes sont nettes, bien délimitées, claires, unies. Comme si, dans un monde inconnu, il avait de plus en plus nettement fixé les choses.

    A mon avis, il ne faut pas juger de l’art seulement en fonction de sa relation au monde des perceptions, mais aussi en fonction de ce que fait le peintre avec ses figures, qu’elles renvoient ou non à des objets connus.

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  8. e k dit :

    Les mémoires de Gabrielle Buffet-Picabia sont formelles sur le plan des dates : Picabia a devancé Kandinsky dans une recherche organisée qui ne devait pas grand chose à la provocation (Dada n’existait pas encore) et beaucoup à l’intuition d’un espace symbolique non encore représenté dans le champs de la peinture occidentale : mémoire d’un mouvement, mémoire d’un trajet, autonomie du vécu corporel par rapport à l’espace en tant qu’il est visible, etc.

    Ceci dit Dada est, parmi d’autres choses, un mouvement de régression délibérée, dont l’enjeu aura été une certaine réinjection de l’infantile dans l’ordre adulte de l’art et de la société. Et c’est précisément ce qu’anticipent les œuvres pré-Dada signalées par G B-P : visions d’espaces symboliques reproduisant les expériences archaïques de la petite enfance.

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  9. e k dit :

    Oui, Ramiel, la question de l’authenticité (et le doute sur …) furent et demeurent au centre du débat …

    L’interprétation, l’attribution d’une valeur, d’une portée, engage toujours à acte de foi, que cet acte ait pour corrollaire une spéculation financière, esthétique, intellectuelle ou tout celà ensemble, et autre chose encore, dans un même mouvement …

    Pour les « croyants » la dernière période de Picasso est marquée par un retour à l’infantilité, quand pour les sceptiques il s’agira d’infantilisme …

    Je prends Picasso, je pourrais prendre les avant-gardes … mais si je prends Picasso, c’est comme type par excellence du génie précoce et même tellement qu’il n’aurait connu l’enfance qu’à l’âge de vieil homme. Suivant ma spéculation (intellectuelle), votre enfant-artiste à succès commercial serait-il un « vieux Picasso » par anticipation? Aurait-il dépassé son œuvre avant de l’avoir enteprise? Cette interrogation sera oiseuse pour les sceptiques, et essentielle pour les croyants.

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  10. Les responsables commerciaux avaient répondu, quand cela avait été découvert, qu’une oeuvre doit se vendre pour sa beauté. On l’achète, et on la met chez soi, parce qu’on la trouve belle.

    Et c’est vrai que je suis toujours un peu surpris du nombre de considérations qu’on développe en plus du sentiment personnel et individuel de la beauté. Parfois, on a l’impression que l’oeuvre est tout un essai philosophique codé et condensé.

    Peut-être que beaucoup de marchands, à présent, spéculent financièrement, et qu’ils le font en fonction de principes clairs, afin de maîtriser durablement le marché. Finalement, ces principes deviennent des règles à suivre pour les peintres eux-mêmes, s’ils veulent être mis sur le marché.

    L’erreur serait cependant de regarder les marchands comme des gens qui n’y connaissent rien, ou qui ne savent pas s’entourer de gens savants.

    Mais sinon, pour parler réellement d’art, je ne connais pas assez Picasso pour dire ce qu’il en est selon moi de ses dernières années ; en revanche, Goethe disait que quand on vieillissait, on retrouvait l’essence de l’enfance, on remontait le temps. C’est un fait. Il ne faut pas, à mon avis, critiquer qu’il en soit ainsi !

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  11. Ah bon. Pourtant, à midi, j’ai fait à manger d’une manière raffinée : pommes de terre sautées à l’huime d’olive, oignons et ail grillé. Les pommes de terre viennent de chez ma belle-mère, l’ail et l’oignon de mon association d’agriculture biologique.

    Ensuite, évidemment, quand on est persuadé à l’avance que ma cuisine n’est pas bonne, il devient difficile de penser autre chose. Heureusement, mon fils a trouvé tout excellent.

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  12. Bonjour
    ton blog était à la une , ta petite tête me plait alors je suis venue faire un tour et j’en suis toute émoustillée !!!! Plein de points communs entre nous dont l’amour de la peinture . J’adore l’abstraction entre autres . Je reviendrais mais tu es dans mes favoris . Bonne journée

    Une des oursines

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  13. Il y a un article dans « Le Monde » daté d’hier, et je le suppose de Lunettes-Rouges. Les formes abstraites de Kandinsky sont donc des formes immatérielles et symboliques dont le concept a été forgé par H. B. Blavatsky, en réalité ! C’est amusant, car cela montre qu’il n’y a pas, chez Kandinsky, de volonté de démontrer quoi que ce soit, ou de fonder un genre nouveau, mais seulement celle de représenter des formes de la pensée par des couleurs. Ensuite, le fait est que cela crée quelque chose de nouveau. Mais le but n’est pas un discours implicite sur la représentation. Ce n’est qu’une conséquence.

    Ce qui est également amusant, c’est le jugement de son détracteur, qui l’air de dire que Kandinsky a des lubies spiritualistes dénuées de fondement et qu’il ne connaît rien aux vérités objectives de l’art. C’est amusant, oui. Il y a toujours des gens pour contester un choix personnel au nom de données générales et objectives.

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  14. formacolor dit :

    je voudrais revenir sur un point: la démarche de casimir MALEVITCH.
    Pour ma part, j’ai l’interprétation suivante relativement à sa toile toute de noir recouverte:
    il n’a pu échapper à la trilogie Histire/forme/Couleur – puisque voulant signifier la fin d’un monde il a opté pour le placement de cette toile à la place de l’icône- la forme est bien présente puisque délimitée par la toile-enfin la couleur l’est tout autant puisque totalement noire.
    (j’ai vu cette oeuvre lors d’une exposition à la Fondation Gianadda à Martigny, Suisse ).

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  15. formacolor dit :

    Ah, vassilav KANDISKY, il mérite bien un chapitre à l’aune de l’histoire de l’art.
    Bien que sa peinture soit parfois déroutante, ou puisse paraître à certains moments superficielle, dans l’ensemble sa vate oeuvre souvent méconnue recèle bien des surprises.

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