Périples parisiens tala 6 : Saint-Gervais-Saint-Protais

Auguste Préault, Le Christ mourant, 1840/46, bois de chêne, 267x139x43cm, Église Saint-Gervais-Saint-Protais, Paris © Courtauld Institute of Art

en espagnol

Ce Christ d’Auguste Préault est maudit. Préault (dont l’oeuvre la plus connue est son Ophélie au Musée d’Orsay), sculpteur romantique rebelle, qu’on a dit sulfureux et provocateur, recalé aux Beaux-arts, refusé au Salon, détenait là, en 1840, sa première commande officielle. Mais, au lieu de représenter un Christ plaintif, méditatif et souffrant, comme c’était alors de mise, il sculpte un agonisant criant sa douleur : l’oeuvre est refusée par le jury du Salon qui lui trouve un « manque d’élévation », elle est retirée au bout d’un an de Saint-Germain-l’Auxerrois, le curé déclarant « Ce n’est pas le Christ, c’est le mauvais larron qui a bu du vitriol », cette version en bois est refusée par l’église Saint-Paul-Saint-Louis. Furieux, Préault va voir le curé de Saint-Gervais, qui est mourant, et lui déclare que, s’il ne prend pas sa sculpture, Préault se fera mahométan et le curé aura cette apostasie sur la conscience; le brave curé, soucieux de ne pas aller en enfer pour la perte de cette âme, accepte la sculpture. Mais celle-ci, aujourd’hui encore, est reléguée de côté sur un mur nu dans le passage menant à la sacristie, n’étant pas jugée digne du choeur de Saint-Gervais. Et je crains fort que protester aujourd’hui en menaçant de se convertir à l’Islam n’aura guère d’effets positifs dans la France de 2020.

Auguste Préault, Le Christ mourant, détail

Préault s’assagira sous le Second Empire : reconnu, comblé de commandes officielles, il perdra la créativité de ses débuts, devenant un cacique du romantisme officiel. Mais ce Christ agonisant, tourmenté, râlant, ivre de douleur, la tête tordue (diorama) a une vérité, un réalisme qu’on trouve rarement dans la sculpture catholique de l’époque, dont le classicisme mièvre manque tant d’intensité. Son intensité, sa capacité d’émotion sont troublantes, et le poli du chêne fait ressortir la tension du corps crispé dans l’agonie. C’est une oeuvre très dérangeante. Son autre Christ en croix, en bronze, à l’église Saint-Ferdinand-des-Ternes, en 1850, ressort de la même veine, mais ses autres sculptures dans des églises parisiennes (outre une statue de Saint Gervais à l’extérieur de cette même église), le monument de l’abbé de l’Épée à l’église Saint-Roch, le monument de l’abbé Liautard à l’église Saint-Joseph-des-Carmes, une Marie-Madeleine à l’église de la Madeleine, n’ont pas la même force : les honneurs et l’âge l’ont bien affadi. Par ailleurs, dans l’église Saint-Gervais, ce sont surtout les vitraux qui attirent l’attention, mais j’ai aussi remarqué une jolie scène domestique avec chaudron lumineux et ustensiles de cuisine au-dessus de la porte d’entrée de droite, un Jésus chez Marthe et Marie anonyme du XVIIe siècle.

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