Je dois dire d’emblée n’avoir jamais été un fan inconditionnel de Cy Twombly ; de ses photographies aux tons passés, oui, mais ses toiles m’ont souvent laissé dubitatif, voire inquiet. Son exposition au Centre Pompidou (jusqu’au 24 avril) m’a au moins permis de comprendre un peu pourquoi. Twombly me semble osciller entre deux pôles : l’un austère, abstractisant, dépouillé, réduit à l’expression la plus simple ; l’autre expressif, exubérant, quasi baroque, et alourdi de références classiques qu’on peut juger prétentieuses.
Dans cette seconde tendance, le pire est sans doute Nine Discourses on Commodus, peint, dit-il, en réaction à l’assassinat de JKF. Sur fond gris, des éclats jaunes, roses et rouges comme des crêtes de coq, neuf toiles alignées sans pureté ni grâce : la psychologie de l’empereur traduite en impulsions colorées. Ces ancrages constants dans l’Antiquité, cette pseudo-historicité, ces titres rappelant sans cesse Virgile, Homère, Troie (Iliam au lieu de Ilium, car le A incarne la virilité : pédantisme), Sésostris et Râ, Achille et Patrocle, mélangeant un peu tout, ont un côté bon élève, Américain cultivé marié à une aristocrate romaine, faisant son Grand Tour et impressionnant ses compatriotes puritains et provinciaux par sa culture et sa sensualité méditerranéenne, qui, à mon sens, ne sonnent pas juste. Cette soif naïve du grandiose me laisse froid.
Par contre, ses premières toiles, griffures austères, ou bien son retour après 1964 à des fonds noir et gris sur lesquels la cire blanche trace des épures (en haut), ou encore sa série A Gathering of Time, délicates bombes blanches éclatant sur des fonds éthérés, sont des merveilles de pureté, de simplicité dépouillée sans tout le pathos néoclassique expressionniste du reste de sa peinture (et aussi la première série des grands Bacchus rouges et blancs, malgré leur titre, ci-dessous). Mais ces toiles sont aussi des réactions de l’artiste face à l’insuccès critique et commercial de ses autres toiles, comme il le dit après Commodus. Où est sa vérité fluctuante dans sa construction-destruction d ela peinture ?
De bien belles petites sculptures aussi, objets assemblés recouverts de plâtre et de peinture blanche. Celle-ci évoque (aussi de par son titre) une barque funéraire de l’Egypte ancienne, allant de la rive droite, vivante du Nil vers la rive gauche mortuaire (Porto Ercole est le lieu où mourut Caravage, encore une référence…) Et de superbes photographies : dès 1951, au Black Mountain College, des natures mortes de verres et de bouteilles à la Morandi, en 1953, un jeu abstrait et minimal avec une table et une nappe ; et puis quelques polaroids sensuels aux couleurs de pastel, petits poèmes discrets, comme ces citrons de Gaète. C’est quand il s’abandonne ainsi, sans étalage de culture, sans calcul, que, à mes yeux, Twombly est le meilleur.
Du coup, je relis Barthes, à qui Yvon Lambert avait commandé deux textes sur Twombly : Barthes réticent, qui, dans un des textes, ne se résout pas à le nommer et écrit sur « TW », un geste de recul aisément décryptable. La dimension écrite des toiles de TW et leurs références gréco-latines résonnent en lui. C’est pour lui l’occasion d’écrire au-delà de Twombly, non point tant sur le peintre que sur le geste, la griffure, la salissure, l’écriture justement (et aussi sur l’esthétique qui devrait être « une typologie des discours », s’intéressant non à l’œuvre, mais à sa perception, « telle que le spectateur la fait parler en lui-même »). Il décode la démarche du peintre consistant à « tendre aux hommes, qui en sont assoiffés, l’appât d’une signification » de par les titres des toiles, images dont « importe la référence, non le contenu ». L’art de Twombly, écrit-il, est d’avoir « imposé l’effet Méditerranée à partir d’un matériau qui n’a aucun rapport analogique avec le grand rayonnement méditerranéen », et, plus loin, la culture, pour Twombly, est « une aise, un souvenir, une posture, un geste dandy ». De l’art de critiquer avec élégance.