Comment ne pas se rouler par terre à la Pinacothèque (de rire ou d’indignation)

Utagawa Hiroshige, Akabane au sud de la ville avec une vue du temple Zojo sous la neige, série des Lieux célèbres de la capitale de l’Est, 1844-45, estampe à partir d’une gravure sur bois colorée

Utagawa Hiroshige, Se délectant du dîner à l’auberge, série des Soixante-neuf étapes du Kisokaido, 1838-42; estampe à partir d’une gravure sur bois colorée

Utagawa Hiroshige, Vue d’Ueno de l’autre côté de l’étang de Shinabazu à travers les branches d’un pin, série des Cent vues célèbres d’Edo, cycle de l’automne, 1857/VIII, estampe à partir d’une gravure colorée, 36.2×24.5cm

Comme chacun, je suis toujours content de voir ou revoir des tableaux de van Gogh, en l’occurrence venant principalement du Musée Kröller-Müller à Otterlo, où l’on va trop peu souvent. Et je suis ravi de découvrir le corpus des estampes d’Utagawa Hiroshige  (Ando Tokutaro) prêtées par le Musée d’Art Populaire de Leyde (à la Pinacothèque jusqu’au 17 mars), j’y découvre cet artiste voyageur, illustrateur touristique au sens marketing très pointu, à la fois pittoresque et formel. Ses perspectives structurantes, ses images de la vie quotidienne, ses effets de brume, de neige, de pluie, d’atmosphère, son jeu avec les détails au premier plan (comme la tortue ci-dessous) attirant davantage l’attention que la scène ou le paysage du second plan, tout en fait un artiste intéressant à découvrir. Et je vous aurais sans doute parlé davantage de son style, de ses couleurs, de ses atmosphères pacifiantes, et de son sens du business, si je n’avais pas été victime d’une apoplexie lors de la suite de ma visite.

Hélas, trois fois hélas, il faudrait s’enfuir au plus vite après avoir visité l’exposition Hiroshige, ne surtout pas aller voir les van Gogh en face. Non point qu’ils soient détestables, bien au contraire, mais ils sont ici

Utagawa Hiroshige, Tortue suspendue à la balustrade d’un pont, le mont Fuji au loin

instrumentalisés pour une marotte du maître des lieux, le rapprochement incongru. On y avait déjà eu droit avec Giacometti et les Étrusques: si cette exposition-là était une catastrophe, quels mots trouver pour celle-ci ? Au prétexte de l’intérêt que van Gogh eut pour l’art japonais, des quelques copies qu’il fit d’estampes japonaises et de deux ou trois citations de ses lettres (« le Japon, ça ressemble à la Provence » ; « les impressionnistes sont des japonais français ») cent fois répétées ici, le directeur de la Pinacothèque annonce à grands roulements de tambour avoir trouvé une parenté infiniment plus profonde entre Hiroshige et van Gogh, et l’explicite sur des banderoles explicatives qui juxtaposent des œuvres de l’un et l’autre, en entier et en détail. Voyez, Hiroshige a peint des troncs d’arbre et van Gogh aussi, comme ils se ressemblent ! Regardez, tous deux ont peint des personnages cheminant dans la campagne, c’est bien la preuve de l’influence profonde de l’un sur l’autre ! Itou pour les brins d’herbe ! Les traits obliques pour représenter la pluie ! Et, ô

Pinacothèque, vue d’exposition van Gogh, banderole explicative

miracle, tous deux ont représenté des hommes descendant de cheval : puisqu’on vous dit que, avec Hiroshige, on vient de découvrir l’inspiration essentielle de van Gogh ! Même la pratique d’échanger des œuvres entre artistes est une japonaiserie…

Utagawa Hisroshige, Porte d’entrée du sanctuaire de Sanno à Nagatababa, Série des Lieux célèbres de la capitale de l’Est, 1832-35, estampe à partir d’une gravure sur bois colorée, 24.737cm

Vincent van Gogh, Pont basculant à Nieuw-Amsterdam, automne 1883, acquarelle sur papier, 40.3×82.2cm, Groninger Museum

Toujours prompt à découvrir, j’ai d’abord tenté de prêter quelque attention à cette thèse avant d’éclater de rire. Voici le plus bel exemple, devant lequel mon hilarité n’a plus eu de bornes : le pont basculant de Nieuw-Amsterdam a la même forme que la porte d’entrée du sanctuaire de Sanno à Nagatababa (banderole ci-dessous, avec un autre Hiroshige, au motif très similaire)). Lumineux, non ?

Pinacothèque, vue d’exposition van Gogh, banderole explicative

Donc si vous allez aussi voir l’exposition van Gogh (après tout, vous avez payé pour les deux salles d’exposition !) et si vous ne voulez pas vous rouler par terre de rire ou d’indignation, ne regardez que les tableaux, surtout pas les banderoles pédagogiques…

En somme il y a là deux expositions qui ne sont pas mal, prises séparément. Le crime (contre l’esprit) est d’en avoir voulu faire une seule.

Denis Rouvre, vue d’exposition Low tide, Pinacothèque

Par contre, on peut utilement aller voir, juste à côté, les photographies sombres et tragiques de Denis Rouvre : des rescapés du tsunami japonais, de face, en habits noirs, directs, dignes et superbes ; quelques paysages de la destruction aussi.

Photos 1, 2, 5, 8 & 9 de l’auteur; photos 3, 6 & 7 courtoisie de la Pinacothèque.

vue d’un rayonnage de ma bibliothèque

PS à minuit : cette photo pour tous les bons esprits qui, dans leurs commentaires, m’expliquent que je ne connais rien à van Gogh et n’ai qu’à lire ceci ou cela…

Je ne suis pas le seul à trouver ça débile