Venise 5 : Une cabale contre Daniel Birnbaum ?

05062009_005.1245496195.jpgLa quasi totalité des expositions décrites dans les quatre précédents billets sont le fait des pays et non le choix du commissaire de la Biennale, Daniel Birnbaum. Or ce dernier semble être l’objet d’une cabale, confondant volontairement les espaces dont il est directement responsable (essentiellement la moitié de l’Arsenal et le plutôt rétrospectif pavillon international) et la totalité de la Biennale. Le comble de la mauvaise foi est cet article de quelqu’un qui, semble-t-il, n’a même pas visité la Biennale (et en tout cas ne mentionne pas une seule oeuvre exposée) et construit toute son argumentation anti-Birnbaum sur le choix du titre de la Biennale Fare Mondi / Making Worlds, qui justement ne se traduit pas par ‘Construire des mondes’ (Building Worlds), mais plutôt par ‘Faire des mondes’ (l’auteur n’est sans doute pas anglophone). In cauda venenum : Birnbaum sacrifierait l’art au tourisme, crime imprescriptible aux yeux de l’éditorialiste de ce site toujours aussi ‘progressiste’. Le critique anglophone András Szántó a produit un excellent décodage de cette fatuité.

2009-biennale-venise086-pistoletto.1245496179.JPGTrêve de ces âneries, visitons. Dans l’Arsenal, donc, juste après la très spectaculaire sculpture de Lygia Pape, une salle de miroirs brisés (tous sauf deux : Twenty two less two) dans lesquels on tente de reconnaître des formes, des géographies, des fantômes; au sol, un maillet, du verre brisé, traces de l’action : quelque chose a eu lieu ici, un drame, un exorcisme peut-être, une catharsis. Je n’ai pu hélas assister à la performance de Michelangelo Pistoletto brisant de toute son énergie ces grands miroirs encadrés, comme une tentative d’échapper à la prison de verre, de libérer l’énergie bouillonnante enfermée là, mais en voici néanmoins une photo, en haut.

Plus loin Goshka Macuga (dont j’avais récemment aimé le Guernica) a construit un arc de triomphe dérisoire, tapis entourant deux colonnes comme le S sinue autour des barres dans le signe $. Sur la bannière impériale, des portraits de chefs d’état (pas le nôtre, apparemment). Il faut passer sous l’arche, faire allégeance au dollar et au pouvoir pour poursuivre plus avant, plus ultra.
goshka-macuga.1245496228.JPG

Une des plus belles installations de l’Arsenal est celle du Camerounais Pascale Marthine Thayou, 2009-biennale-venise090-thayou.1245496287.JPGgrand village simplement nommé Human Being, où on va de hutte en bâtisse, écoutant les bruits des artisans, le marteau des forgerons, le bavardage des couturières, le chant des ouvriers. On s’immerge dans les visions et les bruits de ce petit monde au travail, même les odeurs sont là; puis on regarde attentivement les vidéos projetées sur des écrans de fortune et le monde entier est présent, scènes d’Asie, d’Italie se mêlant à celles d’Afrique. Le monde entier est convoqué à l’échelle du village africain. Au delà de son charme immédiat, c’est une oeuvre qui nous parle de mondialisation et de crise bien plus efficacement que l’auteur ci-dessus.

2009-biennale-venise094-chan.1245496308.JPG
La vidéo de Paul Chan en ombres chinoises (Sade for Sade’s sake) évoque les vases grecs à figures noires, avec ses personnages impliqués dans des activités sexuelles et religieuses (ou les deux à la fois). Ulla von Brandeburg a reconstitué son dispositif théâtral de rideaux qui débouche ici sur un film tourné à la Villa Savoye dans la froideur corbusiérienne où quelques personnages tentent vainement d’apporter un peu de vie sur une très belle musique de Lieder (Singspiel) : une belle poursuite de sa réflexion sur le théâtre et l’espace.

2009-biennale-venise195-meireles.1245496337.JPGTout aussi théâtrale est l’installation Pling pling de Cildo Meireles qui nous fait passer de pièce en pièce par tout le spectre des couleurs : six salles en chicane, chacune absolument englobante, monochrome des murs et de l’écran. Meireles combine magistralement ici son travail conceptuel et sa capacité à rendre magiques des installations toutes simples.

2009-biennale-venise098-finch.1245496368.JPGDans le reste de l’Arsenal, les politiquement corrects trouveront même un artiste tibétain, les amateurs d’effet conceptuel aimeront les vitraux de Spencer Finch (Moonlight), les amoureux facétieux iront habiter les sculptures de Miranda July, les explorateurs s’aventureront dans le marais de Lara Favaretto et les sportifs feront des anneaux chez Bill Forsythe. Citons encore les cordes de cheveux de Sheela Gowda, les mains de Bouddha géantes de Huang Yong Ping et les bouts d’asphalte parsemés ici et là de Renata Lucas.

Voilà tout ce qu’on peut voir à l’Arsenal du travail de Daniel Birnbaum quand on ouvre les yeux au lieu de s’en tenir à des préjugés éculés. Allez voir (jusqu’au 22 novembre) !

Photos 2, 4, 5, 6 et 7 de l’auteur; photo 1 D.R.; photo 3 courtoisie du service de presse de la Biennale.

10 réflexions sur “Venise 5 : Une cabale contre Daniel Birnbaum ?

  1. Oui, ce sont ces colonnes d’Hercule que Charles Quint (dont la devise était Plus Ultra) a incorporées dans les armes d’Espagne et qui ensuite sont devenues le symbole du dollar. http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Escudo_de_Espa%C3%B1a_(mazonado).svg
    C’est une tapisserie (en écho à la passion de l’Empereur pour les tapisseries flamandes) et pas une peinture. Le bas-relief de l’Hôtel de Ville de Séville vers lequel vous faites un lien est d’ailleurs reproduit dans la notice de Macuga du catalogue de la Biennale.

    J’aime

  2. Vince Vint@ge dit :

     » Pling pling « , c’est pas bling bling, mais beau.
    Kiff suprême.
    (Lilas. Bleu Pastel. Vert Veronèse. A l’aise Blaise.)
    J’achète !

    J’aime

  3. legave dit :

    Remerciements
    Juste un petit mot pour te dire merci pour cette visite de la biennale. Je n’y suis pas allé depuis 1984, mais grâce à toi je vois les pièces et pavillons, un peu, beaucoup…parfois j’aimerais plus de photos, mais c’est peut être trop demander. Alors merci encore.

    J’aime

  4. Mon manège à moi ... je suis toujours à la fête ... pour m'étourdir ... dit :

    et moi j’en ai le vertige, du travail par dessus la tête, à peine le temps de déjeuner et de venir sur les blogs que j’aime, et toi surtout, « marchand de venise » aux mille bijoux, tapisseries, objets d’art, surprises, déceptions, étonnements, je n’arrive pas à te suivre : tant d’informations, tant de remarques, tant de photos, tant de liens à explorer, tant de sédiments à laisser doucement se poser, tant de grains à trier de l’ivraie, tant de limons pour fertiliser mon jardin, tant de réflexions qui fusent à partir parfois de 3 lignes uniquement, peser le pour le contre, ce qui est richesse intellectuelle, rebut, matière à débat, à recherches plus poussées ….

    Tu me fais tourner la tête …

    J’aime

  5. snake society dit :

    Cher L.R.
    Avec tout le respect que j’ai pour votre regard, et tout en sachant la difficulté de votre tâche, je vous invite, comme mes deux camarades des deux premiers commentaires à reconsidérer Plus Ultra, de Goshka Maçuga. A mon sens, elle cache un jeu d’interprétation profond et complexe derrière son apparence que certains qualifieront de « dérisoire », d’autres de « naïve ». Un jeu d’interprétation qui aura probablement raisonné en Daniel Birnbaum et Jochen Volz dans l’intitulé de la Biennale « Making Worlds ». A nouveau Macuga propose une vision de l’histoire contemporaine sous le prisme d’une vision de l’histoire au long cours. Sans vouloir entrer dans les détails (tapisserie, colonnes d’hercules, charles V, le $, les clandestins, les dirigeants politiques), Macuga nous invite à réfléchir aux concepts de frontière et de pouvoir sous un angle dynamique et finalement tragique. Elle a recours à l’interprétation iconographique (tel Aby Warburg) du symbole colonne d’hercules pour poser la question suivante: les Twin Towers étaient les colonnes d’hercules de notre monde contemporain (c’est à dire la porte et la frontière de l’empire, du monde connu et sécurisé), après leur destruction que faire de notre monde ? Certains ont répondu par le passé et répondent toujours « Plus Ultra », d’autres traversent des mers en radeau, les artistes make worlds, et nous? En effet, il est possible que nous vivions un moment particulier de l’Histoire depuis la destruction de ces colonnes? Nous n’en sommes probablement pas conscients et nous ne pouvons le savoir réellement au présent. Cela étant, la question mérite d’être posée en une « ville-monde » comme Venise, dans un Arsenal chargé d’histoires de conquêtes, de guerres et d’art, lors d’un événement mondial comme la Biennale de Venise. J’ajouterai qu’à mon sens Plus Ultra est le dernier panneau d’un triptyque composé de deux autres installations de Macuga: « I Am Become Death », Kunshalle Basel, janvier 2009, et « The Nature of The Beast », Whitechapel Gallery, avril 2009. Je ne peux m’empêcher de vous citer: « La force de l’installation de Macuga est qu’elle nous inspire, qu’elle nous invite à réfléchir au passé et à l’utiliser aujourd’hui, qu’elle est, en un mot, pertinente. » En vous remerciant pour votre travail.

    J’aime

  6. Eh oui, quand on ne sait parler ni Anglais, ni Italien (qui sont les langues officielles de la Biennale), on est bien obligé de s’en remettre à des traductions approximatives : ni ‘Fare’ ni ‘To make’ ne se sont jamais traduits par ‘Construire’, mais par ‘Faire’. sinon, le titre aurait été ‘Costruire Mondi’ or ‘Building Worlds’.

    J’aime

Laisser un commentaire