De la citoyenneté

L’été est propice à des éclipses, à des absences et ce blog sera un peu irrégulier, avec, parfois, des salves en série, comme dans les jours qui viennent, et parfois des silences.

botea_3.1247070236.jpgAu Jeu de Paume (jusqu’au 27 septembre), en bas, deux ensembles de vidéos de la roumaine Irina Botea sur ce qui constitue une identité collective, une nation, une citoyenneté. La première, que j’avais déjà vue à Berlin, s’insère dans le thème de la reconstitution, du ‘re-enactment’ : comment un événement fondateur (ici certaines des péripéties de la chute de Ceaucescu) peut-il être revisité et reconstruit ? Des jeunes Américains rejouent seize ans plus tard sans comprendre les mots qu’ils prononcent, gauches et empruntés, puis enhardis et passionnés. Comment rejoue-t-on, acteur, un événement étranger dans une langue inconnue, comment s’approprie-t-on l’histoire d’un autre ? Que reste-t-il d’essentiel, quelle force conservent gestes et mots quand on les transpose ? (Auditions for a Revolution).

botea_anthem23.1247070098.jpgVotre sentiment quant à l’autre vidéo dépendra du moment où vous commencerez à voir cette suite d’une dizaine de courtes séquences. J’ai personnellement eu la chance d’éclater de rire en entrant dans la salle et en voyant ce choeur de jeunes gens dirigés par un chef sous amphétamines émettre des onomatopées diverses entrecoupées de mots incompréhensibles (des noms de villages roumains, apparemment) chantées sur une musique martiale. Irina Botea a réalisé une quinzaine d’hymnes nationaux possibles pour la Roumanie nouvelle, avec l’aide de poètes et de musiciens. Si quelques-uns semblent suivre les lois du genre, invocations patriotiques et musiques entraînantes, et ne dérident que par les mimiques des chanteurs, d’autres sont franchement déjantés, surréalistes, maldororiens ou hilarants. Comment écrit-on un hymne national aujourd’hui ? Au delà de la dérision, qu’est le sentiment national, qu’est l’identité d’un peuple ? (Before a National Anthem)

2 réflexions sur “De la citoyenneté

  1. Lautréamont - Les chants de Maldoror dit :

    « C’était une journée de printemps. Les oiseaux répandaient leurs cantiques en gazouillements, et les humains, rendus à leurs différents devoirs, se baignaient dans la sainteté de la fatigue. Tout travaillait à sa destinée : les arbres, les planètes, les squales. Tout, excepté le Créateur ! Il était étendu sur la route, les habits déchirés. Sa lèvre inférieure pendait comme un câble somnifère ; ses dents n’étaient pas lavées, et la poussière se mêlait aux ondes blondes de ses cheveux. Engourdi par un assoupissement pesant, broyé contre des cailloux, son corps faisait des efforts inutiles pour se relever. Ses forces l’avaient abandonné, et il gisait, là, faible comme le ver de terre, impassible comme l’écorce. Des flots de vin remplissaient les ornières, creusées par les soubresauts nerveux de ses épaules. L’abrutissement, au groin de porc, le couvrait de ses ailes protectrices, et lui jetait un regard amoureux. Ses jambes, aux muscles détendus, balayaient le sol, comme deux mâts aveugles. Le sang coulait de ses narines : dans sa chute, sa figure avait frappée contre un poteau… Il était soûl ! Horriblement soûl ! Soûl comme une punaise qui a mâché pendant la nuit trois tonneaux de sang ! Il remplissait l’écho de paroles incohérentes, que je me garderai de répéter ici ; si l’ivrogne suprême ne se respecte pas, moi, je dois respecter les hommes. Saviez-vous que le Créateur… se soûlât ! Pitié pour cette lèvre, souillée dans les coupes de l’orgie ! Le hérisson, qui passait, lui enfonça ses pointes dans le dos, et dit : « Ça, pour toi. Le soleil est à la moitié de sa course : travaille, fainéant, et ne mange pas le pain des autres. Attends un peu, et tu vas voir, si j’appelle le kakatoès, au bec crochu. » Le pivert et la chouette, qui passaient, lui enfoncèrent le bec entier dans le ventre, et dirent : « Ça, pour toi. Que viens-tu faire sur cette terre ? Est-ce pour offrir cette lugubre comédie aux animaux ? Mais, ni la taupe, ni la casoar, ni le flammant ne t’imiteront, je te le jure. »

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  2. Lautréamont - Les chants de Maldoror dit :

    Voici la folle qui passe en dansant, tandis qu’elle se rappelle vaguement quelque chose. Les enfants la poursuivent à coups de pierres, comme si c’était un merle. Elle brandit un bâton et fait mine de les poursuivre, puis reprend sa course. Elle a laissé un soulier en chemin, et ne s’en aperçoit pas. De longues pattes d’araignée circulent sur sa nuque; ce ne sont autre chose que ses cheveux. Son visage ne ressemble plus au visage humain, et elle lance des éclats de rire comme l’hyène. Elle laisse échapper des lambeaux de phrase dans lesquels, en les recousant, très-peu trouveraient une signification claire. Sa robe, percée en plus d’un endroit, exécute des mouvements saccadés autour de ses jambes osseuses et pleines de boue. Elle va devant soi, comme la feuille du peuplier, emportée, elle, sa jeunesse, ses illusions et son bonheur passé, qu’elle revoit à travers les brumes d’une intelligence détruite, par le tourbillon des facultés inconscientes. Elle a perdu sa grâce et sa beauté primitives; sa démarche est ignoble, et son haleine respire l’eau-de-vie. Si les hommes étaient heureux sur cette terre, c’est alors qu’il faudrait s’étonner. La folle ne fait aucun reproche, elle est trop fière pour se plaindre, et mourra, sans avoir révélé son secret à ceux qui s’intéressent à elle, mais auxquels elle a défendu de ne jamais lui adresser la parole. Les enfants la poursuivent, à coups de pierres, comme si c’était un merle.

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