Galeries, c’est la rentrée…

Céleste Boursier-Mougenot, Chorégraphie, galerie Xippas, 2012

Un tour rapide de quelques-unes des expositions de rentrée (et ce n’est pas fini…)

D’abord, la superbe installation de Céleste Boursier-Mougenot chez Xippas : la créativité de cet artiste ne cesse de me surprendre. Un escalier encombré de pierres polies au milieu desquelles il faut prudemment négocier son chemin, attentif à ne pas perdre l’équilibre et, du coup, attentif à la forme de chacune de ces pierres et aux motifs qui en émergent, comme pris dans un rite initiatique. Après cette remontée du lit à sec d’une ravine de montagne, le calme du plateau (si on est seul) est légèrement troublé par un bourdonnement qui s’échappe de cinq édicules en bois brûlé, chacun surmonté d’une pierre similaire : meubles de bureau noircis , maquettes modernistes, on ne sait; et le son pourrait bien être celui d’une sonde interstellaire. Ce n’est qu’un peu plus loin, après avoir côtoyé un téléphone fantôme, qu’on réalise que ce sont des ruches, et que le bourdonnement est celui des abeilles enfermées dans la dernière pièce, dont le son a été ensuite retravaillé, de sorte qu’un déplacement le long des cinq tours noires est aussi un voyage sonore. Toujours fidèle à sa passion de magicien du son en boucle, il a su créer là une atmosphère à la fois familière et mystérieuse tout à fait prenante.

Céleste Boursier-Mougenot, vue d'exposition, galerie Xippas, 2012

 

Mathieu Pernot, Les Migrants, 2009, 95x135cm

Ensuite, au gré des galeries, j’ai particulièrement aimé l’installation Two Voices d’Angelica Detanico et Rafael Lain chez Martine Aboucaya, où l’année est accélérée en 366 minutes avec deux écrans opposés montrant les courses du soleil et de la lune, du lever au coucher, simples sources lumineuses, mais aussi sources sonores plus ou moins aiguës selon les saisons. Chez Eric Dupont, Mathieu Pernot montre son travail sur les migrants, réfugiés afghans à Paris : thème banalisé, dira-t-on. Certaines des pièces présentées ici, comme les cahiers de Jawad, sont plutôt de l’ordre du témoignage, et les plus intéressantes sont celles où Pernot s’attache à faire émerger des formes à partir de ce matériau, le drapé, le gisant, comme dans la photo ci-dessus.

Bouchra Khalili, Constellation

Si le gisant de Simon Nicaise chez Dominique Fiat, une tranche d’évêque, relève davantage du clin d’oeil, c’est chez Polaris qu’on retrouve le tragique des migrants avec les Constellations de Bouchra Khalili, représentations schématisées des périples d’immigrants (immigrés) que ses vidéos racontaient, mais aussi photos de détails de conteneurs et de barques de passage, vidéos sur le langage et la révolte montrées à la Triennale et, nouvelle pièce, le récit d’un marin philippin au port de Hambourg.

Estefania Penafiel Loaiza, sismographies, 1. sotto voce (quel loro incontri), 2012, détail

A côté, chez Alain Gutharc, Estefania Penafiel Loaiza, entre ‘sismographies’ (comme ces livres enchevêtrés, recouverts de cire noire et traversés par la reproduction d’un sonogramme tiré du film « Ces rencontres avec eux » de Straub & Huilet, 2006) et paysages sous vidéo-surveillance, montre aussi la transcription d’un récit de langue en langue, de culture en culture : l’histoire d’Argentins sous la dictature enterrant des livres interdits dans leur jardin passe de l’espagnol au français à l’anglais à l’hindi, et est retranscrite sous forme de BD par des illustrateurs indiens la narrant comme une chanson de geste : ‘las palabras andantes (fumure)’.

Jérémy Liron, Agave, série Images inquiètes, 2012, acrylique sur papier, 148 x 118 cm

Citons encore les nouveaux tableaux de Jérémy Liron chez Isabelle Gounod : certains sont parsemés de triangles en réserve, comme pour faire mieux surgir le fond du tableau; le grand polyptyque ci-dessous joue sur la profondeur, celle du tableau et celle de la scène elle-même, comme une impossible fenêtre sur le réel. Mais surtout apparaissent ici des Images inquiètes, tableaux sombres dont on peine à deviner le motif quasi voilé, dont l’essence semble être celle d’une photographie ancienne, comme une gomme bichromatée de Sally Mann par exemple. Quel contraste avec la fantaisie chatoyante de Frédérique Loutz à côté chez Claudine Papillon.

[23/09 : il faut aussi aller voir (mais ça finit le 27) l’exposition de Jérémy Liron au 5 rue Meyerbeer, dans un appartement temporairement transformé en lieu d’art et, au sous-sol, dans l’ancien abri de la deuxième guerre mondiale (lire ce beau texte) : d’autres tableaux, rarement vus, car en mains privées, une vidéo depuis un train (j’ai pensé à l’échec de Strindberg) et une très belle et très sobre encre sur papier que vous pouvez m’offrir sans hésitation pour mon anniversaire… Initiative d’un couple généreux de collectionneurs privés.]

Jérémy Liron, Paysage 110, 2012, polyptyque, huile sur toile, 246 x 369 cm

 

Citons encore l’exploration historico-scientifique de Laurent Pernot chez Odile Ouizeman, les tableaux ‘scientifiques’ sombres de Yan Heng à la galerie Sator, une très belle vidéo dans la lande irlandaise d’Elisa Pône chez Michel Rein (outre ses jeux pyrotechniques). Un peu déçu par Orozco chez Marian Goodman (ses arbres à plumes chez Chantal Crousel sont autrement plus charmants), captivé par Giulio Paolini chez Lambert, je veux conclure sur un artiste découvert dans l’arrière-salle de la galerie du Roi Doré, que je ne connaissais pas. Le Polonais Artur Majka photographie des rochers, mais sont-ce des falaises gigantesques ou des petites pierres, la plupart des images ne permettent pas de le savoir (seules certaines laissent apparaître des feuilles ou des bouts de verre révélateurs). N’ayant guère d’idée de l’échelle, on se retrouve sfasciné par cette matière cristalline où scintille parfois un bout de quartz, on imagine des voies d’escalade sur ce qu’on pense être une paroi et qui n’est qu’un caillou, on est sensible à la qualité tactile d’une pierre qu’on voudrait prendre dans la main et sentir du bout des doigts, mais qui se révèle peut-être une montagne. Le tout photographié sobrement, froidement, superbement (mais je n’ai pas de visuels).

Photo 1 de l’auteur; photos 2, 3, 6 & 7 courtoisie des galeries concernées. Le Paysage de Jérémy Liron a été réalisé avec le soutien de la DRAC Rhône Alpes.

7 réflexions sur “Galeries, c’est la rentrée…

  1. L’installation de Céleste Boursier-Mougenot est très belle en effet. Difficile devant cet escalier de ne pas penser à celles de Jean-Luc Parant

    [je ne sais pas, Parant c’est du fait main, du malaxé, du recuit, brun, terreux, organique. Céleste c’est du trouvé, du poli par les siècles, du clair, du minéral, pur, presque immatériel]

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  2. C’est vrai, des cailloux, on en voit pas à Paris; ça laisse surtout l’impression d’une oeuvre ludique, d’un « attention à ne pas tomber » posté à l’entrée, laissant quand même un passage bien propre pour que le gros bourgeois rouge de sueur dévale les escaliers en toute sécurité. Il vous en faut bien peu pour avoir des sensations. Allez faire un tour en montagne, loin de tous ces néons et parquets bien lustrés, vous manquez d’exercice et d’air frais.

    [merci de vos conseils au gros bourgeois rouge de sueur; ceci dit...]

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  3. aillant participer a la fiac pendant de nombreuses annees ,la qualitee des euvres artistique etaient d’une grande importance, pas aujourd’hui, nous sommes en periode de choque pas artistique, esperont que les galleries retiendront un sens creatif surtout du medium.

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  4. Est-ce que le vieux débat « esthétisme sur support de misère » est tranché ? Peut-on se satisfaire en se disant que l’intensité émotionnelle crée par le contraste entre la beauté de l’image et la situation du sujet ( ou objet ? ) va servir la cause de ce dernier ? Où là n’est pas la raison d’exister de cette image ?

    réflexion au sujet de l’image que vous avez choisi de Matthieu Pernot

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  5. Cécile dit :

    Bonjour

    Chez Gounod, j’ai aimé discuter avec qui je pense être Isabelle Gounod soi-même. accessible et chaleureuse.

    et la toile. la fenêtre de la Vila Noailles à Hyères (ton illustration). La fenêtre. le regard se heurte d’emblée à la ramure imposante et compacte d’un arbre. Pas d’ouverture sur le monde. pas de repli sur soi ou de retour en soi non plus. Le regard rebondi et va vers les détails de la toile (couleurs, formes, coulures etc etc). se pose. nouvelle rencontre avec l’arbre. le regard s’arrête. repart vers un nouveau détail (couleurs, formes, coulures etc etc)
    bon moment … où je me suis attachée à la forme mais aussi au faire alors que jusqu’à présent je ne plaisais que dans la solitude et le silence des tableaux de Jérémy Liron. cela seule me comblait. mais depuis qqs jours donc, je suis allée plus loin.

    La suite :
    Jérémy Liron
    au patio bar (dont le patio est franch’ment pas mal du tout !!)
    5 rue Meyerbeer Paris 09
    => 27 septembre seulement
    des toiles issues de collections privées.

    A bientôt.

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