Le Temps et l’Amour, le Temps et le Mensonge

Pierre Mignard, Le Temps coupant les ailes de l’Amour, 1694, huile sur toile, 62 x 47,2 cm, coll. Guy et Héléna Motais de Narbonne.

en espagnol

L’exposition Allegoria, dans le bâtiment (difficile à trouver) des anciennes écuries du Parc de Sceaux (jusqu’au 14 janvier) tient un discours riche et documenté sur l’allégorie au XVIIe siècle en France. Une fois n’est pas coutume, les panneaux explicatifs sont très clairs, aussi bien pour un historien d’art que pour un simple curieux, ce dont il faut sans doute remercier son commissaire, Dominique Brême. En voici ci-dessous un excellent exemple, une présentation allégorique de l’univers par le graveur Jean Théodore de Bry, « Miroir de l’entière nature et image de l’art », qui illustre le livre publié en 1617 Histoire métaphysique, physique et technique de l’un et l’autre monde, à savoir du grand et du petit, de Robert Fludd (l’homme du premier monochrome noir) : sans entrer ici dans les détails (que vous pouvez lire ici, pages 8 et 9), on y trouve ordonnés le minéral, le végétal, l’animal, l’humain, les planètes, les étoiles et les sphères célestes; plus on s’élève et plus on est léger, dépouillé de la vile matière. On le voit, l’intelligence de cette exposition est de combiner concepts et images : une part importante est dédiée aux livres fondateurs de l’iconographie des allégories, et d’abord Iconologia de Cesare Ripa (1593) qui fut une référence pour tous les peintres classiques, même s’ils prirent bien des libertés avec ses préconisations.

Jean Théodore de Bry, Integrae Naturae Speculum Artisque Imago, dans Robert Fludd,
Utriusque Cosmi Majoris scilicet et Minoris Metaphysica, Physica atque Technica Historia,
Oppenheim, 1617.

Certes, il n’y a que 25 toiles (plus de nombreux livres, des objets, des reproductions d’oeuvres du Louvre ou d’ailleurs – comme six des Arts Libéraux de La Hyre, seule L’Astronomie étant présente ici -, et quelques gravures et dessins) : nul chef d’oeuvre incontournable, mais des oeuvres de Philippe de Champaigne et de son neveu, de La Hyre, de Le Brun, et d’autres moins connus. Mais ces quelques toiles illustrent fort bien les thèmes de l’exposition. Une des allégories les plus réjouissantes est celle, en haut, peinte par Pierre Mignard : le Temps, vieillard ailé, chenu, barbu et sinistre, avec faux et sablier, dompte ici et, disons, castre en quelque sorte une autre allégorie commune, celle de l’Amour, qui proteste en vain. Le Temps triomphe de tout, de l’Amour, mais aussi de la Beauté, de la Gloire et du Mensonge (voir le Botti ci-dessous) ; les sentiments s’émoussent, le désordre amoureux s’estompe (mais que faire quand c’est Vénus elle-même, aidée de la sage Minerve, qui coupe les ailes de Cupidon désemparé, afin qu’il ne soit plus volage ?).

Simon Renard de Saint-André, Vanité, vers 1660, huile sur toile, 50,5 x 60,4 cm, coll. Guy et Héléna Motais de Narbonne.

On y découvre le sens de nombreux symboles, la pyramide, l’oeuf, les fleurs et les fruits (grenade = unité ; figue = sexe ; pomme = amour défendu, pêche = vérité), la métaphore du papillon (la chenille est notre vie humaine, la chrysalide notre tombeau, le papillon notre résurrection). La nature morte ci-dessus, de Simon Renard de Saint-André, est une Vanité reprenant tous les signes du genre (lequel, en tant qu’allégorie morale, n’apparaît qu’au début du XVIIe siècle) : on y retrouve des objets symbolisant les biens matériels et les plaisirs de ce bas monde (instruments de musique, partitions, étoffes précieuses), des objets rappelant la morale et la nécessité de méditer sur le sens de la vie (livre religieux avec les scènes de la Résurrection des morts et du Jugement dernier, coquillages vides, et le serpent, symbole du mal), d’autres évoquant la fuite du temps et la mort inéluctable (outre le crâne renversé, sablier, chandelle s’éteignant), et enfin le papillon, promesse d’une vie au-delà de la mort.

Francesco Botti, Le Temps arrachant le masque du Mensonge, vers 1680-1690, huile sur toile, 76 x 94 cm, coll. Guy et Héléna Motais de Narbonne ; photo de l’auteur.

Plus de la moitié des oeuvres viennent de collections particulières, dont celle-ci (et aussi). La quasi-totalité des toiles sont de peintres français ; seules exceptions un anonyme flamand sur les cinq sens, et Le Temps arrachant le Masque du Mensonge du Florentin Francesco Botti, beau tableau caravagesque où le mensonge est non seulement masqué (comme nos médias et nos gouvernants nous le montrent chaque jour), mais se révèle aussi être une femme travestie … La dernière section, tout aussi importante historiquement, est moins excitante d’un point de vue iconographique : comment les allégories ont-elles servi à l’éducation des princes, et plus généralement à l’exaltation des vertus du pouvoir. Une belle exposition fort instructive, qu’on peut compléter par la visite du Pavillon de l’Aurore, dans le Parc de Sceaux. On regrettera l’absence de catalogue, d’autant plus que le seul livre disponible dans la petite librairie porte justement sur cette dernière section.

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