Dormir à l’asile

House of Dreams, Ilya & Emilia Kabakov, Serpentine Gallery à Londres, jusqu’au 8 Janvier.

Reproductions des œuvres retirées à titre conservatoire, suite à une demande du représentant des ayants-droit.

  Entrez dans cet hôpital, cet asile, mettez des chaussons blancs sur vos chaussures, passez entre les murs couverts de draps blancs, allez plutôt à gauche, côté parc. Quatre alcôves, quatre lits autour desquels les rideaux blancs sont tirés, comme à l’hôpital quand quelqu’un meurt. Installez-vous sur un de ces lits légèrement incliné (sarcophage, lit d’hôpital ou divan d’analyste), regardez le parc, les passants qui vous dévisagent, endormez-vous, rêvez. Il y a place pour deux, c’est intime, partagez vos rêves, mais restez sages, les gardes/infirmiers veillent. Dormez, rêvez (venez ensuite parler de vos rêves, tous les mercredis après-midi).

 Vous ne dormez pas assez, vous ne rêvez pas assez, nous disent les époux Kabakov, profitez de l’espace de liberté que nous vous offrons ici, échappez à vos angoisses, à votre stress, libérez vous par le sommeil. Ils savent, eux, ils sont russes:  dans l’univers d’où ils viennent, l’asile était le seul espace de liberté, le seul endroit où, étant fou, on pouvait dire ce qu’on voulait, échapper à la censure car irresponsable, fou. Relisez aussi Le Pavillon des Cancéreux de Soljenitsyne.

 Dans la rotonde centrale, quatre mausolées blancs. En haut de chacun, un lit, inatteignable. Mais dans chacune des tours, une porte. Ouvrez, vous entrez dans une cellule étroite, avec un lit dur et exigu. Sur les tentures, des lanternes magiques projettent oiseaux, poissons, pégases, fleurs, … Endormez-vous de nouveau. Vos rêves vous libèrent sans doute, mais ils vous confrontent aussi à vos monstres, à vos peurs et à vos fantasmes; la mort rode.   

Vous pouvez aussi voir une installation des Kabakov à Paris au musée Maillol (vérifiez avant, elle n’est pas toujours ouverte).

Photos provenant de telegraph.co.uk

Morte à 30 ans

Theresa Hak Kyung Cha, Peer Gallery (99 Hoxton Street, Londres) jusqu’au 17 Décembre.

Cha_2 Une galerie vide, personne, un interphone, une ouverture de porte automatique, trois écrans noir et blanc, personne.

Passages Paysages, c’est le titre.

Des images fixes, des photographies aux tons estompés, des mots comme écrits à la craie. Une voix à peine audible, en Anglais, en Coréen, et dans un Français un peu hésitant; la même voix, en même temps dans plusieurs langues, il faut prêter l’oreille.

Une impression de nostalgie, de mélancolie, de mondes perdus;

"Quelques moments qui me restent, qu’ils soient aussi bons que possibles, ces quelques moments qu’il me reste à vivre. Je ferme les yeux, je me souviens d’autres jours, c’est comme si je m’enfonçais dans le sommeil, le sommeil éternel."

Theresa Cha, née en Corée en 1951, émigrée en Californie en 1964, tuée par un garde en 1982 dans un immeuble inoccupé de Manhattan où elle était venue retrouver son mari, Richard Barnes, qui photographiait les lieux.      

Oeuvre mélancolique prémonitoire ? Peut-être, mais aussi un travail très conceptuel sur le langage, la syntaxe, le vocabulaire, l’identité, aux frontières de l’Oulipo et de la psychanalyse.

Photo prise par l’auteur