Dans cette exposition de photographies (jusqu’au 31 mars ; la première en solo de cette jeune photographe), mieux vaut ne pas vouloir trop vite s’approprier les images, tenter de comprendre immédiatement leur sujet, et encore moins leur facture. Il faut laisser petit à petit les formes surgir, émerger du fond noir, s’imposer à l’oeil, puis les laisser se dissoudre, se fondre dans la pénombre. Il faut patiemment se préparer à l’inattendu, à l’étrange, au dérangeant, au mystérieux. À l’étage, dans une salle obscure, il faut se recueillir, se taire, se laisser pénétrer par le chatoiement du plumage d’une chouette ou par le regard aveugle d’un buste égyptien, peut-être lagide.
Ces images transportent une réalité concrète, celle d’objets photographiés dans des musées d’histoire, d’art ou de sciences naturelles, dans une autre réalité mentale, plus mystérieuse, plus émolliente, dans laquelle les formes indécises s’arrondissent, s’assouplissent, s’accouplent, comme ces sensuelles « oreilles » noires (les fruits du timbo) desquelles émergent des appendices phalliques orangés. Des lumières apparaissent au milieu d’un verre noir, se réfléchissent sur une pierre blonde, jaillissent d’une fenêtre, caressent des bijoux. La texture des objets se délite, les couleurs de ce vase asiatique rouge se défont, se fragmentent, se dissolvent, devenant aussi inconsistantes que les plumes d’une chouette empaillée.
Confrontée à la réalité froide, didactique, normative des musées qu’elle visite, Daniela Ângelo y introduit un brin de magie, de sorcellerie, par des prises de vue décalées, des éclairages radicaux, des superpositions d’images, parfois par une intervention excavatrice sur la pellicule. Sa rare capacité à transformer le réel, à le transposer dans un monde chimérique, génère chez le regardeur un sentiment de distanciation, une perception virtuelle floue et réjouissante, une inquiétante étrangeté freudienne.
Lunettes Rouges 