Jouer contre les appareils, à Nantes

en espagnol

Ceci n’est pas une critique d’exposition, mais une recension de l’exposition que Xavier Navatte et moi-même avons conçue et organisée dans la galerie municipale L’Atelier à Nantes (jusqu’au 10 mars ; compte Instagram). Les cartels dans l’exposition sont repris ici.

Pour la première fois à Nantes, une exposition présente 17 artistes pratiquant une photographie dite expérimentale. Malgré son importance dans l’histoire de la photographie, son inventivité et sa poétique sans cesse renouvelées, cette pratique est peu montrée. Cette photographie parcourt l’ensemble du 20e siècle, des avant-gardes des années 20 aux surréalistes, et se développe jusqu’à nos jours. Jouer contre les appareils est une exposition qui vise à mettre en avant cette pratique artistique et en faire découvrir la vitalité.

La photographie expérimentale, c’est jouer avec les appareils, ne pas respecter les règles habituelles de la photographie, en détourner les pratiques, photographier sans appareil ou sans objectif, dévier des normes de développement ou de tirage. C’est voir dans la photographie non pas un moyen de représenter le monde, mais un médium avec lequel on peut jouer de diverses manières.

Les 17 artistes (dont un duo) présentés dans cette exposition (ci-dessous par ordre alphabétique) se distinguent donc par leur non-respect des règles habituelles de la photographie conventionnelle. La photographie est considérée par eux comme un ensemble de programmes que tous les photographes doivent respecter : appareil photographique, objectif, règles de prise de vue, de développement et de tirage. Certains n’ont pas d’appareil (les plus nombreux ici), d’autres un appareil sans objectif, d’autres perturbent délibérément les règles de fonctionnement de la photographie, ne respectant pas les normes établies en matière de, chimie, de processus, de lumière ou de temps.

Tous ces photographes pratiquent une démarche autoréflexive sur ce qu’est la photographie, ils suivent le plus souvent des processus rigoureux, ils se démarquent de la fonction purement représentative de la photographie, ils laissent une part au hasard et acceptent de perdre quelque peu le contrôle. En somme, ils jouent avec et contre les appareils. Cette conception de la photographie expérimentale comme un moyen de refuser les règles imposées a été en particulier développée par le philosophe tchéco-brésilien Vilém Flusser dans son livre Pour une Philosophie de la Photographie (Éditions Circé).

Morgane Adawi, 8 Surfaces sensibles, 2014. Tirages jet d’encre sur papier Epson, chacun 20x20cm. Collection Marc Lenot. Photo de l’auteur.

Morgane Adawi (1988) était étudiante à l’École Nationale Supérieure de la Photographie quand elle a réalisé ce travail. Ici, son corps n’est plus simplement motif à représentation mais devient un véritable matériau à explorer, modeler, expérimenter afin d’en ressentir les contours, les volumes, les surfaces mais aussi les sensations et les limites de la perception. Ces photographies sont des empreintes directes de ses seins et de sa vulve, qu’elle avait enduits de révélateur photographique (après avoir appliqué une crème protectrice) avant d’y apposer une feuille de papier photosensible sous lumière inactinique (rouge).
Ce travail interroge la féminité, la sexualité et le rapport au corps, il met l’accent sur la répétition du geste et sur l’implication physique jusqu’à épuisement. Il amène aussi une réflexion sur l’empreinte corporelle, qu’on peut relier aux métaphores de la Véronique et du Saint Suaire.

Patrick Bailly-Maître-Grand, 4 Les Gouttes de Niépce, 2006. Tirage argentique 53x53cm. Prêt galerie Baudoin Lebon. Photo de l’auteur.

Patrick Bailly-Maître-Grand (1945) est un des plus importants photographes expérimentaux français, qui ne cesse d’explorer de nouveaux procédés pour aller au-delà d’une représentation fidèle de la réalité. Dans ces Gouttes de Niépce, l’artiste compose des optiques baroques en utilisant, au lieu d’une lentille de verre, des gouttes de gélatine alimentaire à travers lesquelles il photographie un paysage. Il photographie ensuite ce même paysage avec une mise au point floue, puis superpose ces deux images en un seul montage. Ce bricolage laborieux évoque les débuts de la photographie quand tout était à découvrir avec une boîte, un bout de verre, de la chimie et du hasard.

Patrick Bailly-Maître-Grand, Les Gémelles, 1997. Tirage argentique, image 80x60cm. Collection Marc Lenot. Photo de l’auteur.

Les Gémelles présentées ici, images sombres de vieux miroirs, sont le duplicata argentique d’une paire de monotypes directs, un négatif originel et le positif qui en fut tiré par contact, sans qu’on sache lequel est lequel : il est donc impossible de savoir, par exemple, si le noir est signe de lumière dans le négatif ou bien d’absence de lumière dans le positif. Dans ce vide opaque, aveugle, mystérieusement, aucune image ne se reflète, l’objectif du photographe est invisible par on ne sait trop quel artifice : ce n’est pas une mise en abyme, mais une disparition de la représentation, un memento mori. La couverture de la première édition française du livre essentiel de Vilém Flusser, Pour une Philosophie de la photographie, était illustrée de deux Gémelles.

Patrick Bailly-Maître-Grand, Les Fourmis, 2002. Tirage argentique, image 60x50cm. Prêt galerie Baudoin Lebon. Photo de l’auteur.

D’autres pièces de Patrick Bailly-Maître-Grand sont des expérimentations avec des insectes, mouches, fourmis, araignées. Dans l’obscurité de l’atelier, des araignées furent enfermées entre deux plaques de verre triangulaires, posées directement sur du papier photographique. Il suffit d’un coup de flash pour figer leur ombre sur le papier photosensible, et obtenir cette écriture chorégraphique. Une année où, chez l’artiste, les mouches proliféraient, il en captura un grand nombre sur des bandes de papier gluant suspendues au plafond : ces bandes transparentes saturées de cadavres de mouches furent ensuite posées sur du papier photographique afin d’obtenir un photogramme, dont l’image peut évoquer une partition musicale. Laissant éclore des vers à mouche dans un dispositif en verre avec un papier millimétré, l’artiste photographie les mouches de manière aléatoire quand elles se posent sur le papier, au hasard de leurs pérégrinations. Une seule fourmi (ci-dessus) posée sur une plaque entourée d’eau se déplace dans sa prison millimétrée, cherchant inlassablement une sortie. L’artiste la photographie à chaque pas de son errance, et superpose ces prises de vue à la verticale.

Rossella Bellusci, vue d’exposition, photo de l’auteur.

Dans les photographies diaphanes de Rossella Bellusci, artiste italienne vivant en France (1947), le sujet se dissout dans une lumière éblouissante si forte qu’elle détruit la représentation et ne laisse apparaître qu’une vibration de traits épurés, estompés, évanescents. Il faut les contempler longuement pour y voir apparaître enfin le simulacre d’une présence, au seuil du visible. Dans ces quatre Lignes-portraits d’Audrey et de Malika (sur les murs latéraux, très difficiles à photographier), une lumière éblouissante vide le visage de ces femmes de leurs traits individuels, tout en exaltant la pureté de leur ovale. Quant aux trois Fluorescenze (au fond), une figure issue de la lumière, sans traits ni contours, suspendue dans l’espace, semble avancer ou reculer selon les dispositions du regard. Le halo qui la nimbe crée le mouvement de cette vision fugitive. Ici, la lumière extrême détruit, sinon l’image, en tout cas sa représentation, sa visibilité, pour parvenir à une vision plus essentielle, plus mentale, au-delà de la photographie.

Christelle Boulé, Bluebell (Michael Pickthall, Penhaligon’s, 1978), 2016. Parfum sur papier photographique Fujicolor Crystal Archive, photogramme unique, 12x15cm. Collection Marc Lenot. Photo de l’auteur.

La photographe suisse-canadienne Christelle Boulé (1984) tente de représenter l’immatériel, de capter l’invisible, de révéler ce qu’on perçoit sans le voir. Fascinée par l’odorat, elle veut traduire en image l’expérience intime et fugitive de la perception d’un parfum. Dans la chambre noire, elle dépose une goutte de parfum sur le papier photographique ; la réaction chimique qui s’ensuit produit des formes fantomatiques, qu’elle révèle et fixe ensuite. Elle a ainsi obtenu l’image de 100 parfums, indiquant pour chacun le nom du « nez » qui l’a inventé et la maison qui le produit, ainsi que la date de création du parfum. Et parfois flotte encore une légère odeur sur le tirage. Celui-ci est décrit ainsi par le parfumeur : « Une promenade en forêt au milieu d’un tapis de jacinthes parfumées. Un pur bonheur. »

Évelyne Coutas, Thermogrammes, 1990 et 1991, vue d’exposition, photo H. Foucault
Évelyne Coutas, Images soufflées, 1992 & 2003, vue d’exposition, photo H. Foucault

Évelyne Coutas (1958) est venue à la photographie un peu par accident, ses expérimentations furent souvent des tâtonnements. Ses Thermogrammes sont des images obtenues à partir de photogrammes à taille humaine sur lesquels elle a posé son corps nu et en sueur : il y a non seulement une impression lumineuse de son corps sur la surface photosensible, comme pour tout photogramme, mais aussi une réaction des sels d’argent avec sa transpiration. Les traces évanescentes de cet événement intime et éphémère génèrent une « scriptographie » de son corps. A l’encontre des photogrammes d’objets où le corps humain n’intervient guère, il est ici objet et sujet, acteur et image. Plus intimes encore sont ses Images soufflées où c’est l’air émanant de sa bouche qui impressionne le papier photographique : une action au comble de la sensualité, un baiser photographique. Le trou béant à l’emplacement de la bouche, ses lèvres qui articulent des lettres, c’est sa manière à elle de capter photographiquement l’énergie de son corps.

Flora Fanzutti, Enfer et paradis, 2020. Chimigramme sur papier photo argentique, ensuite numérisé, impression jet d’encre, 53x67cm. Collection Marc Lenot. Photo de l’auteur.
Flora Fanzutti, 8 Vedute, 2021. Tirages uniques directs sur papier argentique, chacun 9,5x12cm. Photo de l’auteur.

Flora Fanzutti (1983) explore les limites du médium photographique et les interactions entre surface et profondeur, regardant la photographie comme une matière vivante avec laquelle elle dialogue. Elle travaille directement, manuellement sur le matériau photosensible et son geste artistique invite les accidents et les hasards. Enfer et paradis résulte de la réaction du papier photosensible à des stimuli chimiques et mécaniques, créant ainsi des formes originelles qui sont ensuite scannées et agrandies pour y faire surgir un paysage mental. Les Vedute (vues en italien) circulaires aux contours incertains naissent d’une exploration microscopique de la matière photographique, comme une fenêtre ouverte sur un monde mystérieux à la fois réel et imaginaire, entre mémoire, observation et manipulation du support photographique.

Henri Foucault, The Transmissing, 2012. Ensemble de photogrammes argentiques uniques, 96 panneaux de 50x60cm, soit 400x720cm. Photo de l’auteur.

Henri Foucault (1954) est à l’origine un sculpteur ; travaillant aux confins de la photographie et de la sculpture, il réalise des photogrammes de corps nus. L’image ainsi obtenue est ensuite percée de trous, dans une soustraction de matière, un creusement, qui évoquent la sculpture en taille directe, puis est placée sur une image identique : l’œuvre n’est plus seulement une empreinte, une silhouette sans perspective, mais devient un objet photographique en trois dimensions. La morsure des trous dans l’image se substitue au grain de la peau. La juxtaposition de cette vingtaine de corps qui chutent tête en bas crée une vibration lumineuse, une trépidation chatoyante. Cette tentative sculpturale de donner du volume à la photographie, de privilégier la masse plutôt que le contour du photogramme, relève d’une recherche expérimentale selon laquelle la photographie n’est plus seulement médium et représentation, mais où le matériau photographique devient une matière sculpturale.

Raymond Hains, Solarisation,1952. Solarisation sur papier, 29,5 x 23,5 cm. Prêt du Musée d’arts de Nantes. Photo de l’auteur.

La photographie est la base de la pratique artistique de Raymond Hains (1926-2005). Elle précède son travail sur les affiches et ses œuvres néo-réalistes. Découvrant la photographie en 1944, il devient assistant d’Emmanuel Sougez et expérimente dans son appartement photogrammes et solarisations, qu’il montre à André Breton ; il construit aussi des mécanismes complexes de réflexion et de distorsion de l’image, avec miroirs et morceaux de verre cannelés pour déconstruire la lumière, fragmenter l’image et la métamorphoser en lignes abstraites. Cette solarisation a été obtenue par une forte et brève exposition à la lumière blanche durant le développement en chambre noire. Il en résulte une inversion partielle des noirs et des blancs qui donne un résultat graphique saisissant. 

Chuck Kelton, Thought on mountains and valleys, Resist & A view, not from a window, 2017-2019. Prêt galerie Miranda. Photo de l’auteur.

L’artiste américain Chuck Kelton (1952) décrit son approche comme de la calligraphie avec la chimie et il croise différentes techniques, notamment le photogramme et le chimigramme, appliquant plusieurs couches de produits chimiques, parfois expirés : révélateurs, fixateurs, blanchisseurs, virages, comme au XIXe siècle. Il plie souvent le papier en deux, créant ainsi une rupture visuelle entre les deux parties de la feuille, comme une ligne d’horizon. Son travail est le fruit d’improvisations et d’erreurs contrôlées, en poussant le processus à ses limites. Ses œuvres abstraites peuvent évoquer des canyons, des montagnes, des océans, des forêts, comme des peintures à l’huile, des aquarelles, des dessins à la craie ou au fusain.

Jean-François Lecourt, de la série La balle crée l’image. Photo de l’auteur.
Jean-François Lecourt avec Isabelle Johansson, de la série La balle crée l’image. Photo de l’auteur.

Jean-François Lecourt (1958) construit une camera obscura dépourvue de trou, avec un papier photosensible sur la paroi verticale du fond, puis, face à la boîte, il tire au fusil, au pistolet ou à l’arc. L’orifice créé par l’impact de la balle dans la paroi frontale est donc un sténopé. Le faisceau lumineux ainsi obtenu se projette sur la surface sensible et l’impressionne ; en même temps, la balle (ou la flèche) percute la paroi du fond et fait un trou dans la surface sensible. L’artiste reste immobile quelques instants, jusqu’à ce qu’un assistant recouvre la boîte d’un tissu opaque, interrompant ainsi la prise de vue. La trace mécanique de l’impact se trouve quasi exactement à l’emplacement du canon du fusil sur la photographie ainsi obtenue. Ces autoportraits performatifs sont une expérience des limites de l’acte photographique, et un démontage de ses rouages : c’est l’acte de violence qui crée l’image.

Nino Migliori, Ossidazione, 1953. Tirage argentique avec oxydation chimique, 35.5x32cm. Collection Marc Lenot. Photo de l’auteur.

A côté d’une carrière de photographe documentaire, l’Italien Nino Migliori (1926) a été un des pionniers de l’expérimentation photographique, et en particulier des manipulations chimiques de l’image (ainsi que des polaroïds). C’est par hasard qu’il a réalisé ses premières Oxydations, curieux de voir le résultat d’un mélange de révélateur et de fixateur dans le bac de développement. Allant délibérément à l’encontre des règles établies et de l’esthétique traditionnelle, il veut reprendre le contrôle au moment du développement et du tirage, affirmant une autonomie humaine face au dispositif photographique. Il fut un des premiers à refuser le postulat que la photographie ne doit être qu’une représentation de la réalité.

Xavier Navatte, Les reflets réciproques, 2022. Épreuve pigmentaire, 93x147cm. Photo de l’artiste.

Xavier Navatte (1957) tente de capter des situations suggérant une certaine conscience du temps, de son mouvement comme de son apparente immobilité, il veut appréhender le corps, la figure ou l’objet comme une présence fugitive. Ses représentations humaines se réduisent à une forme ou à une silhouette débarrassées de tous détails superflus, ce sont des présences dénuées d’identité, des contours flous, en passe de devenir des absences. Dans cette pièce, on voit d’abord une pluie, une pluie de couleurs, une pluie de formes allongées se détachant sur un fond noir moucheté de petits points blancs, rayés parfois. De plus près, on comprend que ces formes allongées sont des lambeaux d’émulsion arrachés à des pellicules, des fragments déchiquetés. Ces peaux photographiques prélevées, décollées, arrachées ont ensuite été déposées sur un autre support photographique.

Les Époux P., Couchers de soleils universels, 2022. Installation photographique d’impressions de clichés autochromes sur verre, 90X195X30cm. Photo de l’auteur.

Pascale (1962) et Damien (1961) Peyret font œuvre commune depuis 2015 sous le nom suranné de « Les Époux P. »  Ils explorent le champ de la mémoire des lieux et des objets, investissant les problématiques de territoire avec la rencontre des habitants, l’observation du bâti, l’analyse des archives. Cette recherche est souvent conjuguée avec une exploration des techniques photographiques récentes ou anciennes. L’installation Coucher de soleil universel s’inspire du rituel de projection conçu par Albert Kahn pour ses invités à Boulogne : chaque séance s’achevait par un coucher de soleil photographié par l’un de ses opérateurs autour du monde, à Carthage, Dehli, Haïfa, Suweida, Constantinople, … Parmi le millier d’autochromes de crépuscules disponibles au Musée Albert Kahn (Archives de la Planète), ils en ont reproduit cinq fois 24 sur de fines lamelles de verre, arrangées en cinq couronnes solaires qui sont glissées dans des supports en bois rappelant les boites de conservation originales des autochromes. C’est comme un hymne cosmique à la beauté́ du monde, reflétant le pacifisme d’Albert Kahn.

Pierre Savatier, Plissé-quadrillé (2009), 2 Froissés (2006) & 2 Quadrillés pliés (2011). Vue d’exposition. Photo H. Foucault.

Pierre Savatier (1954) utilise principalement la technique du photogramme, comme c’est le cas dans 5 des 7 œuvres présentées ici.  Lors de l’insolation, la lumière agit sous le double registre du contact et de la projection, de la netteté et du flou. Pour lui, travailler avec la lumière sur l’idée de vision, c’est ouvrir la possibilité de l’imaginaire. Son questionnement est : « Que montrer du réel qui ne puisse être vu autrement ? » Les tissus sont parmi ses objets de prédilection, la lumière tombant sur leurs plis et leurs froissements. Les Froissés sont des photogrammes réalisés avec une lumière rasante qui traverse, se diffuse ou bute sur un tissu froissé. Ils évoquent des surfaces minérales érodées. Le Plissé quadrillé est un photogramme de relevé des plis d’un tissu au moyen d’un quadrillage lumineux, comme un paysage imaginaire. C’est l’accumulation des traits de lumière qui révèle la vue dans son ensemble et surexpose ses marges. Vu la fin de production des papiers Cibachrome, Savatier réalise maintenant des « scanogrammes », comme ces deux Quadrillés pliés.  La souplesse, la transparence et la grille se mêlent pour montrer un morceau de tissu mais aussi pour dessiner une abstraction.

Pierre Savatier, France géologique (2007) & Quadrillé coloré (2011). Vue d’exposition. Photo de l’auteur.

Le Quadrillé coloré, réalisé selon la même méthode, montre un motif « écossais » aux couleurs fondues du fait des variations régulières colorées des traits de lumière. On voit ainsi les mélanges que la lumière colorée produit. La France géologique ressortit du même procédé, avec l’utilisation d’une carte dépliée.

Laure Tiberghien, 2 Affresco (2023) & 3 Séquence (2019). Vue d’exposition. Photo de l’auteur.

Laure Tiberghien (1992) explore les limites du médium photographique en questionnant ses deux éléments fondamentaux, la lumière et le temps. Au fil de ses expérimentations, elle s’est libérée de la contrainte du sujet pour revenir à l’outil photographique le plus simple, l’image dans sa matérialité même. Ce qu’elle fixe, sans l’emprisonner, c’est l’enregistrement de l’action directe de rayons lumineux sur une surface sensible. Elle célèbre le papier photographique comme un corps et comme une substance (Michel Poivert). Elle crée des objets photographiques non reproductibles et donc uniques, à l’aide d’un dispositif technique (agrandisseur, filtres couleur, gélatines, plaques de verre, lampes torches et téléphone portable) dans l’obscurité. En cherchant à explorer le spectre lumineux et à matérialiser cet invisible, Laure Tiberghien accueille toute sorte de lumière et propose des images qui deviennent autant des espaces méditatifs qu’un retour à l’essence de la photographie.

Nancy Wilson-Pajic, Falling Angels # 12 (Letters), 1995-1997. Cyanotype, 142x200cm. Prêt galerie Miranda. Photo de l’auteur.

L’artiste américaine installée en France Nancy Wilson-Pajic (1941), par ailleurs connue pour son travail féministe autour du texte et du son, s’est imposée depuis 1980 comme une précurseure de la photographie expérimentale, du fait de ses expérimentations avec des procédés photographiques traditionnels, comme la gomme bichromatée, le tirage au charbon, le photogramme, le cyanotype, …
Pour elle, un photogramme n’est pas vraiment une image, mais plutôt une empreinte, un témoignage de l’existence du sujet, qui ne s’y substitue pas. Ses Falling Angels, des photogrammes d’anges chutant des cieux tête en bas, sont entourés d’une constellation d’objets ayant causé leur chute : des dollars, des couronnes de laurier, des photographies, ici des lettres … La série Les Divas est constituée de photogrammes de costumes de théâtre du musée de Monaco.

Nancy Wilson-Pajic, Gazelle 2 (série Les Divas), 2004. Cyanotype, 113x200cm. Prêt galerie Miranda. Photo de l’auteur.

Nous remercions chaleureusement les artistes pour leurs prêts et leur collaboration, ainsi que le Musée d’arts de Nantes, la galerie Miranda, la galerie Baudoin Lebon ; et nous remercions les équipes de la Ville de Nantes et de l’Atelier pour leur soutien et leur confiance.



2 réflexions sur “Jouer contre les appareils, à Nantes

  1. Pourquoi ne pas avoir montré ici des expérimentations sur les autres dispositifs ou les autres rayonnements (radiographie…) ?

    [Parce que construire une exposition, c’est un choix, en fonction de l’espace, du budget et des préférences des commissaires]

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  2. Furic Gwenola dit :

    Bonjour,

    Très belle et intéressante exposition, et merci d’en publier les textes ici !

    J’ai retrouvé avec plaisir des productions d’artistes avec lesquel.le.s j’ai appris beaucoup de choses lors de formations pratiques, comme Nancy Wilson-Pajic et Patrick Bailly Maître-Grand notamment.

    Je suis très touchée par l’évocation de cette matérialité à laquelle je suis très sensible et qui est le sel de mon métier (la conservation-restauration de photographies).

    [Merci. je présume que vous avez vu l’exposition à la BnF]

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