Du danger d’être blasé ? (Roman Ondak)

Roman Ondak, Untitled (Deadline), 2005

Il m’arrive de craindre, à voir bon nombre d’expositions (sans doute plus que la majorité de mes lecteurs), de craindre, donc, d’apparaître blasé, manquant d’enthousiasme souffrant du syndrome de déjà-vu. C’est ce que je pensais mélancoliquement lors de ma visite de l’exposition de Roman Ondak au MAMVP (jusqu’au 16 décembre) : voilà un artiste que j’aime beaucoup, qui me plaît par sa capacité à redéfinir les espaces, à remettre en cause notre regard. Il nous a habitués à des coups d’éclat, depuis le pavillon tchécoslovaque à Venise, inexistant, gommé, disparu, jusqu’à l’aile d’avion sur laquelle on cheminait périlleusement à Berlin, en passant par les ricochets sur le canal de Panama, le déversement de pièces de monnaie porte-bonheur dans une fontaine de Bratislava, la queue absurde à Bruxelles ou les Skodas sur un parking viennois. À chaque fois, devant ces interventions si discrètes, on était bluffé, secoué, dérangé.

Roman Ondak, Measuring the Universe, 2007, performance au MAMVP, 2012

Or cette exposition est bien différente, elle ne dérange guère, elle ne claque pas haut et fort, la seule pièce spectaculaire y est celle des mesures humaines, réactivée ici : peut-être est-ce parce que je l’avais déjà expérimentée à Toulouse il y a deux ans, peut-être est-ce parce que, d’elle-même, avec la répétition, elle perd son pouvoir magique, mais, ici, elle m’a simplement amusée, sans plus, et j’ai décliné l’invite à prendre mes mesures à nouveau, comme si une fois suffisait. Le charme mystérieux de la découverte et de l’accumulation s’était dissipé. Alors, le reste de l’exposition m’a semblé une rétrospective fort intéressante, permettant de voir bien des pièces de qualité, très représentatives du travail de Ondak, mais aussi très discrètes, trop peut-être. Alors, en quelque sorte, pour moi, le coeur n’y était plus. D’où mon interrogation ci-dessus.

Roman Ondak, Trap, 1991, 53.9x99x9.5cm

On redécouvre donc dans la première salle bien des pièces anciennes, comme des objets à double ou triple sens, oubliés ici ou là, merveilleux d’absurdité ironique. Parmi bien d’autres, Trap, de 1991, est à la fois une figure topologique évoquant les modèles mathématiques de Poincaré, un piège – comme son nom l’indique – sans doute à mouches (qu’on ne prend pas avec du vinaigre…), et un sein, nourricier et/ou sensuel. Un peu plus loin, une charnière inutile est fixée au coin d’un mur, il manque la porte, et un panier d’osier est rempli de plâtre surmonté d’une ouverture de sac d’aspirateur (Captured Void, 2012), objets simplissimes et titre merveilleux : toujours des absences.

Roman Ondak, Captured Void, 2012, 36x37x34cm

Ma préférée est, ci-dessous, cette troisième voie, Third way (2012) qui trône au milieu de l’espace comme une pyramide maya : il y a les chemins par lesquels tout le monde passe, monte ou descend, et puis il y a un troisième chemin, plus léger, plus aérien, plus risqué aussi, moins stable, moins solide : que choisir ? Plus loin, après les mesures, Futuropolis reprend un protocole qui est cher à Ondak, faire exécuter par autrui un dessin selon une description ou un thème qu’il fournit. Il s’agit ici de la ville du futur; l’artiste a abdiqué, chacun est parti de son côté.

Roman Ondak, Third Way, 2012, 188x170x60cm

Dans la partie centrale, espace interdit par une chaîne, le même message est répété sur un panneau accroché à la chaîne et sur un post-it fixé au mur. Un peu l’équivalent socialiste et pessimiste de ‘Demain on rase gratis’ : l’apologie du délai (en haut).

Cette exposition fort discrète (et Bertille Bak est à côté), l’ai-je regardée avec trop de distance, de désintérêt, ou bien n’en deservait-elle pas plus ?

Photos de l’auteur; (c) Roman Ondak.