Deux psycho-cartographes libertaires

La Kunsthalle de Düsseldorf présente (jusqu’au 17 février) une intéressante exposition où le travail cartographique, ou plutôt psycho-géographique de Öyvind Fahlström (mort en 1976 à 48 ans) et de Simon Evans (né en 1972) est mis en parallèle. Il s’agit ici de représentations du monde, d’un monde, de ses lois, de ses règles, des normes, des grilles et des diagrammes, d’un ordre en somme, et donc de la contestation de cet ordre. Alors que la contestation de Fahlström se situe plutôt dans le domaine politique et social (par exemple dans son World Trade Monopoly), celle d’Evans semble plus anarchiste, plus jouissive, plus situationniste aussi : c’est l’ensemble des règles de vie qu’il remet en question dans une pièce comme Shitty Heaven.

Simon Evans, Shitty Heaven, 2010, Tape, paper, felt tip pen on paper, CP

Là où Fahlström dessine des diagrammes labyrinthiques bien précis, conceptualisés et basés sur des faits, soigneusement légendés et avec des couleurs assez BD ou pop (par exemple Column n°4), Evans a un trait plus nerveux, plus désordonné, moins lisible (et, de toute manière, il faudrait une loupe et des heures pour tout lire) et plus souvent en noir et blanc (par exemple Life Garage Sale, ci-dessous); comme de plus il semble dyslexique, ses collages de mots s’insurgent contre le ‘capatalism’ ou nous exhortent à ‘brake the rules’. Et son humour décalé est percutant, à côté du plus sérieux Fahlström.

Simon Evans, Life Garage Sales, 2010, Paper, tape, pen, tippex, Courtesy Galeria Fortes Vilaça

Fahlström crée des jeux, Monopoly et Domino : Guy Debord avait inventé un Jeu de la guerre (auquel on peut jouer ici). Le jeu aide à clarifier la pensée. De Debord, ce sont plutôt les dérives qui inspirent Evans (How to get lost).

Simon Evans, How to get lost, 2012, Foil from candy and cigarette packs, google map of Dusseldorf printout, paper, tape, pen, The Ella Fontanals-Cisneros Collection Miami, Fl.

De Fahlström, on voit aussi un jeu de souffle et de combat, Green Pool : flottant sur une cuvette d’eau verte, sept soldats et huit animaux sauvages sont prêts à s’affronter. Un léger souffle les projette les uns contre les autres.

En somme, chacun d’eux, en créant ses propres règles (de composition, de jeu ou d’orthographe), casse les règles que le monde voudrait lui imposer. Nos deux cartographes sont, chacun à sa manière, des libertaires dangereux pour l’ordre établi.

 

Yin Xiuzhen, Bookshelf No. 2, 2009, Clothes, wood, bookshelf, 226 x 126 x 43 cm, Courtesy of The Pace Gallery, Beijing

Yin Xiuzhen, Bookshelf No. 1, 2009, Clothes, wood, bookshelf, 226 x 126 x 43 cm, Courtesy of The Pace Gallery, Beijing

Le reste de la Kunsthalle est consacré (jusqu’au 10 mars) à l’artiste chinoise Yin Xiuzhen (dont on a pu voir à Paris les valises-villes) : de grandes installations spectaculaires souvent un peu trop évidentes, coeur rouge ou cerveau bleu géants faits de tissus. J’ai préféré ses pièces plus discrètes, plus ambiguës, comme ces étagères qui, d’un côté présentent la structure linéaire de dos de livres soigneusement rangés, et de l’autre un fouillis de vêtements froissés, ou comme sa série de photos de portes. Les performances éphémères qu’elle a réalisées dans la campagne chinoise, simplement documentées ici par des photos, semblent plus complexes, plus critiques, moins simplistes.

Photos courtoisie de la Kunsthalle, excepté la n°6 de l’auteur. Fahlström étant représenté par l’ADAGP, les photos de ses oeuvres ont été ôtées du blog au bout d’un mois.
Voyage à l’invitation de l’Office du Tourisme de Düsseldorf et de Thalys. 

7 réflexions sur “Deux psycho-cartographes libertaires

  1. bono dit :

    Si cette exposition laisse à penser, par ses choix, que l’on puisse qualifier le travail de Falhström de « moins situationniste » ou plus sérieux,
    lui, qui d’ailleurs n’a jamais été situationniste ;
    et pour qui connait son travail,
    les grandes oeuvres graphiques en noir et blanc du centre Pompidou disent le contraire,
    comme celles aussi, des années 50,
    proches de l’esprit lettriste ou de Cobra.

    [je ne parle que des oeuvres exposées là, pas de l’ensemble de son oeuvre, j’en parle non dans l’absolu, mais en comparaison avec Evans, et je ne crois pas avoir écrit qu’il avait été situationniste, j’ai seulement évoqué Debord à propos de l’utilisation de jeux de société]

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  2. Le Verger des Muses dit :

    @ Lunettes rouges. C’est comment Dusseldorf sinon ? Ça bouillonne plus qu’en France ? Parce qu’à Paris, hormis les expos monstres (Hopper, Dali, a venir Keith Haring), c’est mort. Les peintres enchainent les vanités et les images floues post-Richter, les installationnistes aigus combinent les pois avec les rayures pour rivaliser avec l’ameublement Ikea, les photographes shootent les traces de pas dans la neige ou les restes de menstruations dans les slips post-Nan Goldin, bonjour la poesie contemporaine ! (Houellebecq fait ecole), les street artistes s’officialisent au musee, les dessinateurs dessinent leur nombril et les videastes ont la tremblotte aiguë. En prime les catalogues de galeristes nous vendent leur soupe, blablabla blablabla, comme s’ils avaient trouve le nouveau Picasso ou le nouveau Basquiat. Bref on se fait litteralement chier en galeries, en tout cas je parle pour moi !

    [Oui, parlez pour vous, nous n’avons clairement pas la même vision]

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  3. Je ne sais pas mais en regardant bien,il y a quelque chose d’intéressantde Simon Evans,dans Life sales garage,et,How to get lost,des couleurs pastel et un graphisme très manuel qui rappelle les vieux manuscrit avec leur miniatures,sans compter la patience qu’il a pour écrire tous ces textes ,c’est impressionnant!

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  4. Andrée Pudubecque dit :

    Ah Mr Lunettes Rouges !! ,je lis votre commentaire et j’en suis fort aise. Et ben VOUS VOYEZ BIEN qu’on s’emmerde au bout d’un moment avec l’art contemporain…hein ???
    Ou sont passés vos fervents et ardents enthousiasmes d’ il y a quelques années…hein ??? Il fallait bien que « jeunesse, en matière d’art contemporain, se passe ». Maintenant que vous avez fait le tour (cela dit un tour, que dis-je , quel tour !! un marathon !!!) Vous commencez à vous lasser…..
    Courage !! Tenez bon !!
    Salutations Distingish….

    Andrée

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